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L’enfance du monstre Comment il a accédé au pouvoir Quel chef de guerre a-t-il été ?
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Hitler
HISTOIRE
FÉVRIER-MARS 2015
Antisémitisme : de l’obsession à l’Holocauste Les quinze derniers jours du Führer
1889-1945
PA R I S VIOLLET�LE�DUC, L’ARCHITECTE AU SECOURS DE NOTRE�DAME
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LE DICTATEUR QUI TERRIFIA LE MONDE
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Hitler
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ÉDITO
I
l faut aller à Dachau, un matin d’hiver, se tenir quelques minutes sur le gravier de l’Appellplatz pour sentir le vent et le froid, là où les prisonniers devaient se tenir debout, pendant des heures parfois, pour être comptés et voir tomber leurs pairs épuisés. Marcher ensuite sous le ciel gris vers le fond du camp, quinze bonnes minutes, longer le four crématoire, le petit, puis le grand, car à un moment le petit ne suffisait plus, puis entrer dans la forêt, où les arbres ont poussé et le mur des fusillés a vieilli, mais où l’on voit encore, au bord du chemin, la rigole de béton construite exprès pour que le sang des fusillés s’écoulât facilement dans la terre. Celui qui se rend là, même soixante-dix ans après les faits, ose à peine le raconter, encore moins l’expliquer. «Il y a une obscénité absolue du projet de comprendre», a dit Claude Lanzmann, l’auteur du film Shoah. Expliquer l’Holocauste, ce serait déjà le comprendre, le banaliser, l’excuser. Cet indicible-là, seuls les témoignages des gens qui l’ont vécu pourraient le traduire. Ou rien, le silence. Pourtant, toujours, la question revient. Comment un pays, l’Allemagne, sommet de la culture européenne au début du XX siècle, un pays qui a enfanté Bach, Goethe, Hegel, Heine et Kant, a-t-il pu conduire Hitler au pouvoir ? Comment le nazisme a-t-il été possible ? Karl Jaspers, Thomas Mann, Hannah Arendt, Joachim Fest, Sebastian Haffner… Depuis 1945, les penseurs ont été nombreux à chercher la réponse à cette question. Et en cette année 2015, qui marque le 70 anniversaire de la fin de l’horreur hitlérienne, on relit volontiers d’autres travaux comme, par exemple, ceux de l’historien anglais Ian Kershaw (voir page 20). La barbarie contiendra toujours sa part d’ombre, mais peut-on renoncer à comprendre ? A simplement commémorer sans expliquer ? Et ne pas se souvenir des nombreux enseignements que livre l’examen de cette grande fracture du XX siècle ? Parmi eux, la
Derek Hudson
Comment Hitler a-t-il été possible ? fragilité de la démocratie. En 1923, après le putsch raté d’Hitler, l’Allemagne se disait que la République était largement assez forte pour résister à ce «petit caporal bohémien» comme l’appellerait plus tard le président Hindenburg. En 1928, il ne récolta que 2,6 % des voix. Et même entre 1930 et 1933, un peu plus de 60 % des Allemands ne votèrent pas pour les nazis. Comment l’Histoire a-t-elle basculé ? Comment un homme animé par la colère et la haine a-t-il finalement réussi à se faire aimer par des millions d’Allemands ? «Regardez tous ces gens, incapables de se rebeller car trop humiliés, craintifs, abattus, fait dire Ingmar Bergman à l’un des personnages de son film L’Œuf du Serpent, dont l’histoire se déroule en 1923. Mais, bientôt, les jeunes de 10 ans en auront 20, et à la haine héritée de leurs parents, ils ajouteront leur idéalisme et leur impatience. Une figure se lèvera alors qui leur promettra un avenir, qui leur parlera de grandeur et de sacrifice.» Bergman nous dit qu’aux racines du mal se trouve l’humiliation. Hitler n’a pas surgi à Nuremberg simplement grâce à son éloquence. Il a grandi dans les tranchées des Flandres, s’est nourri d’un pays rabaissé par le traité de Versailles en 1918, affaibli encore en 1923 lors de l’occupation de la Ruhr, puis en 1929 par le chômage et l’inflation. «Il n’y aura pas de nouveau 11 novembre 1918, avait-il prédit. Il ne peut y avoir que la victoire ou l’anéantissement.» Il en va des nations comme des hommes. Ils ne sont jamais aussi dangereux que lorsqu’ils se sentent poussés dans ce retranchement-là : le triomphe ou la mort. ERIC MEYER, RÉDACTEUR EN CHEF
GEO HISTOIRE 3
SOMMAIRE
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LES ORIGINES
L’enfance du monstre Battu par son père, élève médiocre, jeune artiste raté… Les premières années d’Hitler sont faites d’échecs et de déconvenues.
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1914�1918
La Grande Guerre du petit caporal Le premier conflit mondial le métamorphose à jamais. Désormais, animé par la haine, il ne rêvera que de revanche.
LE POLITICIEN
Les marches vers le pouvoir Comment Hitler, tribun démagogue, a-t-il pu devenir chancelier ? Son ascension résulte, entre autres, d’un concours de circonstances, d’habiles alliances et de son talent d’orateur.
FOCUS
Un pacte avec le diable ? Jusqu’à l’orée de la guerre, les grands studios américains auraient ménagé Hitler et les nazis avant de les combattre.
LE MANIPULATEUR
Comment Hitler a trompé la France Dans les années 1930, il parvient à détourner l’attention des gouvernements français successifs sur ses projets de conquêtes militaires.
LE BÂTISSEUR
Germania, le projet d’un mégalomane Dès 1923, Hitler avait imaginé de transformer Berlin en «capitale du monde». Reconstitution en 3D.
En couverture : Adolf Hitler, le 13 septembre 1939, durant la campagne de Pologne. Crédit photo : Heinrich Hoffmann/AKG-images. Abonnement : encart de 22 pages «Linvosge» posé sur la couverture, quatre cartes jetées abonnement et un courrier pour les abonnés posé en couverture.
4 GEO HISTOIRE
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Ullstein Bild/Roger-Viollet
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L’ENTRETIEN
«Tout était prêt pour l’arrivée d’un dictateur» L’historien anglais Ian Kershaw revient sur l’ascension de ce tyran hors normes. Et bouscule, au passage, quelques idées reçues.
Tim Wehrmann
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PANORAMA
La mise en scène de la haine Discours hallucinés, théâtralisation, gestuelle étudiée… Il n’y avait qu’un seul but : frapper les esprits pour imposer la domination du Führer.
AKG-images
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Heinrich Hoffmann/Private Collection/The Stapleton Collection/Bridgeman Images
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L’ENTOURAGE
Complices, rivaux et dauphins Ils l’ont admiré, l’ont suivi jusqu’au bout de sa folie, mais parfois tenté de le trahir… Portraits des proches du Führer.
FOCUS
Des femmes sous influence La propagande a dépeint Hitler comme un solitaire. Pourtant, nombreuses sont celles qui ont joué un rôle crucial dans sa vie.
LA RÉSISTANCE
Ceux qui lui ont dit non Au cœur du IIIe Reich, des étudiants, des militaires, des ecclésiastiques et de simples citoyens ont défié le dictateur dès 1933. Tous au péril de leur vie.
LE STRATÈGE
Fut-il un bon chef de guerre ? Jusqu’en 1942, Hitler accumule les victoires. Mais, par la suite, il perdra la main sur le front russe puis face aux débarquements alliés.
L’ANTISÉMITE
De l’obsession à l’Holocauste A quand remonte la haine des juifs chez Hitler ? Comment a-t-elle évolué jusqu’à lui faire commanditer l’un des plus grands crimes de l’Histoire ? Décryptage d’une escalade.
Süddeutsche Zeitung/Rue des Archives
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La fortune cachée du Führer C’est un aspect méconnu du tyran. Il se prétendait modeste et désintéressé, mais organisait son enrichissement personnel.
108 LA CHUTE
Les 15 derniers jours du dictateur Le 15 avril, Hitler se réfugie dans son bunker, à Berlin. Le 30, il se tire une balle dans la tête. Entre les deux, il alterne larmes et colères, se marie, destitue des généraux ou les condamne à mort.
LE CAHIER DE L’HISTOIRE
SPPS/Rue des Archives
120 RÉCIT Ce numéro GEO Histoire est vendu seul à 6,90€ ou accompagné du DVD Hitler du charisme au chaos, pour 4,90 € de plus. Vous pouvez vous procurer ce DVD seul au prix de 4,90 € (frais de port offerts pour les abonnés/2,50 € pour les non-abonnés) en envoyant vos coordonnées complètes sur papier libre accompagnées d’un chèque à l’ordre de GEO à : GEO - 62069 ARRAS Cedex 09. Offre limitée à un exemplaire par foyer, valable en France métropolitaine, dans la limite des stocks disponibles.
L’homme qui sauva Notre-Dame de Paris Au milieu du XIXe siècle, la cathédrale était si abîmée qu’on songea à la raser. Un jeune architecte, Eugène Viollet-le-Duc, releva le défi de la restaurer. Mieux, il en fit un chef-d’œuvre.
132 À LIRE, À VOIR
Un beau livre sur les peintres du siècle des Lumières, Les Croix de bois en DVD, une biographie de Marie-Antoinette, etc.
GEO HISTOIRE 5
PANORAMA
LE GESTE D’ALLÉGEANCE La main gauche posée sur le ceinturon, le bras droit tendu, Adolf Hitler, qui porte la chemise brune et l’uniforme des SA (Sturmabteilungen, Sections d’assaut), exécute ici le salut nazi lors du congrès du parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), à Nuremberg, en 1927. Un signe de soumission, viril et martial, pour ses partisans comme Franz Pfeffer von Salomon, commandant des SA, que l’on voit ici à sa
LA MISE EN
droite. Derrière eux, on aperçoit Rudolf Hess, secrétaire parti-
Süddentsche Zeitung/Rue des Archives
culier du Führer.
Discours hallucinés, gestuelle étudiée,
SCÈNE
théâtralisation… Tout était imaginé pour frapper les esprits et imposer la domination du Führer. Exemples en images.
DE LA HAINE GEO HISTOIRE 7
PANORAMA
8 GEO HISTOIRE
LE SPORT, VITRINE DE LA «RACE PURE» Les jeux Olympiques de Berlin, en 1936, sont pour le Führer une occasion rêvée de montrer au monde la supériorité de la «race aryenne». On voit ici le dictateur présenter, avant la compétition, la réalisatrice Leni Riefenstahl aux athlètes allemands, fers de lance du régime nazi. Le Führer a chargé la cinéaste de filmer l’événement avec pour objectif de glorifier la suprématie allemande. Et pour cela, il lui offre des moyens colossaux : une équipe de 300 techniciens et du ma-
Selva/Leemage
tériel ultramoderne.
PANORAMA
L’ÂME DAMNÉE DU FÜHRER De tous les adorateurs d’Hitler, Joseph Goebbels (ici, à droite, avec sa femme Marta) est l’un des plus fanatiques. Il met son talent de propagandiste au service de son maître. Il mobilise la presse, la radio, le cinéma, tous les moyens de communication, pour promouvoir l’image et les idées du Führer. En 1933, année où est pris ce cliché, il organise, dans une mise en scène savamment orchestrée, des autodafés dans tout le pays, au cours desquels des centaines de milliers de livres, jugés «impurs», sont brûlés en place publique.
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PA Archive/Press Association Images/Abaca
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PANORAMA
COMME UNE GRANDE MESSE PAÏENNE Toute la mégalomanie d’Hitler se retrouve dans cette manifestation du 10 mai 1938, à Berlin. De retour d’un voyage en Italie, le Führer célèbre, dans une mise en scène digne du film Metropolis (1927) de Fritz Lang, l’Axe Rome-Berlin, c’est-à-dire l’alliance entre l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste de Mussolini. Deux gigantesques colonnes sont dressées devant la porte de Brandebourg, et portent haut dans le ciel la croix gammée du parti nazi. Fumigènes, soldats casqués évoquant des robots maléfiques et parade guerrière complètent
Interfoto/La Collection
ce tableau hallucinant.
PANORAMA
DES WALKYRIES À LA RESCOUSSE Grand admirateur de Richard Wagner et de ses opéras mettant en scène les héros de la mythologie germanique (Siegfried, Brunehilde, les Nibelungen…), le Führer s’affiche volontiers avec les descendants du compositeur. Comme ici, à Bayreuth, en 1938, où il est entouré de deux petitesfilles du musicien, Verena (à gauche) et Friedelind (à droite). La première, la plus jeune, tombera sous le charme du dictateur. La seconde, en revanche, se réfugiera aux Etats-Unis, en 1939, où elle multipliera les dé-
Suddentsche Zeitung/Rue des Archives
clarations antinazies.
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PANORAMA
UNE TERREUR ENTRETENUE La peur qu’inspire la guerre est un moyen, pour Hitler, de contrôler les esprits et de maintenir le peuple allemand sous son joug. Il n’hésite pas à agiter le spectre de 14-18 et à raviver les souvenirs les plus traumatisants. Ici, le 31 août 1939, dans la cour d’une école berlinoise, des petits Allemands et leurs professeurs effectuent un exercice d’évacuation, pour se préparer à une éventuelle attaque au gaz. Le lendemain, l’Allemagne envahira la Pologne, déclenchant ainsi la Seconde
AP/Sipa
Guerre mondiale.
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PANORAMA
DEUX DICTATEURS EN REPRÉSENTATION Le 30 avril 1938, le fasciste italien Mussolini promène Adolf Hitler dans les rues de Florence, à bord d’une voiture décapotable. Souriant, saluant la foule qui les acclame, ils offrent au monde l’image terrifiante de deux ennemis de la démocratie liés par une grande amitié. A l’issue de cette visite, d’ailleurs, Hitler concédera le Tyrol à l’Italie, tandis que le Duce appuiera le Führer qui revendique l’annexion de la région des Sudètes, en Tchécoslovaquie. En septembre 1940 naîtra l’Axe Rome-Berlin-
DB/DPA/Corbis
Tokyo contre les Alliés.
L’ E N T R E T I E N
L’Allemagne attendait-elle Hitler ?
TOUT ÉTAIT PRÊT POUR L’ARRIVÉE D’UN DICTATEUR L’historien anglais, qui a révolutionné la manière d’appréhender le III Reich et son Führer, revient sur l’ascension de ce tyran hors normes. Et Jackie Dewe Mathews/Picturetank
bouscule, au passage, quelques idées reçues.
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Sir Ian Kershaw
Né en 1943 à Oldham (Lancashire), Ian Kershaw est l’un des plus grands historiens du IIIe Reich. Auteur d’une quinzaine d’ouvrages sur le sujet, dont une remarquable biographie d’Hitler (rééditée cette année chez Flammarion), il a passé sa carrière à tenter de répondre à la question : «Comment Hitler a-t-il été possible ?» Il a été anobli par la reine d’Angleterre en 2002.
Coll. Rudolf Herz. Photo extraite du livre Hitler de Ian Kershau, éd. Flammarion
Le tribun du parti Sur cette photo datant de 1923, on peut lire «Hitler parle !» Elle a été prise au cirque Krone de Munich, lors d’un rassemblement du NSDAP, faisant la part belle au discours du Führer. Le parti comptait alors 55 000 membres.
GEO Histoire : Hitler est arrivé au pouvoir dans un pays moderne et civilisé. Y avait-il, malgré tout, un «terreau» favorable à l’irruption d’un tel dictateur ? Ian Kershaw : L’Allemagne de 1918 est un pays profondément traumatisé par la défaite, les humiliations et la menace d’une révolution rouge. Dès l’après-guerre, on commence à observer au sein des élites un courant de pensée néoconservateur prônant l’avènement d’un leader charismatique qui parviendrait à faire renaître la grande Allemagne de ses cendres. Parmi ces intellectuels, on retrouve notamment Arthur Moeller van der Bruck, le premier à avoir évoqué le terme de «III Reich». Le pays se cherche ainsi un nouveau Bismarck, qui puisse incarner trois facettes complémentaires : l’homme d’Etat, le guerrier et le grand prêtre. C’est dans ce contexte qu’Hitler est entré en politique en 1919 au sein du parti ouvrier allemand, le DAP, qui deviendra le parti nazi, le NSDAP. Au début des années 1920, le parti nazi était-il uni ou alors fragmenté en différents courants ? Il était moins soudé que l’image qu’il a pu renvoyer. On garde en mémoire les grandes célébrations nazies des années 1930, où aucune tête ne dépassait. Mais dans les années 1920, même s’il était plus structuré que les autres grou-
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puscules fascistes, le NSDAP était le théâtre de discussions, de compétitions internes et externes au parti. Il faut aussi rappeler que le DAP n’a pas été fondé par Hitler, mais par Anton Drexler, même si ce dernier a rapidement été relégué à un poste honorifique avant d’être exclu en 1923.
Comment Hitler s’est-il imposé au sein du parti nazi ?
Avant tout par ses talents d’orateur. Dans mes ouvrages, j’ai toujours refusé de présenter le charisme d’Hitler comme quelque chose d’inné dans sa personnalité ou de dire qu’il a exercé une attraction presque surnaturelle sur les militants nazis puis sur la population allemande. S’il a gravi les marches du pouvoir, c’est, certes, grâce à sa puissance rhétorique, mais aussi grâce à sa stratégie. Comme tout homme politique, Hitler a dû affronter des oppositions, manœuvrer pour éviter les scissions ou calmer les ardeurs de certains cadres du NSDAP qui voulaient rapidement s’allier avec d’autres partis. Qui étaient les concurrents d’Hitler au sein de la mouvance fasciste ? Il y avait d’abord le parti socialiste allemand (le DSP, Deutschsozialistische Partei), qui labourait sur les mêmes terres que les nazis
et qui a engrangé quelques succès jusqu’à sa dissolution en 1922. Mais, pour Hitler, son rival le plus sérieux était sans nul doute Otto Dickel, un tribun en vogue qui avait fondé le mouvement fasciste Völkische Werkgemeinschaft (Communauté de travail populaire). En 1921, lorsque Dickel proposa à Drexler de fusionner leurs deux groupuscules, Hitler menaça de démissionner en les accusant de vouloir diluer l’idéal national-socialiste, et la fusion fut abandonnée. A partir de quel moment peut-on observer un culte de la personnalité ? Vers 1923, car Hitler devient alors le chef incontesté. Certains historiens font remonter le phénomène à 1921, parce que les membres du parti nazi appellent déjà Hitler «Mein Führer» (mon guide), même si je ne crois pas que cela soit significatif. Führer n’avait pas d’autre signification que celle de «chef» de n’importe quelle organisation. Si le culte de la personnalité s’accélère en 1923, c’est à cause de la Marche sur Rome. Mussolini fascine Hitler et les nazis, qui comprennent que la personnalisation du pouvoir peut leur permettre d’accéder rapidement aux responsabilités. Dans certains meetings, on voit se développer des slogans du type : «En Allemagne, nous avons notre Mussolini, et il s’appelle Hitler.» Mais Hitler avance progressivement : dans ses discours du milieu des années 1920, il évoque la nécessité pour le Reich d’adopter un leader autoritaire, mais il ne parle jamais directement de lui-même. Une manière de ménager certains alliés, notamment le maréchal Ludendorff, qui s’imagine comme un recours.
Son emprisonnement a-t-il contribué à faire de lui un martyr ?
Lors de son procès, en mars 1924, Hitler a été habile : il a assumé la responsabilité du putsch raté de Munich de novembre 1923 et s’est placé dans une position
L’ E N T R E T I E N de martyr politique. Durant ses treize mois de prison, l’aura d’Hitler s’est ainsi renforcée : il a consolidé son statut de leader d’une extrême droite allemande qui était auparavant dispersée en de multiples chapelles. Le parti nazi a été interdit après le putsch, et les groupuscules fascistes qui l’avaient soutenu se sont affrontés avant de se rassembler au retour de leur «héros». Le parti nazi a été refondé en février 1925. Finalement, le putsch, qui aurait pu signer sa mort politique, a posé les bases d’un nouveau départ. Hitler doit néanmoins composer avec «l’aile gauche» du parti nazi… Oui, et notamment avec son principal représentant, Gregor Strasser. Avec son frère Otto, ce militant de la première heure tire le mouvement vers une voie anticapitaliste, sociale-révolutionnaire, avec laquelle il compte séduire les classes laborieuses qui seraient tentées par un vote rouge. Cette mouvance n’est pas sans séduire certains cadres du NSDAP, à l’image de Joseph Goebbels. Ayant compris la menace de se voir mis en minorité, Hitler a joué sur un terrain où il était imbattable : la séduction. Après un meeting en demi-teinte à Bamberg, en février 1926, lorsqu’il pressent qu’il n’a pas réussi à convaincre Goebbels, il lui déroule le tapis rouge : il l’invite chez lui, lui fait visiter Munich, l’impressionne par ses connaissances… Goebbels sortira de son séjour en déclarant : «Quel grand homme ! J’ai été complètement convaincu par Hitler.» On connaît la suite : Goebbels se détachera de l’influence de Strasser pour devenir l’un des plus proches fidèles du Führer. Hitler apparaît-il comme une figure messianique ? Oui, chez bon nombre de militants. Joseph Goebbels et Rudolf Hess font partie de ceux qui ont contribué à modeler son image. Dans une lettre de 1927, Hess le compare au fondateur d’une religion qui «doit communiquer la
foi à ses auditeurs». Au sein du parti, on se salue par des «Heil Hitler», on distribue des portraits… Mais Hitler est le premier à avoir compris qu’il ne fallait pas aller trop loin dans ces formes d’adulation. Un poème pompeux publié lors de son quarantième anniversaire en 1929 l’a d’ailleurs agacé : il était présenté comme un demi-dieu, comparé à Siegfried, le héros wagnérien… Sans surprise, le texte fut parodié et moqué dans la presse antinazie. Pourquoi l’année 1932 est-elle décisive pour lui ? Parce que son ascension est sérieusement contrariée. S’il a profité de la crise de 1929 sur le plan électoral, trois ans plus tard, le NSDAP enregistre un net recul aux élections législatives. Au sein du parti, certains nationaux-socialistes commencent à douter qu’Hitler puisse devenir un jour chancelier du Reich. D’autres, à l’image de Gregor Strasser, remettent en cause sa stratégie depuis qu’il a refusé l’offre du président Hindenburg de devenir simple vice-chancelier à l’été 1932. Chose incroyable : en octobre, dans une conférence à Nuremberg, ville-symbole du nazisme, Adolf Hitler parla dans une salle à moitié vide. Il a sans doute compris, à ce moment-là, qu’il vivait son «moment de vérité». Comment Hitler a-t-il réussi à rebondir ? Il s’est appuyé sur ce qu’il avait de plus solide : son carré de fidèles et les millions de «croyants» gagnés par le culte de la person-
IAN KERSHAW
nalité. Hitler leur explique en substance : «Si j’acceptais la vice-chancellerie, au bout de 10 minutes, je serais en désaccord et je devrais démissionner, ce qui affaiblirait notre position. Restons patients et concentrons-nous sur notre objectif : le poste de chancelier.» La conjoncture a fait le reste : la République de Weimar entrait en état de déliquescence, et pour des électeurs de droite, Hitler n’était plus forcément un repoussoir. Audelà des sympathisants nazis, ses idées pouvaient séduire les antimarxistes et les opposants au système démocratique en faillite. On était, à l’époque, dans un système politique clivant, binaire, où il fallait «choisir son camp».
Le Führer a-t-il été sousestimé par ses alliés ? Oui, ça a même été l’une de ses plus grandes chances. La droite traditionnelle avait besoin d’Hitler et de l’élan populaire qu’il pouvait entraîner. En janvier 1933, lorsque Hindenburg finit par le nommer chancelier, les membres de la coalition de droite se disent que la vague nazie est retombée, qu’ils pourront contrôler Hitler… L’élite dirigeante a toujours été condescendante à son égard. Elle le jugeait vulgaire tout en sachant qu’elle ne pourrait pas se passer de lui. Dans une moindre mesure, la gauche aussi l’a sous-évalué. Il était perçu comme une menace, mais une menace provisoire : Hitler incarnait aux yeux des communistes le dernier souffle du capitalisme avant la désintégration du système. Au moment de
Les électeurs de droite voient en lui un rempart contre le communisme GEO HISTOIRE 23
IAN KERSHAW
sa nomination, ils se disaient que le pays allait vivre un moment désagréable, mais que tout ça n’allait pas durer bien longtemps.
Un plébiscite pour le Führer Ces jeunes filles célèbrent la réintégration de la Sarre dans le Reich, en janvier 1935. Pour Ian Kershaw, la politique étrangère du Führer a largement été soutenue par la population.
Trois mois plus tard, les nazis sortent victorieux des élections de mars 1933. Est-ce un plébiscite pour Hitler ? Pas tout à fait. Le parti nazi obtient 44 % des voix, mais il demeure encore une vraie opposition communiste et socialedémocrate. Et le pays ne s’est pas jeté dans les bras d’Hitler comme un seul homme : plus de la moitié des électeurs n’ont pas voté pour lui ! Mais certaines barrières se sont brisées : les électeurs de droite non nazis étaient moins hostiles à ce que défendait alors Hitler. L’amélioration de la situation économique dans les premières semaines de 1933, le charisme et l’habileté politique d’Hitler, le prestige de la fonction de chancelier : tous ces facteurs ont pu séduire au-delà des rangs nazis. Un peu après les élections devait se tenir la grande fête d’ouverture du Parlement, à Potsdam. Goebbels choisit de la faire coïncider avec le premier jour du printemps, le 21 mars, comme pour marquer la naissance d’un nouveau cycle. Hitler a été habile. Il a prêté allégeance à Hindenburg, s’est montré obséquieux, afin de se placer dans la continuité de tout ce que
représentait le vieux maréchal : l’héritage de la Prusse, le militarisme, l’autorité… Son discours à la radio a été bien perçu, les auditeurs ont eu l’impression d’entendre un «nouvel Hitler», moins radical. Son profil se transforme alors, il n’est plus perçu comme un chef de parti, mais comme le chef de la nation. Hitler a-t-il sciemment gommé son image sulfureuse ? Oui. La raison est avant tout diplomatique, car il doit convaincre la France et l’Angleterre qu’il n’est pas un dangereux extrémiste s’il veut espérer réarmer le pays sans provoquer une levée de boucliers. Mais derrière la scène, il n’a pas changé ses méthodes brutales. Il règne déjà sur l’Allemagne une atmosphère d’oppression, les SA sont omniprésents dans les rues, des dizaines de milliers de communistes et de socialistes sont déportés dans des camps improvisés. Et le boycott des juifs commence le 1 avril 1933, soit quelques jours après le discours fédérateur de Potsdam. Comment Hitler prend-il en charge cette soi-disant «question juive» ? Il va avancer à petits pas. Tout d’abord, parce qu’il a conscience qu’il faut éviter les lynchages publics et la violence ouverte, très impopulaires auprès de la majoGalerie Lumière des Roses
L’ E N T R E T I E N
rité de la population. Au congrès du parti à Nuremberg, en septembre 1935, il va introduire le principe des lois raciales afin d’«encadrer» des éventuels débordements, ce qui irrite d’ailleurs les plus extrémistes des nazis. Et il ne faut pas oublier qu’en 1936, Berlin accueille les jeux Olympiques, et qu’il faut donner du pays une image pacifiée. La même année, le chef de la section suisse du NSDAP est assassiné par un étudiant juif à Davos : contrairement à ce qu’on pourrait attendre, la réponse des nazis va être mesurée. Mais tout change l’année d’après, et les persécutions deviennent alors pires qu’auparavant. On sait, d’après les mémoires de Goebbels, qu’Hitler a approuvé les pogroms de novembre 1938, même s’il a toujours pris soin de pas apparaître au cours d’événements qui auraient pu nuire à son image. Par exemple, s’il prédit en public la destruction du peuple juif, c’est à la faveur d’une guerre qui aura bientôt lieu et non à cause d’un plan qu’il aurait méthodiquement mis en place.
Etait-il un dictateur omnipotent ? Son pouvoir au sein de l’Etat était total. Mais il était directement moins impliqué qu’un personnage comme Staline dans les rouages du gouvernement. Il savait déléguer et faisait confiance à sa garde rapprochée tant que ses intérêts n’étaient pas en danger. Mais lorsqu’il percevait que le contrôle lui échappait, sa réaction était immédiate : c’est ce qui s’est produit en 1934 avec la Nuit des longs couteaux, lorsqu’il s’est inquiété du poids grandissant d’Ernst Röhm, compagnon des premières heures devenu rival embarrassant. Le massacre des SA a été pour lui une manière de contrer toute velléité de dissidence chez ses subordonnés. Se plaçait-il en dehors du système ? Symboliquement, oui. Comme on l’a vu, les Allemands atten-
La vie quotidienne a-t-elle été bousculée par la nazification ?
Oui, tout d’abord à travers la peur. Un simple salut devenait lourd de sens. Dire «Heil Hitler» en levant la main droite était la formule la plus utilisée, mais refuser de le dire marquait son non-conformisme politique. Et visuellement, la société allemande s’est rapidement «nazifiée» : chaque branche du mouvement nazi avait son propre uniforme, la croix gammée était omniprésente sur les édifices publics et sur les monuments… Dans ma bibliothèque, je possède un livre qui s’intitule Nazi Kitsch avec des images absolument incroyables, comme un coquetier avec une croix gammée ou une cuvée de vin nazi appelée Befreiungswein, le «vin de la libération». Dès 1933, la loi a enca-
Il perd la confiance des Allemands à partir des premières défaites sur le front russe dré ce genre d’initiatives pour éviter que l’on retrouve n’importe où le portrait d’Hitler ! On a souvent lu que «neufs Allemands sur dix» soutenaient Hitler et sa politique. Est-ce exagéré ? Impossible à dire… Les dernières élections plus ou moins démocratiques datent de mars 1933, et il est difficile de déterminer à quel point la population était manipulée et contrôlée. En revanche, ce que l’on peut affirmer, c’est qu’Hitler était plus populaire sur les questions de politique internationale et de souveraineté : le retrait de la SDN en 1933, l’autodétermination de la Sarre en 1935, la remilitarisation de la Rhénanie en 1936, l’Anschluss en 1938… Tous ces événements ont été largement plébiscités. A l’inverse, même si cela reste difficile à estimer, les Allemands étaient plus partagés sur les politiques sociales ou tout ce qui touchait à l’Eglise. Sa popularité a-t-elle fini par décliner ? Selon le sociologue Max Weber, un chef charismatique ne peut maintenir sa position que s’il engrange des succès. Et effectivement, à partir du moment où Hitler connaît ses premiers revers, notamment sur le front russe en 1942, on observe un net déclin. C’est notamment après la bataille de Stalingrad qu’Hitler commence à être personnellement rattaché à la déroute de l’armée allemande et qu’il voit sa popularité fléchir, même s’il n’existe pas, comme aujourd’hui, des enquêtes d’opinions ou des indicateurs objectifs. Malgré tout, sa cote personnelle
Jackie Dewe Mathews/Picturetank
daient un leader puissant, qui se situerait au-dessus de la mêlée. Le charisme d’Hitler, tout comme sa popularité, a découlé de sa capacité à se situer en retrait, laissant à ses seconds couteaux le soin d’appliquer une politique de répression. On est un peu dans la logique du «bon roi et des méchants conseillers». Dès 1933, les portraits d’Hitler devenaient omniprésents, on offrait un exemplaire de Mein Kampf aux jeunes mariés, les écoliers récitaient au début de la journée une prière à leur Führer… Hitler disait luimême : «La grande masse de la population allemande a besoin d’une idole.» Mais il a bien compris le risque d’être assimilé pleinement à une figure messianique un peu vague et distante. Son photographe, Heinrich Hoffmann, a ainsi réalisé une série de livres montrant le Führer discutant avec des ouvriers, avec des enfants, ou dans le cadre bucolique des montagnes bavaroises. A travers la propagande, Adolf Hitler s’est toujours appliqué à ne pas se couper complètement du peuple allemand.
va connaître un bref regain durant l’été 1944, après l’assassinat manqué orchestré par les généraux menés par von Stauffenberg, comme s’il apparaissait encore comme un rempart contre les forces alliées et les traîtres de l’intérieur. Sa mort a-t-elle traumatisé le peuple allemand ? En 1945, le traumatisme dépassait de beaucoup le simple suicide du Führer. L’invasion des Alliés, les atrocités commises par l’armée russe à l’est du pays, les maisons rasées… Les Allemands n’avaient vraiment pas le temps de faire le deuil d’Hitler. Et dès la défaite, la logique du charisme d’Hitler s’est inversée : il avait été tenu pour seul responsable de tous les «grands bienfaits» du IIIe Reich. Le voilà devenu une figure démoniaque qui aurait endormi et séduit les Allemands par la force de sa propagande. �
Dans les locaux de l’Alliance française de Manchester, Sir Ian Kershaw avec les journalistes de GEO Histoire. L’historien prépare actuellement un livre sur l’Europe entre 1914 et 1949.
PROPOS RECUEILLIS PAR FRÉDÉRIC GRANIER ET CYRIL GUINET
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LES ORIGINES Adolf Hitler en 1889. Ce portrait a été réalisé à Braunau-am-Inn, petite ville à la frontière austroallemande, où il passa les cinq premières années de sa vie.
L’enfance du monstre Battu par son père, recalé aux examens, incapable d’accomplir ses rêves d’artiste… De 1889 à 1913, les premières années d’Hitler n’expliquent pas tout. Mais elles auront forgé une personnalité qui sera marquée par les échecs et les déconvenues. 26 GEO HISTOIRE
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LES ORIGINES
A
Braunau-am-Inn, petite ville autrichienne à la frontière allemande, une grande bâtisse couleur crème embarrasse les autorités. C’est la maison natale d’Adolf Hitler. Le lieu est une propriété privée, mais est loué depuis les années 1950 par l’Etat et la ville, qui y ont installé tour à tour un centre de formation, un atelier pour handicapés… Vide depuis trois ans, la Hitler-Haus, est aujourd’hui au centre d’un imbroglio sur son futur usage. Fin 2014, le débat n’était toujours pas tranché. Les autorités se passeraient bien de ce fardeau, mais elles veulent garder le contrôle de la maison pour ne pas la livrer au pèlerinage des nostalgiques du Führer. On en a vu, ici, gratter du plâtre de la façade ou crier «Heil !» sur le trottoir. Comme si la maison du petit Adolf qui y naquit le 20 avril 1889 était déjà celle du terrible Hitler. Son enfance fascine et intrigue. Depuis que les historiens cherchent des explications à la folie nazie, elle a été souvent pointée du doigt. Les racines du crime, ont souligné historiens et psychanalystes, se cachent forcément là où le Führer en culottes courtes fomentait déjà son sinistre dessein. Certains événements de ses jeunes années sont relus comme des clés, d’où tout devait fatalement découler. Cette obsession à chercher «la genèse dans la jeunesse», selon l’historien du nazisme Johann Chapoutot (auteur de La Loi du sang. Penser et agir en nazi, éd. Gallimard, 2014) fut presque encouragée par Hitler lui-même, qui, dans son autobiographie Mein Kampf de 1924, démontre qu’il est né pour diriger l’Allemagne. «Ce livre est une pure construction de En 1885, Aloïs propagande, mais l’image Hitler, fonctionqu’il véhicule d’un Hitler naire des passionné de politique dès douanes, épouse l’enfance a laissé des en troisièmes noces Klara traces», note l’historien. Or, Pölzl. De leur que sait-on vraiment de son union naîtront existence, de sa naissance six enfants, dont dans ce qui est encore l’Audeux seulement survivront : Adolf triche-Hongrie jusqu’à son et Paula, de sept départ pour l’Allemagne en ans sa cadette. 1913 ? Les sources sont éparses et douteuses. Hormis les récits biaisés d’Hitler lui-même, elles se
limitent à quelques témoignages livrés des décennies après les faits et à de rares documents. Au final, dominent les zones d’ombre, propices aux fantasmes et aux interprétations. «Pour ce qui est des années de formation, […] il n’est pas grandchose qui ne relève de la conjecture rétrospective», rappelle l’historien Ian Kershaw dans sa biographie (Hitler, éd. Flammarion, 2014). Mais, même mal connue, cette jeunesse livre des bribes de réponse à la question : pourquoi Hitler ?
1 8 8 9 UNE ASCENDANCE CONTRARIÉE
«Mon père était un consciencieux fonctionnaire ; ma mère vaquait aux soins de son intérieur et entourait ses enfants de soins et d’amour.» Dans Mein Kampf, Adolf Hitler évoque longuement ses parents. Il loue en particulier le parcours de son père Aloïs, né dans une famille paysanne pauvre du nord de l’Autriche, et devenu par la force de la volonté inspecteur des douanes. Mais il ne s’étend pas davantage sur son histoire familiale. Et pour cause : elle n’est guère reluisante. Lorsque Adolf vient au monde en 1889, son père en est à son troisième mariage. Il a déjà deux enfants, Aloïs junior et Angela, qui vivent sous son toit. Sa femme actuelle, Klara, de 23 ans sa cadette, est à l’origine sa femme de ménage, qu’il a fini par épouser. Les trois premiers enfants du couple sont morts en bas âge. Adolf est le premier à survivre. La généalogie d’Aloïs Hitler, le père d’Adolf, est floue. Né en 1837, il est l’enfant illégitime de Maria Anna Schicklgruber et d’un père… inconnu. L’hypothèse la plus courante prête cette
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SA GÉNÉALOGIE L’A ENSUITE EMBARRASSÉ
paternité à un meunier, Johann Georg Hiedler, qui épousa Maria Anna après la naissance d’Aloïs. En 1877, bien après sa mort, il fut reconnu par l’état civil comme le père officiel d’Aloïs, qui demanda à prendre son nom – «Hiedler» devenant «Hitler». Mais une seconde théorie circule : le propre frère de Johann Georg, Johann Nepomuk, fermier aisé et marié par ailleurs, prit sous son aile Aloïs à ses 10 ans. Il existe une troisième hypothèse, bien plus sulfureuse : le père d’Aloïs Hitler, donc le grand-père d’Adolf, serait un membre d’une riche famille de Graz où sa mère officia comme servante, et qu’il était juif. Cette rumeur circula en Allemagne dès les années 1930, mais elle reste infondée. Enfin, pour corser le tableau, la mère d’Adolf Hitler, Klara Pölzl, est elle-même la petitefille de Johann Nepomuk Hiedler ! Pour l’état civil, les parents d’Hitler sont donc cousins issus de germains. Ils durent même demander, pour leur mariage, une dispense ecclésiastique. Dans la société rurale de l’époque, cette généalogie chaotique n’est pas si surprenante. Mais on comprend que le leader nazi, tellement soucieux de «pureté» génétique, ne s’en soit jamais vanté.
A 10 ans, sur la photo de classe à Leonding, en 1899. Sa sœur Paula déclarera : «Ses camarades devaient obéir à ses ordres. Il fallait qu’ils sentent que sa volonté était la plus forte.»
rapport aux enfants de paysans», note l’historien Lionel Richard, auteur de D’où vient Adolf Hitler ? (éd. Autrement, 2000). Sur le plan psychologique, son sort est moins enviable. Aloïs est rigide et imbu de lui-même, autoritaire et violent avec sa famille. «Chaque jour, [Adolf] avait droit à une bonne dérouillée», racontera sa sœur Paula. Cette brutalité paternelle fut-elle un traumatisme fondateur ? La psychologue Alice Miller le soutient dans son livre C’est pour ton bien (éd. Aubier), en 1980, qui établit un lien direct entre la violence reçue par le petit Adolf et celle qu’il fera subir plus tard. Le journaliste allemand Volker Ullrich, dont la biographie d’Hitler paraîtra en France en 2015, nuance : «Le châtiment corporel est assez courant à l’époque, et ce schéma familial – un père autoritaire et répressif, une mère compensant par sa tendresse – est typique de la classe moyenne.» Une certitude : Hitler n’a pas d’affection pour son père. Sa mort brutale en 1903, d’une crise cardiaque, le touche peu. Adolf Hitler a alors 14 ans et vit une adolescence difficile. En 1900, il a intégré le collège de Linz, à une heure à pied de
18 8 9 - 19 0 6 SOUS LES COUPS DU PÈRE
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Proche de son frère pendant l’enfance, Paula Hitler (ici en mai 1945) s’en éloigna, puis mena une vie discrète de secrétaire. Après la guerre, elle prit le nom de «Wolff» jusqu’à sa mort, en 1960.
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Dans les années 1890, le père d’Hitler déménage plusieurs fois avec sa famille. Le petit Adolf sillonne ainsi la Haute-Autriche, région frontalière de la Bavière allemande. Après Braunau-am-Inn, il grandit à Passau, Lambach, puis Leonding, près de la capitale régionale Linz. A l’école primaire, c’est un bon élève. Comme ses camarades, il joue à la guerre, aux cow-boys et aux Indiens, et dévore les livres d’aventures au Far West écrits par l’Allemand Karl May, qu’il lira encore devenu dictateur. Matériellement, Adolf n’est pas à plaindre. «Avec un père fonctionnaire, il est plutôt privilégié par
LES ORIGINES
chez lui. Ses résultats ont chuté, il a redoublé sa 6 et s’est renfermé socialement. En 1923, suite au putsch raté de Munich, un professeur se souviendra de lui comme d’un garçon «doué, quoique d’un caractère buté. Il avait du mal à se maîtriser ou passait au moins pour récalcitrant, autoritaire». Trouve-t-on alors chez lui un embryon de pensée politique ? Dans Mein Kampf, il se décrit dès l’adolescence comme un «national-allemand fanatique», partisan du rattachement de l’Autriche à l’Allemagne, ennemi des Habsbourg qui dirigent l’Autriche-Hongrie. «Le climat politique à Linz est peutêtre la première source de l’idéologie d’Hitler, observe Lionel Richard. La ville est un centre du mouvement national-allemand. Le pangermanisme est la tendance majoritaire, et Hitler la suit certainement.» Mais à l’époque, il n’est sans doute pas plus antisémite que la moyenne. La xénophobie ambiante cible alors les Slaves, surtout les Tchèques.
1 907 L’ANNÉE TERRIBLE
Adolf Hitler fête ses 18 ans. Deux ans avant, il a quitté le collège sans diplôme. Il le justifie dans Mein Kampf par une maladie pulmonaire et un désintérêt pour l’école. Depuis, il végète à Linz, logé et financé (chichement) par sa mère, choyé par sa sœur Paula et sa tante Johanna. Il flâne, lit, va au théâtre, prend des leçons de piano… Sa seule perspective est de devenir peintre. Depuis l’adolescence, il se passionne pour le dessin et la peinture, et veut en faire son métier. Tant que son père était là, c’était difficile, le vieil Aloïs voulant que son fils soit fonctionnaire.
Mais depuis sa mort, Hitler a le champ libre pour devenir le grand artiste qu’il s’imagine être. Sauf que, confronté à la réalité, ce rêve se change en cauchemar. A l’automne 1907, le jeune Adolf part à Vienne, à 180 kilomètres de Linz, pour passer l’examen d’entrée de la prestigieuse académie des Beaux-Arts. Sûr de son talent, il n’y voit qu’une formalité. En réalité, peu enclin au travail, il n’est pas prêt. L’examen pratique lui est fatal : sa copie est jugée «insuffisante», et il ne fait pas partie des 20 % d’admis, sur 113 candidats. La désillusion est brutale, comme il l’écrit dans Mein Kampf : «J’étais tellement persuadé du succès que l’annonce de mon échec me frappa comme un coup de foudre dans un ciel clair.» Juste après, il apprend que sa mère, atteinte d’un cancer du sein, est condamnée. Elle s’éteint à Linz peu avant Noël 1907. Contrairement à celui de son père, le décès de sa mère le terrasse de douleur. Cette femme soumise et dévouée le couva durant son enfance, et fut sans doute la seule personne qu’il a aimée. Jusqu’au bout, en 1945, il aura sur lui une photo d’elle. Le docteur Bloch, qui traite Klara Hitler, témoignera plus tard de l’intense émotion du jeune homme au chevet de la mourante. Dans ses Mémoires publiées en 1941, il mentionne qu’Hitler était «l’homme le plus triste qu’il n’ai jamais vu». En raison de la situation économique de la famille, le médecin a travaillé en réduisant ses honoraires, parfois même gratuitement. Adolf Hitler le remercia pour ses soins et lui déclara : «Je vous accorde ma gratitude éternelle.» («Ich werde Ihnen ewig dankbar sein»). Or Eduard Bloch, exerçant à Linz depuis 1901, était juif… En 1938, lors de l’invasion de l’Autriche par l’Allemagne, Hitler ordonnera, fait inédit, qu’il échappe aux persécutions, le laissant s’envoler pour les Etats-Unis. Certaines thèses ont paradoxalement vu chez ce médecin l’une des clés de l’antisémitisme d’Hitler : il l’aurait jugé responsable du décès de sa mère. Ebranlé, Adolf Hitler s’agrippe à son rêve d’artiste. Début 1908, le jeune homme s’installe à Vienne pour retenter son admission aux Beaux-Arts.
À Vienne, Hitler recopiait des cartes postales qu’il vendait aux touristes (ici, le Parlement, peint vers 1910). Ses toiles continuent d’exercer une fascination morbide : en 2014, une de ses aquarelles a été adjugée 130 000 € dans une salle des ventes à Nuremberg.
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DEUX FOIS, IL SE VOIT RECALÉ AUX BEAUX-ARTS
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A l’adresse Salzburger Vorstadt 15, à Braunau-amInn (vers 1930), la maison natale d’Hitler. Malgré les efforts de la municipalité, elle est devenue un lieu de pèlerinage pour des néonazis, qui s’y rassemblent le 20 avril, jour anniversaire du dictateur.
190 8 - 19 13 LA DÉCHÉANCE VIENNOISE
Hitler loue une chambre dans le quartier pauvre de la gare de l’Ouest à Vienne. Son camarade August Kubizek, un fils de tapissier de Linz, l’y rejoint – ses Mémoires seront l’une des sources majeures sur la jeunesse d’Hitler. Le jeune Adolf a de quoi voir venir : l’héritage de sa mère et sa pension d’orphelin lui permettent de tenir un an. Il poursuit donc sa vie de dilettante. Le soir, habillé en dandy bas de gamme, il se rend avec Kubizek au théâtre ou à l’opéra, aux places debout, les moins chères. A Vienne, il assouvit son penchant pour Richard Wagner, découvert à Linz ; en 1908, il aurait vu dix fois l’opéra Lohengrin ! Une passion ni originale ni innocente, explique l’historien Johann Chapoutot : «Aimer Wagner est banal. Par sa musique héroïque et ses thèmes de la mythologie germanique, ce compositeur est alors la coqueluche des milieux conservateurs et nationalistes allemands.» En art, Hitler est en fait réfractaire à la nouveauté. Il n’a aucun intérêt pour la modernité foisonnante de la Vienne de 1900, celle de Klimt et de l’Art nouveau. Fin 1908, il échoue à nouveau à l’examen des Beaux-Arts. Commence alors une sombre période d’errance, dont tous les détails ne sont pas connus. Il déménage plusieurs fois et, son argent épuisé, touche le fond. A l’hiver 1909-1910, il couche dans des asiles de sans-abri, voire dans la rue, se réchauffe dans des cafés et fréquente la soupe populaire. A partir de février 1910, il se retrouve au foyer pour hommes de Brigittenau, un établissement d’accueil social récent et confortable. Il y restera trois ans. Rien n’indique qu’il a,
à l’époque, travaillé sur des chantiers comme il le dit dans Mein Kampf : il s’agit sans doute là d’une invention à des fins de propagande. Pour vivoter, l’homme de 21 ans compte plutôt sur ses petits talents d’artiste. Installé dans la salle de lecture de son foyer, il réalise des vues de Vienne à la peinture à l’huile ou à l’aquarelle, que ses «associés» partent ensuite vendre en ville. L’un d’eux, Reinhold Hanisch, sera le témoin principal, quoique controversé, de cette période. Dans cette même salle de lecture, le futur tribun se lance déjà à l’occasion dans des diatribes interminables, qui n’intéressent alors personne. A presque 24 ans, Hitler stagne toujours au foyer pour hommes de Vienne. Usé, sans grade et sans éclat, il a vu filer sa jeunesse, d’échecs en espoirs déçus. Il décide alors de partir pour Munich, la capitale bavaroise, dans son «vrai» pays, l’Allemagne. Deux éléments déclenchent sans doute ce départ. En avril, il peut toucher l’héritage de son père, bloqué jusque-là. De plus, il s’ingénie depuis trois ans à échapper au service militaire de l’Autriche-Hongrie, et estime qu’il peut maintenant franchir la frontière sans risque. Arrivé à Munich en mai 1913, il espère y lancer enfin sa carrière d’artiste, qu’il imagine désormais tournée vers l’architecture. Mais la vie indolente recommence. Jusqu’à la guerre, qui éclate quelques mois plus tard, en août 1914, et le voit s’engager dans l’armée allemande. Cet événement clôturera le chapitre de sa jeunesse ratée, pour ouvrir celui d’un destin qui allait changer le monde. � VOLKER SAUX
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1914-1918
La Grande Guerre du petit caporal En 1914, Hitler n’est qu’un artiste raté mais le premier conflit mondial, auquel il participe, le métamorphose à jamais. Désormais, animé par la haine, il ne rêvera plus que de revanche.
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1914
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Rue des Archives
Noyé dans la foule A Munich le 2 août 1914, Adolf Hitler laisse éclater sa joie à l’annonce de la déclaration de guerre contre la Russie. Aujourd’hui, on pense qu’il s’agit d’une photo truquée.
1914-1918
C 1914-1915
des beaux-arts de Vienne, il végète depuis un an à Munich et vivote de ses aquarelles qu’il vend dans les bars et les brasseries. C’est également dans ces établissements qu’il lit la presse, entend les conversations enfiévrées sur les perspectives de conflit. Il écrira plus tard s’être senti «emporté par un enthousiasme tumultueux» et avoir remercié «de tout son cœur le ciel de lui avoir donné le bonheur de pouvoir vivre à une telle époque». La déclaration de guerre, le 1er août 1914, l’enflamme. Bien qu’Autrichien, il est enrôlé dans l’armée allemande
Deux jours plus tard, il adresse une requête au roi Louis III de Bavière afin de servir dans l’armée. Un comble, quand on sait qu’il a tout fait pour échapper au service militaire dans son pays d’origine. Très vite, la réponse positive de l’administration le transporte de joie. Comment un Autrichien at-il pu se retrouver ainsi incorporé sous l’uniforme allemand ? Il semble que les recruteurs, désorganisés, incapables de faire face à la quantité de volontaires, ont accepté à peu près toutes les candidatures qu’ils recevaient. Dès le 16 août, Hitler reçoit son pa-
quetage et se retrouve affecté dans le 16e régiment d’infanterie de réserve de Bavière (RIR), appelé le régiment List (du nom de son premier commandant, le colonel Julius von List). L’unité regroupe trois mille hommes. Moyenne d’âge : 25 ans. Proportion de ceux qui ont déjà reçu une formation militaire : 30 %. Hitler correspond en tout point au portrait d’une jeune recrue de ce régiment. Les fusils qu’ils apprennent à manier sont archaïques et différents de ceux qu’ils utiliseront au front. Au lieu de casques en métal, on coiffe ces hommes de couvre-chefs en coton et toile cirée censés faire illusion. Raté : à cause de leur forme et de leur couleur on les confond… avec ceux des Britanniques (les hommes de List, au début de la guerre, seront même pris pour cible par leurs propres compatriotes !). En moins de deux mois, leur instruction est terminée. Le 21 octobre, le régiment List quitte la Bavière en train, direction Lille, puis la frontière franco-belge. Premier contact avec le front pour tous ces bleus, et première étape dans les Flandres où Hitler et ses camarades vont passer l’essentiel des quatre années du conflit.
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Baptême du feu dans les Flandres Engagé volontaire, Hitler (à gauche, avec le casque à pointe) est incorporé dans le régiment List, une unité de réserve.
’est une foule exaltée qui se presse, ce dimanche 2 août 1914, sur l’Odeonsplatz de Munich. Au pied de la Feldherrnhalle, un bâtiment construit au siècle précédent par Louis I de Bavière à la gloire de l’histoire militaire bavaroise, le public entonne en chœur des hymnes patriotiques comme Deutschland über alles (L’Allemagne au-dessus de tout) ou encore Die Wacht am Rhein (La Garde sur le Rhin). Adolf Hitler l’a raconté à maintes reprises et l’a écrit dans Mein Kampf, son livre autobiographique. Il se trouvait lui-même sur l’esplanade ce jour-là, communiant avec ferveur avec l’immense manifestation qui célébrait, comme une fête, l’entrée en guerre de l’Allemagne contre la Russie. Il s’était même cassé la voix à force de crier. Arrivé fin mai 1913 dans la capitale de la Bavière, le futur dictateur était jusqu’alors un solitaire, presque un marginal. Depuis la mort de sa mère, sept ans plus tôt, il a coupé les ponts avec sa famille. Recalé deux fois au concours d’entrée de l’Académie
1914
Il sacrifiera sa moustache A son arrivée à l’armée, Hitler porte des bacchantes à la mode de Guillaume II. Il devra toutefois les tailler pour pouvoir enfiler un masque à gaz.
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1914-1918
1916
Une petite blessure en Picardie C’est dans la Somme qu’Hitler a été blessé. Ici, dans ce même secteur, ces soldats allemands sont postés avec leur mitrailleuse.
Car les soldats ne le savent pas encore, mais l’affrontement est parti pour s’enliser. La bataille de la Marne (du 6 au 9 septembre 1914) a mis un terme à la guerre de mouvement, et des deux côtés, c’est une guerre de positions qui débute. Entre les attentes dans les tranchées, les attaques et les contre-offensives sont meurtrières. Le 29 octobre, le régiment List est chargé de déloger les Britanniques du village de Gheluvelt, au sommet d’une colline qui permettrait aux Allemands de s’ouvrir un passage vers Ypres. Officiers ou hommes de troupe, tous les acteurs de cette bataille ont confirmé ensuite le récit qu’en fit Hitler dans Mein Kampf : c’est la fleur au fusil que les hommes montèrent à l’assaut. «Notre jeune régiment, écrit Hitler, était allé au
En quatre ans, l’expérience du front du soldat Hitler n’a duré que onze jours mais a été déterminante combat comme on entre dans la danse, avec un amour brûlant pour la patrie et une chanson aux lèvres.» Après trois jours de combat, la colline est à eux. Mais sur 3 000 soldats, 725 sont encore en état de se battre. La seule journée du 29 octobre a fait 349 morts. L’unité est littéralement décapitée : sur 25 officiers, 4 seulement sont encore valides à l’issue de la bataille de Gheluvelt. Est-ce pour
reconstituer la chaîne de commandement ou pour récompenser sa bravoure qu’Hitler, dès le 3 novembre, est promu au grade de caporal ? Et le 9, on le nomme estafette au quartier général du régiment. Désormais, son rôle sera de porter les messages du poste de commandement. Son expérience du front aura donc duré onze jours. Mais pour l’historien Ian Kershaw, elle fut déterminante. «Il fut alors immunisé contre toute sensibilité à la souffrance humaine», écrit-il dans Hitler, 1889-1945 (éd. Flammarion, 2014), la biographie du dictateur qui fait aujourd’hui référence.
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A Noël, il est ulcéré de voir les combattants pactiser
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L’Histoire d’Hitler racontée aux enfants allemands, livre de propagande nazie publié en 1935, fait un récit édifiant de ses missions : «Il devait courir sous les balles et transmettre les informations entre les officiers.» Il est décrit comme étant toujours disponible pour les courses les plus périlleuses et volontaire pour remplacer ses camarades pères de famille ou épuisés. En réalité, les propagandistes nazis ont habilement mis à profit la confusion entre les différents types d’estafettes qui existaient pendant la Première Guerre mondiale : estafette de compagnie, de bataillon ou de régiment avaient des fonctions bien différentes. Les premiers, et dans une moindre mesure les seconds, exerçaient effectivement un métier à risque : porter les messages du commandement jusqu’aux tranchées, sans la moindre protection, mettait ces soldats à la merci d’une
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1916
En convalescence, à l’arrière En novembre, Hitler (debout, tête nue, au dernier rang) est soigné avec d’autres blessés, à l’hôpital de Beelitz, près de Berlin.
balle perdue. Mais les derniers, eux, se bornaient à transmettre les ordres depuis le quartier général jusqu’aux abris de bataillon, situés à 3 kilomètres des tranchées. Hors de portée des mitrailleuses ennemies, Hitler pouvait toutefois craindre les tirs d’artillerie. Le 17 novembre 1914, un obus tomba justement sur le poste avancé de commandement de son régiment, blessant et tuant la quasi-totalité des occupants. Hitler eut, ce jour-là, son premier coup de chance : il avait quitté les lieux quelques minutes plus tôt. Parmi ses fréquentations de l’époque, un sous-officier sanitaire au QG du régiment List, Alexander Moritz Frey, confirme que le soldat Hitler n’était pas le plus exposé. Dans un livre inspiré par ses années de guerre et publié en 1945, Frey s’adresse à son camarade d’alors : «Tu as accompli
tes devoirs de la façon la plus martiale mais tu l’as fait à l’arrière et, comme moi, avec un certain degré de sécurité […] Notre situation était meilleure que celle de la plupart des gars.» A force de fréquenter les officiers du quartier général, Hitler finit par épouser leurs thèses et leur vision du conflit. Elles sont loin, très loin, de ce qu’éprouvent les hommes en première ligne. A Noël 1914, Britanniques et Allemands décident spontanément d’observer une trêve. Ils fraternisent, même. On baisse les armes et les soldats du régiment List et ceux des régiments Devonshire et Manchester échangent des poignées de main et quelques chopes de bière. Sur le front, non loin de Comines, un match de football est même improvisé. Planqué à l’arrière, il tue le temps en lisant et en dessinant
Loin de l’attendrir, cet intermède fraternel exaspère Hitler. «Une telle idée ne devrait même pas être évoquée en temps de guerre», aurait-il déclaré à son binôme de l’époque, l’estafette Heinrich Lugauer. Une position dans la droite ligne de celle de l’état-major. Dès le 26 décembre, les officiers reprennent la main et ordonnent à leurs troupes de
tirer sur tous les Britanniques qui se risquent hors de leurs tranchées. Durant toute l’année 1915 et jusqu’à la fin de l’été 1916, le régiment List est cantonné dans un corridor à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Lille, tenue par les Allemands. Mal notée par la hiérarchie, sujette comme la majorité des troupes aux désertions, aux automutilations ou à l’insubordination, l’unité d’Hitler n’est utilisée que comme force d’appoint. Malgré ce statut de seconds couteaux, les hommes du rang tombent comme des mouches. Le 10 mars, à Neuve-Chapelle, 243 hommes sont taillés en pièces par les mitrailleuses britanniques. Les 9 et 10 mai, ils parviennent à reprendre le terrain perdu à Fromelles, mais 5 kilomètres plus loin, ils déplorent 309 morts. Un peu plus d’un an plus tard, le régiment laisse 107 morts et 233 blessés sur le même terrain pour repousser les Australiens qui les avaient encerclés. Entre ces batailles, les temps sont plus calmes. Hitler tue le temps à l’arrière. Il lit beaucoup, notamment le
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Avec la mascotte du régiment Hitler, à droite, avec deux autres estafettes, à Fournes-en-Weppe, dans le Nord. Il avait dressé Foxl, un petit chien qu’il gardera avec lui jusqu’en 1917.
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1914-1918
philosophe Schopenhauer, si l’on en croit ce qu’il a déclaré bien des années plus tard, il dessine et se fait bien voir de ses supérieurs. «Courageux et fiable», «modeste et responsable»… les éloges pleuvent sur un bon élément qui évite de trop s’encanailler avec les autres soldats. Pour lui, les postes à l’arrière étaient tenus par des juifs
Ses camarades, eux, le voient autrement. Balthasar Brandmayer, maçon bavarois qui rejoint, en mai 1915, le groupe des estafettes dont fait partie Hitler le décrira plus tard comme très maigre, les yeux noirs enfoncés, le teint plombé, toujours plongé dans la lecture d’un journal. La plupart des témoignages de l’époque concordent : Hitler se tient à l’écart des autres soldats, à la limite de la marginalité, ne boit pas d’alcool et ne fréquente pas les filles. «Je n’ai jamais eu de temps à perdre à ce genre de choses», déclare-t-il à Brandmayer. En fait, le seul être vivant qui semble avoir droit à des marques d’affection de la part d’Adolf Hitler, c’est Foxl, un petit terrier blanc égaré dans le no man’s land entre les lignes ennemies et recueilli par les hommes de la 16e RIR. Hitler s’est entiché de cette mascotte et lui a appris à exécuter quelques tours. Hélas, lors d’un déplacement de son bataillon, le petit chien est porté disparu. «Le salaud qui me l’a enlevé ne sait pas ce qu’il m’a fait», s’emportera Hitler, bien des années après. Fin septembre 1916. L’état-major allemand envoie le régiment List sur le front de la Somme, l’un des plus meurtriers de la Première Guerre mondiale (440 000 morts et disparus, et plus de 615 000 blessés en tout, des deux côtés) Le 7 octobre, un obus tombe sur l’abri des estafettes, situé pourtant à 2 kilomètres du front, blessant et tuant plusieurs agents de liaison. Hitler reçoit un éclat dans la cuisse gauche. Une blessure superficielle, selon les registres des pertes du bataillon. Le caporal
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Hitler est soigné dans un hôpital de campagne, puis rapatrié, du 9 octobre au 1er décembre 1916, à l’hôpital de la Croix-Rouge Beelitz, près de Berlin. De son propre aveu, il est frappé par l’ambiance qui régnait en Allemagne à ce moment-là. A l’hôpital de Beelitz, il est hérissé par les soldats qui s’éternisent pour se faire soigner, ceux qui se vantent de s’être mutilés eux-mêmes pour ne pas retourner au front. La population civile, excédée par les privations, lui semble tout aussi défaitiste et déloyale. Huit ans plus tard, en pleine rédaction de Mein Kampf, il racontera avoir été particulièrement ulcéré de voir la majorité des postes de l’arrière tenus par des juifs. «Presque tous les employés de bureau étaient des juifs, et presque tous les juifs, des employés de bureau», écrit-il. Ce qui est historiquement faux, puisqu’il y avait les mêmes proportions de juifs que de non-juifs dans l’armée
pour prendre une permission et visiter Bruxelles, Cologne, Dresde, Leipzig et Berlin. Puis, à la mi-octobre, il rejoint son régiment dans les environs de Reims. Entre la Somme, l’Oise et la Marne, les hommes du 16e RIR vont vivre la dernière phase de la Grande Guerre. Malgré l’arrêt des hostilités sur le front de l’Est, les nouveaux stratèges allemands, Paul von Hindenburg et Erich Ludendorff, considèrent que leur seule chance de l’emporter est de percer rapidement le front pour prendre Paris. Le 21 mars 1918, la grande bataille de France s’engage. Malgré les 1 800 kilomètres carrés regagnés au plus fort de l’offensive, le 5 avril, c’est le début de la fin. De mars à juillet, l’armée allemande perd 880 000 hommes. Toujours utilisé en soutien des véritables unités d’action, le régiment List n’est pas épargné : à Montdidier, il est amputé de la moitié de ses effectifs en un mois. Envoyées vers Soissons, puis
Pas d’amis, pas d’alcool, pas de filles… Il ne s’encanaille pas avec les hommes de la troupe que dans la population civile en Allemagne. Aveuglé par la haine antisémite, Adolf Hitler refuse d’admettre que beaucoup de juifs s’illustrent au front, et au sein même de son régiment. Peu après sa réintégration, le 5 mars 1917, la bataille de la crête de Vimy, début avril, fait 149 victimes parmi ses compagnons d’arme. Mi-juillet, ils sont pris sous un déluge de feu et de gaz : 4,3 millions d’obus tirés par les Britanniques occasionnent 800 pertes côté allemand. En août, c’est une troupe décimée qui obtient un répit du côté de Mulhouse. Hitler profite de l’accalmie
Reims, pour préparer la seconde bataille de la Marne, les 900 nouvelles recrues qui viennent grossir ses rangs sont décimées : mijuillet, 482 hommes perdent la vie. Et c’est au plus fort de la débâcle, le 4 août, que Hitler obtient la croix de fer de première classe. Les écoliers du IIIe Reich, durant la dictature du Führer, furent obligés d’apprendre que cette distinction lui avait été décernée pour un acte héroïque : la capture, à lui seul, d’une escouade de quinze poilus français. Etrangement, il n’existe aucune mention de cet exploit guerrier dans la lettre de recommandation de Freiherr von
Süddeutsche Zeitung / Rue des Archives
Godin, commandant adjoint du régiment, datée du 31 juillet 1918, qui accompagne la demande de décoration pour le caporal Adolf Hitler. Von Godin réclame la médaille pour Hitler ainsi que pour une estafette du régiment afin de les récompenser d’avoir porté une dépêche importante du QG au front, sous le feu de l’ennemi. Il semblerait même que cette médaille leur aurait été promise dans le but de les motiver. Acte de bravoure certes, mais qui n’a rien d’exceptionnel. D’ailleurs, von Godin devra insister auprès des autorités. Et la croix de fer ne sera finalement accordée à Hitler qu’après plusieurs relances du commandant. Le 15 août, alors que son régiment est envoyé à Bapaume (Pasde-Calais) afin de contenir la poussée alliée, Hitler est à Nuremberg pour suivre une formation de transmetteur. Sa formation terminée, il passe deux semaines à Berlin et ne revient sur le front
que le 27 septembre. C’est dans les Flandres, où sa guerre à commencé quatre ans auparavant, qu’elle va se terminer. Sur les hauteurs de Wervicq, dans la nuit du 13 au 14 octobre, Hitler et plusieurs de ses camarades sont exposés au gaz moutarde. Aveuglés, ils ne parviennent à regagner l’arrière qu’en progressant accrochés les uns aux autres, guidés par le plus valide. Il doit être une nouvelle fois évacué. Il aurait été interné pour «hystérie de guerre»
La version officielle veut que le futur dictateur, toujours atteint de cécité à cause du gaz, ait appris à l’hôpital la reddition de l’Allemagne, la chute de l’empire et la révolution communiste. Des événements qu’il nommera, par la suite, «la plus grande vilenie de l’Histoire». Et qu’il ait immédiatement conçu le projet de se lancer en politique pour participer au redressement de la patrie. Ici
encore, les versions divergent. Un historien britannique, Thomas Weber, a exhumé des archives militaires de Munich les dossiers du régiment List. Il prétend avoir mis au jour ce qui serait un des secrets les mieux gardés du III e Reich. Dans La Première Guerre d’Hitler (éd. Perrin, 2012), il affirme que le futur chancelier allemand, en réalité, n’a jamais été soigné pour une cécité mais pour «hystérie de guerre». Interné à l’hôpital militaire de Pasewalk, près de Berlin, Hitler apprend avec consternation la nouvelle de la défaite. Il rapporte, toujours dans Mein Kampf, s’être jeté sur son lit, la tête brûlante, et ressenti une violence inouïe : «la haine, la haine contre les auteurs de cet événement.» L’artiste raté et marginal se découvre alors une vocation politique. Comme le souligne l’historien Ian Kershaw, «c’est la Première Guerre mondiale qui a � rendu Hitler possible».
1918
Derniers moments sur le front Parmi des estafettes et des officiers, Hitler pose dans un abri. Cette année-là, il obtient – avec difficulté – la croix de fer.
ADRIEN GUILLEMINOT
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Heinrich Hoffmann/Private Collection/The Stapleton Collection/Bridgeman Images
LE POLITICIEN
Au printemps 1934, près d’un million d’Allemands sont rassemblés à Bückeberg pour acclamer leur Führer. Après quinze ans de combats politiques, Hitler détient enfin les pleins pouvoirs.
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Les marches vers le pouvoir Comment Hitler, tribun démagogue en 1919, a-t-il pu devenir chancelier en 1933 ? Son ascension résulte, entre autres, d’un concours de circonstances, d’habiles alliances et de ses talents d’orateur auprès d’un peuple humilié. Récit, étape par étape. PAR JEAN-JACQUES ALLEVI (TEXTE)
akg-images
LE POLITICIEN
La carte d’Hitler au parti des travailleurs (DAP), qui deviendra le NSDAP.
1919
Les débuts en politique
L
e 19 novembre 1918, Hitler rentre à Munich. Que peut-il faire après quatre ans passés dans l’armée ? Rester sous l’uniforme est l’unique voie de salut pour ce «bohémien» qui, avant le conflit, vivotait au gré de la vente de ses peintures. Le voilà donc de retour dans sa ville, désormais capitale de «la République socialiste de Bavière», aux mains des sociaux-démocrates. Même les casernes sont dirigées par des conseils ouvriers. Ce qui ne gêne pas alors Hitler qui est élu représentant de son bataillon durant les semaines de «la dictature rouge», en avril 1919. Toutefois, son hostilité aux révolutionnaires n’est un secret pour personne. Surtout pas pour sa hiérarchie. Après l’écrasement de la révolution communiste, en mai 1919, le capitaine Karl Mayr, commandant la section de renseignements de l’armée, le repère. «On aurait dit un chien perdu, fatigué, en quête de maître… prêt à suivre quiconque lui témoignerait quelque bonté. Le peuple allemand et sa destinée lui étaient alors totalement indifférents», racontera plus tard
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l’officier (cité par Ian Kershaw dans Hitler, éd. Flammarion, 2014). Quoi qu’il en soit, Hitler est affecté au cours d’instruction antibolchevique dispensé par la Reichswehr. Puis il est à son tour recruté comme instructeur. Il laisse libre cours à son antisémitisme virulent et prend conscience de ses talents d’orateur. Le 12 septembre 1919, Hitler, qui fait aussi office d’informateur, est chargé par Mayr de suivre une réunion du parti ouvrier allemand (DAP), l’une des multiples chapelles ultranationalistes de Munich. Au cours de la soirée, Hitler intervient et fait si forte impression que le dirigeant du parti lui propose de les rejoindre. Avec l’accord de son capitaine, Hitler adhère peu après. On lui attribue la carte n° 555. Quelques semaines plus tard, il lance l’idée d’un grand rassemblement. Il a lieu le 24 février 1920 à Munich. La réputation d’Hitler est déjà telle que 2 000 personnes se pressent pour l’entendre détailler le programme du parti. Fin mars 1920, il quitte l’armée pour se consacrer pleinement à sa tâche d’agitateur politique. Sa carrière est lancée. �
Dans les années 1920, Hitler prononçait ses discours dans des cafés et brasseries, comme ici à la Bürgerbräukeller de Munich, à Noël, en 1925.
13 août1920
«Pourquoi sommesnous antisémites ?»
Süddentsche Zeitung/Rue des Archives
C
e 13 août 1920, à la Hofbräuhaus, la plus grande brasserie de Munich, 2 000 personnes sont rassemblées pour écouter Hitler. Il est devenu en quelques semaines l’orateur vedette du parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), émanation du DAP fondé par le serrurier antibolchevique Anton Drexler, en janvier 1919, deux ans plus tôt à Munich. Des centaines d’affiches rouges placardées dans la ville ont annoncé sa «conférence», intitulée «Pourquoi sommesnous antisémites ?» Hitler a prévu, ce soir-là, de consacrer pour la première fois l’intégralité de son discours à la question juive. Deux heures durant, «le tambour» comme il se définit lui-même, inonde les participants de propos d’une rare violence : «Ne croyez pas que l’on peut combattre la tuberculose raciale sans faire en sorte que le peuple se débarrasse du microbe… Tant que nous n’aurons pas éliminé l’agent causal, le juif, de notre sein, l’influence nocive de la juiverie ne disparaîtra pas et l’empoisonnement du peuple se poursuivra.» A cinquante-huit reprises, Hitler est interrompu par des tonnerres d’applaudissements. Durant ces années d’agitation et de propagande intenses, Hitler n’a pas son pareil pour exploiter les traumatismes du passé et adapter ses paroles aux angoisses du moment. Dans ses interventions – soixante-cinq en 1921 dans la seule ville de Munich – il martèle que le «coup de poignard dans le dos» qui aurait, prétendument, conduit l’Allemagne à la défaite en 1918 est le fruit du «complot juif». Tout comme le seraient aussi les soulèvements révolutionnaires qui se prolongèrent jusqu’en 1919. Quant à l’inflation qui dévore le pouvoir d’achat, elle viendrait des commerçants juifs, assène Hitler à ses auditoires électrisés par sa puissance oratoire. Dans la Bavière en proie au ressentiment, ce discours de haine fait mouche. Des centaines de militants affluent. De 3 300 membres en août 1921, le parti nazi passe à 20 000 adhérents à la fin 1922. Entre-temps, fin juillet 1921, Hitler, entré au parti pour le compte de l’armée qui avait besoin d’un mouchard, a été élu à l’unanimité président du NSDAP. �
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LE POLITICIEN
Chronique d’un putsch raté
E
n cet automne 1923, Hitler est plus sûr de lui que jamais. En quelques années, l’agitateur de brasserie est devenu le chef incontesté du NSDAP, le parti nazi. Même l’ancien chef suprême des armées du Reich, le général Ludendorff, figure de proue de l’extrême droite, a apporté son soutien à celui qui, depuis fin 1922, se fait appeler le «Führer». Depuis des mois, Hitler n’a qu’une idée en tête : rééditer en Allemagne ce que Mussolini a accompli en Italie en octobre 1922. Une marche triomphale qui conduirait ses partisans jusqu’à Berlin pour faire tomber «le gouvernement juif et les criminels de novembre 1918». La situation chaotique de l’Allemagne est une occasion rêvée qu’Hitler n’entend pas laisser passer. Politiquement, le pays est en pleine déliquescence. Economiquement, il est au bord du gouffre, en proie à une hyperinflation galopante qui a multiplié les prix de gros par 257 entre janvier et août 1923. En octobre, une place de cinéma coûte 104 millions de marks et un dollar s’échange contre 98 millions de marks ! Quant à l’occupation de la Ruhr par les Français, à partir de janvier 1923, c’est du pain béni dont Hitler fait un terreau fertile pour sa propagande. De mars à novembre 1923, le parti nazi passe de 35 000 à 55 000 militants. Pendant des mois, les rumeurs de conspiration vont bon train à Munich, foyer majeur de la contestation ultranationaliste. A la fin de l’été 1923, l’effervescence monte encore d’un cran quand le nouveau chancelier, Gustav Stresemann, annonce que l’Allemagne va reprendre le paiement des réparations établies par le traité de Versailles. La situation est si grave que l’état d’urgence est proclamé dans le pays. En Bavière, le pouvoir est confié, le 26 septembre 1923, à Gustav von Kahr, nommé commissaire général du gouvernement. Quatorze meetings nazis sont interdits. Pour Hitler, il est plus que temps de passer à l’action. La date du putsch est fixée au 9 novembre. Ce n’est pas un hasard : la veille au soir, von Kahr, entouré de personnalités bavaroises, a prévu de tenir meeting à la Bürgerbräukeller. A 20 h 30, Hitler fait irruption dans cette brasserie proche de Munich. Au milieu des 3 000 participants, il monte sur une chaise, tire un coup de revolver en l’air et annonce que le lieu est cerné par 600 de ses partisans. Hitler entraîne dans une arrière-salle von Kahr, Lossow, commandant de la Reichswher, et Steisser, chef de la police. Il leur déclare qu’il prend la tête d’un nouveau gouvernement et qu’il nomme Ludendorff à la tête de l’armée. Le lendemain 9 novembre, vers midi, 2 000 putschistes quittent la brasserie. Direction le ministère de la Guerre. En tête du cortège, Ludendorff et Hitler
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Bayerische Staatsbibliothek, Munich, avec la collaboration de l’agence La Collection
1923
marchent au coude à coude. Rudolf Hess, Heinrich Himmler, Hermann Göring, Alfred Rosenberg et plusieurs autres futurs piliers du régime nazi sont aussi présents. La colonne armée s’approche de l’Odeonsplatz où des dizaines de policiers ont été déployés. Habituées aux rixes ultraviolentes, les sections d’assaut (SA) d’Ernst Röhm – les milices paramilitaires du parti nazi –s’approchent au plus près du cordon de maintien de l’ordre. Jusqu’à pouvoir appuyer leur pistolet sur la poitrine des agents. Invectives et crachats ponctuent le
face-à-face. Soudain, parti d’on ne sait où, un coup de feu retentit. Dans une totale confusion, policiers et nazis se tirent dessus. Quatre policiers et quatorze putschistes sont tués parmi lesquels le diplomate Max von Scheubner-Richter. Ce dernier s’effondre, semble-t-il, sur Hitler qui, en tombant à terre, se démet l’épaule gauche. Göring, lui, est gravement blessé à la jambe. Röhm, Streicher, Frick, Amann et d’autres nazis sont arrêtés. Ludendorff préfère se rendre. Hitler a le temps de s’enfuir en voiture pour se réfugier chez son ami
Hanfstaengel où il sera arrêté le 11 novembre. Malgré l’échec lamentable du putsch de Munich, Hitler dédiera Mein Kampf aux «martyrs» tombés ce jour-là, puis fera du site des affrontements un haut lieu de pèlerinage nazi. Lui-même reviendra chaque année prononcer un discours à la brasserie et fera ériger en 1935 sur la Königsplatz deux monuments à la mémoire des putschistes. Ces mausolées ont été détruits à la fin de la guerre. Depuis 1993, une plaque rappelle la mort des quatre policiers tombés ce 9 novembre 1923. �
Sur cette image, les putschistes font face à l’armée allemande, le 8 novembre 1923. Au premier rang : Hitler, en gabardine blanche. Il s’agit en réalité d’un photomontage nazi à la gloire du Führer.
Berliner Verlag/Archiv/Leemage
Hitler à la prison de Landsberg, avec ses compagnons putschistes. De gauche à droite : Emil Maurice, Hermann Kriebel, Rudolf Hess, secrétaire particulier du Führer, et Friedrich Weber.
1er avril 1924
Il est condamné à cinq ans de prison
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eux jours après son putsch avorté, Hitler est arrêté le 11 novembre 1923. Il est alors incarcéré dans la forteresse de Landsberg, à 60 kilomètres à l’ouest de Munich. Le directeur de la prison lui a fait préparer la meilleure cellule. Les conditions de détention d’Hitler sont loin d’être inhumaines. Bien au contraire. Au premier étage, la geôle est spacieuse et meublée. Le détenu sort à sa guise. Il retrouve ses compagnons de putsch dans la salle des repas où ils ne manquent de rien. Hitler est libre de recevoir et ne s’en prive pas. Quelque 500 visiteurs défilent ainsi à Landsberg. En février et mars 1924, le procès de Hitler – il est poursuivi pour haute trahison – s’ouvre à Munich, devant un tribunal composé et présidé par un juge acquis au camp nationaliste, alors qu’il aurait dû se tenir devant la Cour du Reich de Leipzig. Un tour de passe-passe juridique imaginé par le gouvernement bavarois, avec
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l’accord des autorités de Berlin, destiné à dissuader le Führer de révéler le nom des dirigeants politiques bavarois mêlés à la conspiration. Avec la complicité tacite du procureur, Hitler transforme les audiences en tribune politique. Le 1er avril 1924, alors qu’il encourait la peine de mort, Hitler n’écope que de cinq ans de prison. Un jugement si clément qu’il fait même scandale dans les rangs de la droite conservatrice. A l’automne 1924, Hitler sollicite une libération conditionnelle. Qu’il obtient dès le 20 décembre 1924. Le général Ludendorff propose de lui envoyer une voiture. Une offre qu’Hitler décline, préférant rentrer à Munich aux côtés d’Adolf Müller, l’imprimeur du parti, avec qui il entend évoquer la publication de Mein Kampf. De retour à son domicile de la Thierschstraße, où il est acclamé et retrouve son chien Wolf, Hitler se met au régime afin de perdre le poids pris durant une captivité tout sauf éprouvante et déterminante pour son avenir politique. �
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18 juillet 1925
Mein Kampf en librairie
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Collection Dixmier/Kharbine-Tapabor
n prison, passée une brève période de dépression, Hitler s’attelle à l’écriture de Mein Kampf, sur une machine à écrire. Une Remington qu’Emil Georg, directeur de la Deutsche Bank et bailleur de fonds du parti nazi, lui a fait parvenir. Quant au papier, c’est Winifred Wagner, la belle-fille du compositeur, qui le lui a envoyé dans un colis de Noël. Hitler reçoit aussi beaucoup de livres. Il dévore Marx et Nietzche. Mais aussi Les Fondements de l’hygiène raciale d’Eugen Fischer et La Genèse du XIX siècle de Houston Stewart Chamberlain. Il travaille jour et nuit, dactylographiant des centaines de pages. Au petit matin, il retrouve ses codétenus dans la salle à manger et leur lit ce qu’il a rédigé. «L’idée, largement répandue à l’époque, que Hitler dicta d’abord à son chauffeur Emil Maurice, puis à Rudolf Hess, tous deux incarcérés pour leur participation au putsch, ne tient pas», affirme Ian Kershaw, (Hitler, éd. Flammarion, 2014). Bien avant sa sortie de détention en décembre 1924, Hitler songe déjà à la publication de son texte, mais les négociations avec plusieurs éditeurs n’aboutissent pas. C’est finalement Eher-Verlag, la petite maison d’édition du parti nazi, qui est chargée de publier la logorrhée du Führer.
Caricature d’Hitler dans le journal allemand Simplicissimus (1925).
Son directeur, Max Amann, décide pourtant d’en retarder la parution. Il juge que le titre choisi par Hitler –Quatre années et demie de combat contre les mensonges, la sottise et la lâcheté – Le 31 décembre 2015, le texte de Mein Kampf tombera dans le n’est pas assez percutant, et il domaine public. Comme pour estime que le texte lui-même n’importe quel autre livre en Allenécessite un profond remaniemagne, l’expiration du délai lément stylistique. «Hitler a écrit gal de soixante-dix ans après la comme il parle et son talent est mort de l’auteur permettra donc plus oral que littéraire», résume à quiconque d’éditer la «bible nazie» sans payer de droits. L’InsAntoine Vitkine (Mein Kampf, titut d’histoire contemporaine de histoire d’un livre, éd. FlammaMunich s’apprête ainsi à publier rion, 2009). Le critique musical une édition intégrale, accomdu journal nazi Völkischer Beopagnée de commentaires. Une bachter, ainsi qu’un pasteur, se première car, depuis la fin de la chargent de retravailler le bréSeconde Guerre mondiale, ce livre est interdit de réimpression viaire. Après plusieurs semaines, dans le pays. Une mesure que le long tapuscrit, qu’Amann a intile Land de Bavière, qui détient tulé Mein Kampf, est prêt à être les droits d’auteur de l’ouvrage imprimé. Le 18 juillet 1925, le livre – les biens d’Hitler, résident de 400 pages sort en librairie. Tiré munichois, ont été confisqués –, à 10 000 exemplaires, il est vendu applique scrupuleusement. 12 marks. Les ventes du volume Malgré les tentatives de la Bavière pour interdire Mein Kampf, sont d’abord plutôt décevantes. l’ouvrage est déjà diffusé dans Fin 1925, 9 473 exemplaires ont plusieurs pays. En France, conété vendus. Sans attendre, Hitler trairement à une idée répandue, s’est déjà attelé à la rédaction acheter ou posséder Mein Kampf d’un second tome qui sort le n’est pas prohibé. Les Nouvelles 11 décembre 1926. A la veille de éditions latines – seul éditeur français à diffuser le livre – en la crise de 1929, le premier volume vendent, disent-ils, 3 000 exema séduit 23 000 acheteurs et le plaires par an. Toutefois, une second 13 000. En 1930, les deux décision de justice datant de tomes sont réunis en un seul 1979 contraint cet éditeur, propavé de 700 pages qui se vend à che de l’extrême droite, à faire 54 000 exemplaires. C’est évifigurer un avertissement juste après la couverture du livre. demment après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, le 30 janvier 1933, que les ventes explosent, atteignant 1 million d’exemplaires à la fin de l’année. Le succès ne faiblit pas… Mein Kampf est édité en braille, en poche ou en version luxueuse. A partir de 1936, les mairies l’offriront aux jeunes mariés. Il sera aussi donné en cadeau à de multiples occasions : de la naissance au départ à la retraite… Au total, de 1925 à 1945, 12,5 millions d’exemplaires ont ainsi été achetés ou distribués. Une affaire qui aurait rapporté l’équivalent d’un million d’euros par an à Hitler, selon Antoine Vitkine, faisant de lui un des auteurs les mieux rémunérés d’Allemagne. �
LE LIVRE MAUDIT
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LE POLITICIEN
1925
Hitler évince son rival Ludendorff
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ce dernier soumette les SA à l’autorité du parti et en fasse une structure d’entraînement des jeunes militants. A l’inverse, Röhm veut que la SA demeure une organisation paramilitaire. Désavoué par Hitler, Röhm est évincé du parti et s’exile en Bolivie. Le Führer a presque les mains libres. Il ne lui reste plus qu’à se défaire de Ludendorff dont les positions outrancières deviennent gênantes. En effet, à la tête de la ligue de Tannenberg, Ludendorff professe que l’Allemagne est non seulement menacée par un complot ourdi par les juifs mais aussi par les jésuites et l’Eglise catholique tout entière. De quoi heurter les électeurs de la très fervente Bavière. Mais se débarrasser de l’ancien chef suprême des armées est une tâche autrement plus difficile. Son prestige est intact, et aux yeux de bien des nationalistes radicaux, le général est la figure de proue du Mouvement nationaliste völkisch, né de la révolution conservatrice de la fin du XIX siècle en Allemagne. La mort du président de la République Ebert offre alors à Hitler une occasion inespérée de parvenir à ses fins. Le Führer manœuvre et pousse Ludendorff à défendre les couleurs nationalessocialistes à l’élection présidentielle du 29 mars 1925, ce que l’officier, sans doute par excès de vanité, accepte sans difficultés. Mais sa candidature tourne au fiasco. Sous la bannière nationale-socialiste, il ne recueille que 1,1 % des voix. «C’est parfait. Nous lui avons porté le coup de grâce», se réjouit alors Hitler (cité par Ian Kershaw dans Hitler, éd. Flammarion, 2014). Ludendorff ne se remet pas de cet échec humiliant et se retrouve marginalisé. La rupture entre l’ancien caporal et l’ex-général en chef est consommée quand, quelques mois plus tard, Hitler accuse Ludendorff d’être… franc-maçon. Peu après l’élection présidentielle, Hitler agit en chef suprême. De nombreux chefs locaux du Mouvement völkisch délaissent Ludendorff et se rallient à Hitler. Le Führer met alors progressivement en place le culte de sa personne. Ainsi, dès 1926, la formule de salutation «Heil Hitler» devient obligatoire dans le parti,que le chef soit présent ou pas. Un culte qui permet au mouvement nazi d’évacuer les luttes intestines qui l’ont longtemps déchiré, d’asseoir son unité et de connaître un essor sans précédent. � Poussé par Hitler, Ludendorff entre en campagne présidentielle en 1925. Interfoto/La Collection
itôt remis en liberté, le 20 décembre 1924, Hitler n’a de cesse de multiplier les démarches pour obtenir que son parti, le NSDAP, interdit depuis son putsch raté de novembre 1923, soit de nouveau autorisé. Grâce à ses relations, Hitler, qui a pourtant été condamné pour haute trahison, est reçu en audience par Heinrich Held, le ministreprésident de Bavière. Le 16 février 1925, le gouvernement bavarois lève l’état d’urgence et permet au NSDAP de reprendre ses activités. Onze jours plus tard, Hitler est de retour à la Bürgerbräukeller. La brasserie de Munich, où seize mois plus tôt il avait lancé son coup de force, est archicomble. Trois mille personnes ont pu trouver une place mais deux mille autres ont dû rebrousser chemin. La plupart des figures nationalistes sont là. Seul le général putschiste Ludendorff, dont les relations avec Hitler se sont détériorées, n’a pas fait le déplacement. Hitler parle pendant plus de deux heures et annonce la refondation de son parti. Alors que les chefs de toutes les factions lui ont prêté allégeance, Hitler ne peut accepter plus longtemps l’autonomie d’Ernst Röhm. Il exige alors que
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1929
La crise profite au Führer
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orsque le 24 octobre 1929, le krach boursier éclate à New York, le parti nazi pèse bien peu. Aux élections législatives de mai 1928, les hommes d’Hitler n’ont guère brillé : seulement 2,6 % des voix et 12 députés au Reichstag. Soit 20 parlementaires nazis de moins qu’au scrutin de mai 1924, au moment où le pays connaissait une inflation telle qu’il fallait 1 million de marks pour s’offrir une miche de pain. A la fin des années 1920, la situation s’est améliorée grâce à de colossaux investissements venus des Etats-Unis. Mais quand, en 1928, la menace d’une récession mondiale se dessine, les prêts américains se tassent, puis se tarissent fin 1929. Les conséquences sont dramatiques. La production industrielle allemande s’écroule de 20 %. A l’été 1931, la crise redouble d’intensité. «Tout s’effondre !», jubile Joseph Goebbels dans le journal nazi Der Angriff. Le chômage atteint des sommets. Au début de l’année 1932, l’Allemagne compte 6 millions d’actifs privés d’emploi et 8 millions de travailleurs au chômage partiel. Avec son cortège de restrictions, la politique déflationniste menée par le chancelier Brüning enfonce le pays dans la misère.
Les effectifs du parti communiste comme ceux du parti nazi gonflent comme jamais. Les rues des grandes villes sont le théâtre de batailles rangées entre les organisations paramilitaires des deux blocs. La petite bourgeoisie, horrifiée par le spectre d’une révolution communiste, se persuade que seul Hitler peut juguler le péril. Habilement, le Führer ne manque pas une occasion de rassurer le pays, martelant que son intention est d’arriver au pouvoir par les urnes. Aux élections législatives de septembre 1930, les nazis raflent 18 % des voix et envoient 107 députés au Reichstag. Après avoir rallié les classes moyennes paupérisées, Hitler tente de séduire le monde des affaires. En janvier 1932, il s’exprime devant 650 dirigeants industriels réunis à Düsseldorf. Il exalte la valeur du travail et la propriété privée, dénonce le danger marxiste. Les élections législatives qui suivent, en juillet 1932, portent les nazis en triomphe : 37,8 % des voix et 230 députés. Avec 100 élus de plus que les sociaux-démocrates, le NSDAP est la première force du Reichstag. Même si, à l’occasion de nouvelles élections organisées en novembre 1932, les nazis perdent 34 sièges, Hitler est aux portes du pouvoir. �
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Interfoto/La Collection
En 1931, une interminable file d’attente pour obtenir de la viande à l’abattoir de Berlin. La politique de déflation du chancelier Heinrich Brüning lui vaut alors le surnom de «chancelier de la faim».
LE POLITICIEN
1925-1932
Hoffmann invente le «style» Hitler
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sur des cartes postales ou des affiches, ces photos contribueront à populariser le Führer. Devenu propagandiste à pleintemps, Hoffmann n’hésite pas à tricher avec la réalité historique. Ainsi, à l’orée de l’élection présidentielle de 1932, il ressort de ses archives une photo prise le 2 août 1914 sur l’Odeonsplatz de Munich (voir page 32). Là, au milieu de la foule qui se presse pour célébrer l’entrée en guerre du Reich, on remarque très distinctement Hitler. Le cliché, vraisemblablement falsifié par Hoffmann, sera largement diffusé pour soutenir «le combat» du Führer. � Artothek/La Collection
n 1925, Henrich Hoffmann, le photographe attitré d’Hitler, emmène celui-ci dans son studio. En une vingtaine de séances, il aide le Führer à construire son image : en costume bavarois, en imperméable, avec son chien… Debout devant l’objectif, Hitler mime aussi un discours qu’un gramophone diffuse. Hoffmann réalise des clichés montrant, tour à tour, le chef nazi «combatif», «menaçant», «visionnaire» ou «ironique». Les épreuves sont soumises à Hitler qui sélectionne lui-même celles qui seront publiées. Reproduites
Adolf Hitler s’est inspiré de la gestuelle des chanteurs d’opéra.
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1933
Le coup de dés d’Hindenburg
Le 30 juin 1933, Hitler, tout juste nommé chancelier du Reich, s’incline devant le président Hindenburg. A gauche, on reconnaît Hermann Göring, ministre sans portefeuille du nouveau cabinet, et Joseph Goebbels, avec son haut-de-forme.
Rue des Archives
D
’août 1932 à janvier 1933, le président du Reich, le maréchal Paul von Hindenburg, résiste à Hitler, refusant de lui ouvrir les portes de la chancellerie. «Ça, un chancelier ! J’en ferai tout juste un ministre des Postes, comme ça, il me léchera le cul en collant des timbres», s’exclame-t-il en privé (cité par Antoine Vitkine dans Mein Kampf, histoire d’un livre, éd. Flammarion, 2009). Le 13 août 1932, à l’issue les élections législatives que les nazis remportent avec 37,8 % des voix, Hindenburg reçoit Hitler. Ce dernier exige le pouvoir total. Le maréchal reste inflexible. Le Führer ressort furieux de cette entrevue humiliante. En novembre 1932, de nouvelles élections législatives sont organisées. Elles sont décevantes pour les nazis qui reculent à 33,1 %. Le 19 novembre, Hindenburg propose à Hitler d’entrer dans une coalition gouvernementale. Celui-ci refuse. La situation politique est paralysée. Début décembre, le nouveau chancelier, Kurt von Schleicher, tente alors un audacieux coup de poker : faire imploser le parti nazi en débauchant l’une de ses figures majeures, Gregor Strasser, en conflit avec Hitler. Le 3 décembre, lors d’une réunion secrète, Schleicher offre à Strasser le poste de vice-chancelier. Mais la tentative avorte courant janvier. Un autre personnage entre dans ce jeu de dupes : depuis début janvier 1933, l’ex-chancelier von Papen intrigue pour revenir au pouvoir. Il est reçu par Hitler. Papen informe alors Hindenburg que le Führer est désormais prêt à participer à un gouvernement de coalition. Le 11 puis le 19 janvier, de nouvelles rencontres ont lieu entre les deux hommes. Hindenburg se montre toujours hostile à la nomination d’Hitler à la chancellerie. De son côté, Schleicher commence à susciter un certain effroi : il veut nationaliser l’industrie et démanteler les domaines en faillite pour les redistribuer aux chômeurs. De quoi susciter l’indignation d’Hindenburg, lui-même grand propriétaire. Schleicher propose aussi de dissoudre le Reichstag. Ce que Hindenburg refuse. Schleicher démissionne le 28 janvier. Le président demande alors à Papen de trouver une solution avec Hitler. Comme il le réclamait, Hitler obtient le poste de chancelier. Frick s’installe à l’Intérieur. Göring est ministre sans portefeuille. Le Führer accepte que les autres ministères soient attribués à des conservateurs. Papen devient vice-chancelier. Hindenburg se dit agréablement surpris par une telle «modération». La manœuvre d’Hitler est habile. Elle fonctionne au-delà de ses espérances. Le 30 janvier 1933, le maréchal Hindenburg nomme officiellement Hitler à la chancellerie du Reich. Goebbels exulte : «Exactement comme dans un conte de fées.» �
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Le 3 septembre 1933, Hitler prononce son discours lors du «Congrès de la victoire de la foi» à Nuremberg. Le NSDAP est désormais le parti unique du IIIe Reich.
LE POLITICIEN
1933 -1934
P
eu après la nomination d’Hitler à la tête du gouvernement, le 30 janvier 1933, le vice-chancelier von Papen rassure l’un de ses amis : «D’ici deux mois, nous aurons poussé Hitler dans un coin et vous ne l’entendrez plus piailler.» A cette illusion de courte durée succède, en réalité, l’élimination systématique des adversaires. L’incendie du Reichstag qu’il a lui-même orchestré, le 27 février 1933, fournit à Hitler un prétexte pour éradiquer les communistes. Dès le lendemain du sinistre, il fait adopter un décret réduisant les libertés fondamentales. A partir du 20 mars, des dizaines de milliers d’opposants sont envoyés dans le camp de concentration de Dachau, ouvert pour l’occasion sur le terrain d’une ancienne usine.
Le 23 mars, le chancelier fait voter un amendement à la Constitution qui lui permet de promulguer une loi en se passant du Reichstag et de la signature du président du Reich. Hitler détient alors les pleins pouvoirs. Le 7 avril, les juifs sont exclus de la fonction publique et des médias. Le 2 mai, les syndicats sont dissous. Fin juin, le parti social-démocrate se saborde, puis les autres partis sont supprimés. Le 14 juillet 1933, le NSDAP devient parti unique. Enfin, lors de la Nuit des longs couteaux, le 30 juin 1934, Hitler élimine ses adversaires de l’intérieur : la SA est décimée. Le 1er août 1934, le cabinet instaure le cumul des fonctions de président du Reich et de chancelier. Lors du plébiscite du 19 août 1934, ces mesures sont approuvées par 89,9% des Allemands. Hitler règne désormais en maître absolu sur le Reich. � GEO HISTOIRE 53
Mary Evans/Rue des Archives
L’instauration de la dictature
FOCUS
Un pacte avec le diable ?
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Collaboration, le pacte entre Hollywood et Hitler (éd. Bayard), le chercheur américain Ben Urwand s’appuie sur des archives allemandes pour développer une thèse inédite. Et inquiétante. Non seulement les studios américains se seraient tus sur le péril nazi et le sort des juifs, mais Hollywood, alors en plein âge d’or, aurait travaillé volontairement avec Hitler, refusant de produire toute œuvre hostile au régime afin de ne pas se couper d’un marché porteur (le second après les Etats-Unis). Dans les années 1930, entre vingt et soixante nouveaux films américains furent importés en Allemagne, attirant des millions de spectateurs, dont le premier d’entre eux, Adolf Hitler. Très cinéphile, le Führer se faisait projeter les derniers films américains, et raffolait même de Blanche-Neige et les Sept Nains (1937) et des comédies de Laurel et Hardy. Fasciné par le cinéma, Hitler notait lui-même les films en trois catégories
«Pour obtenir ce succès et ce battage médiatique, les studios américains furent contraints de payer un prix terriblement élevé», raconte Ben Urwand. Celle d’une collaboration, d’un pacte avec le diable… Ou plus exactement d’une Zusammenarbeit («travailler ensemble»), le terme qu’utilisaient alors les studios hollywoodiens pour décrire leur relation avec les officiels nazis. C’est un bien étrange manège que décrit Urwand : Georg Gyssling, le consul nazi à Los Angeles, était régulièrement invité par les nababs des studios à approuver le contenu de certaines productions avant leur sortie.
Difficile d’évaluer l’impact d’un tel personnage sur les films de l’époque, mais certains détails sont troublants. En 1937, la Warner sortait La Vie d’Emile Zola, long-métrage inspiré de l’affaire Dreyfus qui divisa la France à la fin du XIXe siècle, avec l’acteur juif Paul Muni dans le rôletitre. A aucun moment, le mot «juif» n’était prononcé dans le film ni la question de l’antisémitisme abordée. Succès public et critique (le film rafla l’Oscar du meilleur film cette année-là), La Vie d’Emile Zola reflète la tiédeur des Américains à appréhender, même indirectement, le phénomène raciste qui s’accentuait en Europe dans les années 1930. Dans ces conditions, les projets ouvertement politiques, tels que The Mad Dog of Europe, sur l’éclatement d’une famille allemande après la prise du pouvoir d’Hitler, ne vit jamais le jour faute de soutien des studios, tout comme la satire sur le fascisme, It Can’t Happen Here, que la MGM devait tourner avec James Stewart. Dans cet «asservissement» des studios, Hitler aurait eu une place centrale. Fasciné par le cinéma, il n’hésitait pas à noter luimême les films en trois catégories («bon», «mauvais» ou «interrompu» quand il ne daignait pas aller jusqu’au bout), ce qui influençait les verdicts du comité de censure allemand. Dans la Ullsteinbild / Roger-Viollet
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u cinéma Mozartsaal de Berlin, on compte presque autant de policiers que de spectateurs. Ce soir de décembre 1930, dans une atmosphère électrique, on projette A l’Ouest rien de nouveau, un film américain sur la Première Guerre mondiale. Lorsque l’écran s’allume, la salle s’enflamme. Des spectateurs hurlent : «A bas le gouvernement d’affameurs qui autorise un tel film !» Au premier rang, Joseph Goebbels, député du parti nazi, se lance dans un discours contre une œuvre jugée antimilitariste, avant que ses camarades ne lâchent boules puantes et souris blanches au milieu de la foule… Il faudra attendre un peu plus de deux ans pour qu’Hitler arrive au pouvoir, mais les nazis, passés de 12 à 107 députés aux élections de septembre 1930, viennent de prouver leur capacité de nuisance. Une semaine après les troubles au cinéma berlinois, A l’Ouest rien de nouveau est retiré des écrans par le comité de censure, sous la pression d’Hitler. A la grande fureur du président d’Universal Pictures, Carl Laemmle, juif d’origine allemande, qui déclarera «avoir perdu un potentiel commercial significatif, parce que ce film aurait été une énorme réussite financière en Allemagne si sa distribution n’avait pas été perturbée». Comment éviter d’autres scandales et ne pas froisser la susceptibilité des Allemands ? Et surtout, à partir de 1933, comment continuer à distribuer des productions hollywoodiennes dans un IIIe Reich obsédé par le racisme, l’antisémitisme et le désir de revanche ? Dans
Jusqu’à l’orée de la guerre, les grands studios américains auraient ménagé Hitler et les nazis. Avant de les combattre.
rubrique «mauvais», même un divertissement anodin comme Tarzan (1932) ne passa jamais la frontière, au motif qu’«il contredisait les idées fondamentales du national-socialisme et de la propagande officielle». Ami de la réalisatrice Leni Riefenstahl, le Führer connaissait parfaitement la manière dont les films pouvaient influencer l’opinion. Dans le chapitre de Mein Kampf consacré à l’art oratoire, il dénigrait ainsi l’importance des livres. Selon lui, seule compte la «parole parlée» pour convaincre les masses : «L’image apporte à l’homme dans un temps beaucoup plus court […] la démonstration qu’il ne pourrait retirer d’un écrit qu’après une lecture fatigante.» Hitler avait compris que l’Allemagne, brocardée durant la Première Guerre mondiale par des films américains comme To Hell with the Kaiser ! (1918), avait aussi perdu la bataille des images. Et il ne souhaitait pas la voir de nouveau tournée en dérision. Alors, plutôt qu’affronter la propagande des Américains, pourquoi ne pas les anticiper pour mieux les museler ? Truffé de révélations, le livre d’Urwand souffre pourtant d’une lacune, celle de porter des jugements a posteriori. Un écueil dénoncé par l’historien anglais Thomas Doherty, auteur de Hollywood and Hitler (éd. Columbia, 2013, non traduit). «Parler de “collabora-
tion” relève de la calomnie. Cela reviendrait à mettre Hollywood et le régime de Vichy sur le même plan, comme si les producteurs avaient sciemment travaillé avec le IIIe Reich. Aujourd’hui, n’importe quel contrat avec les nazis semble impensable. Mais ce n’était tout simplement pas le cas dans les années 1930.» Un rigoureux code de censure muselait les majors américaines
Les majors n’avaient pas non plus tous les pouvoirs. Pourquoi un producteur comme Laemmle, qui avait dépensé une partie de sa fortune afin d’aider sa famille et ses amis restés en Allemagne à fuir le régime nazi, n’avait-il pas lancé un brûlot contre Hitler et la menace qui se profilait ? Probablement parce qu’il n’avait pas toutes les cartes en main. En effet, depuis 1934 et le code Hays aux Etats-Unis, il était quasiment impossible de distribuer une œuvre sans l’accord de la Motion Picture Producers and Distri-
LE DICTATEUR CINÉPHILE
En 1938, à l’Ufa-Palast de Berlin, Hitler assiste à la première d’une production allemande avec Joseph Goebbels (à sa gauche).
butors of America (MPPDA), qui interdisait les excès de violence, les évocations à caractère sexuel, et plus étonnant, les images pouvant porter offense à un pays étranger («Foreign countries should be treated fairly»). Que le censeur en chef du MPPDA, Joseph Breen, fut antisémite, n’a probablement pas arrangé les choses… Dans son livre, Doherty rappelle que, malgré cette législation contraignante, des productions se sont attaquées au régime nazi, telles que le docu-drama Hitler’s Reign of Terror de Cornelius Vanderbilt, qui ne put obtenir son visa d’exploitation, mais qui fut malgré tout projeté pendant deux semaines à New York, en 1934. L’auteur souligne que si l’Allemagne était considérée comme un marché lucratif à ne pas négliger, Hollywood a constitué un refuge pour les artistes ayant fui le pays (Billy Wilder, Fritz Lang, Ernst Lubitsch, Marlene Dietrich…) et que c’est une major, la Warner, qui tourna le premier grand film ouvertement anti-Hitler, Les Aveux d’un espion nazi. En 1939, certes un peu tard… Comble de l’ironie, Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazie, avoua dans son journal qu’il ne l’avait «pas trouvé malhabile» ni dangereux ! Urwand et Doherty s’accordent néanmoins sur un point : tout changea à l’approche de la guerre. Répondant à l’appel du président Roosevelt, les huit grands studios hollywoodiens se mirent au service du gouvernement afin de produire fictions, documentaires et dessins animés destinés à motiver les troupes ou à dénoncer l’idéologie nazie (on conseillera le livre de Michel Viotte, La Guerre d’Hollywood, 1939-1945, éd. de la Martinière). Avec génie, Lubitsch tournait en dérision les persécutions des SS et du Führer dans To Be or Not to Be (1942). Chaplin se grimait en Hitler-Hynkel dans Le Dictateur (1940). Et même Donald Duck enfila l’uniforme SS pour dénoncer la brutalité nazie. Hollywood avait enfin trouvé son «méchant» ultime, qui allait, des décennies plus tard, s’opposer à Indiana Jones, à Captain America et à d’autres héros yankees. Urwand regrette qu’Hollywood, qui en avait les moyens, n’ait pas alerté plus tôt le monde de la menace nazie. Mais c’est bien le monde entier qui n’a pas vu qu’au-delà du Rhin, le dictateur cinéphile mettait en route son film-catastrophe. � FRÉDÉRIC GRANIER
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LE MANIPULATEUR
L
e 23 juin 1940, Adolf Hitler, au sommet de sa puissance, se promène dans un Paris conquis : la France, «ennemie mortelle de l’Allemagne», vient d’être balayée en moins d’un mois par la Wehrmacht. Le Führer peut savourer la victoire du Blitzkrieg (la guerre éclair), mais aussi celle d’une tactique au long cours : depuis sept ans, il était parvenu à ménager et à tromper son ennemi héréditaire. Retour, en huit questions, sur une habile stratégie de séduction et de dissimulation.
La France voit-elle venir la menace hitlérienne avant 1933 ? Personne ne voit le danger. Un exemple de cet aveuglement ? Léon Blum, commente dans son éditorial du journal Le Populaire, le 8 novembre 1932, l’éclipse électorale que traverse alors le parti nazi en Allemagne : «Hitler est désormais exclu du pouvoir : il est même exclu, si je puis dire, de l’espérance même du pouvoir.» Fin politique mais médiocre prophète, le leader de la SFIO n’est pas le seul à se leurrer, car aux élections législatives, le NSDAP vient de perdre du terrain, avec un score de 33,1 %. Les communistes, par contre, progressent, obtenant 16,9 % des voix. Ce que Blum et les nombreux observateurs internationaux ne comprennent pas encore, c’est que l’essor du parti communiste va provoquer une crispation de la droite allemande qui pense désormais qu’Hitler représente le meilleur moyen de prévenir le «péril rouge». Moins d’un trimestre plus tard, il sera nommé chancelier du Reich par Hindenburg.
Quand le Führer arrive au pouvoir, en 1933, quelle est la réaction de la France ? La surprise est totale. Mais le pays cède-t-il pour autant à la panique face à l’élection d’un fasciste ouvertement raciste et francophobe ? Pour l’historien François Delpla, auteur d’Hitler, 30 janvier 1933 (éd. P. Galodé, 2013), passés les premiers instants de fébrilité, la nomination du chef du parti nazi ne fait pas de vagues : «Le nouveau chancelier désamorce la situation, en faisant savoir, dès l’après-midi du 30 janvier,
que la politique extérieure de l’Allemagne restera inchangée.» La manœuvre est habile : dans les journaux, on dépeint le phénomène Hitler comme l’effet d’une mode ou comme un soufflé qui ne peut que retomber. Le Temps, journal officieux du Quai d’Orsay, qualifie le personnage de populiste sans grande envergure : «Il est possible que le nouveau chancelier s’use rapidement, et que son immense popularité ne résiste pas à la faillite de la réputation de faiseur de miracles qu’on lui a faite.» «Démagogue», «peintre en bâtiment», «général Boulanger» – cet officier populaire en qui l’extrême droite française porta un temps ses espoirs – sont les qualificatifs qui reviennent le plus souvent dans la presse française. «Les Français n’ont pas perçu d’emblée les dangers nouveaux que le régime hitlérien allait leur faire courir», écrit ainsi l’historien Jean-Baptiste Duroselle dans La Décadence, 1932-1939 (Imprimerie nationale, 1979). Le nouveau chancelier n’avait certes pas encore les pleins pouvoirs : Hitler dans un gouvernement de coalition était moins dangereux qu’un Hitler dictateur… «L’attitude de la France en ce 30 janvier 1933 marque le début d’un malentendu, explique François Delpla. Celui d’un pays qui n’a longtemps pas pris la mesure d’un habile stratège qui n’était ni manipulé par ses alliés conservateurs, ni simplement porté par les évènements. En faisant d’Hitler une simple brute, on l’a profondément sous-estimé. On a parfois du mal à admettre qu’un fou puisse être intelligent.»
Le gouvernement français aurait-il pu s’opposer au chancelier du Reich ? La timidité des gouvernements français à combattre frontalement le phénomène hitlérien s’explique en une phrase : «Plus jamais ça !» Dans les chansons, dans les journaux, sur les monuments aux morts, la même litanie rythme l’après-guerre. Après les 9 millions de victimes de 1914-1918, les gueules cassées et les traumatismes, l’heure est au maintien de la paix. L’arrivée d’Hitler au pouvoir ne change pas la donne : on ne veut pas voir le danger qui se profile, d’autant que le Führer, s’il met l’Allemagne au pas, reste plutôt timoré sur le plan diplomatique, avançant ses pions de manière progressive : sortie de la Société des Nations en 1933, réarmement, annexion de la Sarre en 1935… Cette «politique
COMMENT HITLER A
Dans les années 1930, il est parvenu à détourner l’attention des gouvernements
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Le 23 juin 1940, au petit matin, Hitler effectue une visite express dans Paris, accompagné d’une escorte de fidèles, dont l’architecte Albert Speer (à sa droite). La capitale l’éblouit par son faste.
Ullstein Bild/Roger-Viollet
TROMPÉ LA FRANCE
français successifs sur ses intentions belliqueuses. Chronique d’un grand bluff.
LE MANIPULATEUR
AUPRÈS DES PACIFISTES, IL MULTIPLIA LES des petits pas» prend brusquement fin le 7 mars 1936 lorsque le chancelier ordonne à ses troupes de réoccuper la rive gauche du Rhin, violant l’engagement sur lequel la France comme la Belgique avaient fondé leur sécurité. S’il y avait un moment où la France pouvait mettre un frein au péril hitlérien, c’était bien celui-là : la provocation de l’Allemagne est alors évidente, et en 1936, la Wehrmacht nouvellement armée n’est absolument pas en mesure de faire face à une attaque militaire française. Un rendez-vous manqué… Mais la France n’est pas la seule coupable dans ce jeu de dupes : «La tolérance internationale a toujours été le meilleur adjuvant d’Hitler, note François Delpla. Avant la crise de la Rhénanie, février 1933 aurait été le meilleur moment pour le stopper, sans même avoir besoin d’une guerre préventive. Il suffisait d’une mise en quarantaine, d’une non-reconnaissance par la SDN d’un ennemi déclaré de tout internationalisme et des traités de 1919. Et Hitler se retrouvait isolé…»
Pourquoi les gouvernements français ne se sont pas plus mobilisés contre lui ? Lors de la crise de la Ruhr, en 1936, Albert Sarraut, le chef du gouvernement de centre droit, déclare «Nous ne laisserons pas Strasbourg exposée au feu des canons allemands». Mais il n’accompagne d’aucun acte ses menaces… Et pour cause : la hantise de la droite, qui sait que toute action belliqueuse serait mal perçue par les électeurs, est de voir déferler la gauche pacifiste au pouvoir. Ce qui sera d’ailleurs le cas un mois plus tard avec le triomphe du Front populaire aux élections législatives. Sans surprise, il n’y a pas plus de réaction de la part du nouveau gouvernement : face à l’expansionnisme hitlérien, la France continue de se caler derrière sa ligne Maginot, attendant une crise que chacun sait inévitable. Blum, Daladier et la gauche font-ils preuve de lâcheté, de renoncement ? Ce serait aller un peu vite… Quatre mois plus tard, la guerre civile espagnole mobilisera les antifascistes français, et des milliers d’entre eux s’engageront dans les Brigades internationales pour combattre Franco. Des ressources existaient, alors pourquoi les Français ne se sont-ils pas davantage mobilisés contre Hitler ? Dans 1933, Hitler prend le pouvoir (éd. Complexe, 1985), l’historien Georges Goriely esquisse une réponse : «En Espagne, l’enjeu apparaissait clair. Un peuple en lutte pour sa liberté contre les forces coalisées de la réaction : cléricalisme, militarisme, féodalité, grand capitalisme… En Allemagne, au contraire, le peuple semblait uni pour défendre ce qu’il tenait pour sa “libération nationale”. Et bien peu d’hommes,
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tant dans le pays qu’à l’étranger, soupçonnaient la nature monstrueuse des passions qui animaient sinon les masses, du moins celui à qui elles s’étaient livrées.»
Quel regard portait Hitler sur la France ? Mein Kampf ne laisse pas beaucoup de place à l’ambiguïté sur les intentions du Führer : «Notre objectif primordial est d’écraser la France. Il faut rassembler d’abord toute notre énergie contre ce peuple qui nous hait. Dans l’anéantissement de la France, l’Allemagne voit le moyen de donner à notre peuple sur un autre théâtre toute l’extension dont il est capable.» Pour Hitler, la France est un «ennemi héréditaire» qu’il faut abattre coûte que coûte. Moins pour reprendre l’AlsaceLorraine («une sottise politique») que pour avoir les mains libres dans l’expansion vers l’est et la reconquête de l’«espace vital», le Lebensraum. Celui qui se vante d’avoir capturé quatorze Français durant la Première Guerre mondiale désigne ainsi la France comme un ennemi à abattre en raison de ses manœuvres antiallemandes, qu’il considère d’ailleurs comme naturelles : «Je ne croirai jamais à une modification des projets que la France nourrit à notre égard ; car ils ne sont, au fond, que l’expression de l’instinct de conservation de la nation française. Si j’étais Français et si, par conséquent, la grandeur de la France m’était aussi chère que m’est sacrée celle de l’Allemagne, je ne pourrais et ne voudrais agir autrement que ne l’a fait, en fin de compte, un Clémenceau.» Pour Hitler, la guerre entre les deux ennemis est donc inévitable.
Pourquoi a-t-il voulu interdire son livre Mein Kampf en France en 1934 ? Dix ans après sa publication en Allemagne, Mein Kampf est distribué dans les librairies françaises par les Nouvelles Editions latines (proches de l’Action française, antihitlérienne) qui tirent 8 000 exemplaires du brûlot. Apprenant la nouvelle à Berlin, Hitler entre dans une colère noire. La raison ? L’éditeur a sciemment choisi de traduire littéralement le texte, et non de proposer une version expurgée et remaniée, comme le Führer l’avait demandé pour les déclinaisons internationales de son best-seller. Sa réaction ne se fait pas attendre : via ses avocats, il demande la mise au pilon de l’ouvrage, une amende de 1 000 francs par exemplaire et des dommages et intérêts d’un montant de 10 000 francs. Hitler aurait-il renié ses écrits ? L’explication est plus simple : dans le contexte du début des années 1930, la publication d’un ouvrage aussi francophobe entre en contradiction avec la stratégie diplo-
SIGNES D’APAISEMENT Bien malin celui qui pouvait deviner les intentions du «penseur» Hitler (photomontage satirique signé Marinus, publié en France en 1935).
Jacob Marinus Kjeldgaard/Alinari/Roger-Viollet
matique du Führer. Considéré comme un écrivain propriétaire de son œuvre, et défendu en France par la Société des gens de lettre, Hitler gagne finalement son procès. Ce n’est que quatre ans plus tard qu’il autorisera les Editions Fayard à sortir une version expurgée, dont certains passages auraient pu lui valoir un tonnerre d’applaudissements à la Société des Nations : «La frontière entre l’Allemagne et la France est définitivement fixée. Les peuples français et allemands égaux en droit ne doivent plus se considérer comme ennemis héréditaires mais se respecter réciproquement.»
A-t-il fait du «lobbying» auprès des Français ? Une lecture attentive de Mein Kampf aurait pu éclairer sur les intentions du Führer qui, dès 1924, vante les effets de la propagande dans la victoire. Parallèlement aux traditionnels rouages diplomatiques, Hitler s’emploie ainsi patiemment à séduire les secteurs d’influence dans les années 1930. Dès 1934, il nomme Ribbentrop, pas encore ministre des Affaires étrangères du Reich, à la direction du Bureau dédié aux opérations spéciales internationales. Avec en ligne de mire l’Angleterre, mais surtout la France. Auprès des associations françaises d’anciens combattants, très puissantes dans l’après-guerre, Ribbentrop présente le dictateur comme un modéré, voire comme un pacifiste. Nouvelle étape en 1935 avec la création du Comité France-Allemagne. Dans Hitler et la France (2014, éd. Perrin), l’historien Jean-Paul Cointet décrit le manège mené par cette organisation : «Il ne s’agit plus de jouer auprès de mouvements de masse la comédie du pacifisme et de la réconciliation franco-allemande, mais de développer des réseaux d’amitié dans des chapelles, des groupements, de cibler des vecteurs d’influence.»
A l’initiative de Ribbentrop et d’un ancien pacifiste allemand devenu nazi, Otto Abetz, des conférences, des concerts, des voyages et des réceptions sont organisées afin de promouvoir «l’amitié» entre les deux pays.
Quels étaient ses relais en France ? La proximité idéologique aurait pu inciter Hitler à se lier avec les fascistes français et la droite anticommuniste. Mais dans les années 1930, l’extrême droite reste majoritairement germanophobe, à l’image de Charles Maurras, le chantre du nationalisme intégral. A travers le comité France-Allemagne, Hitler, qui demeure une figure sulfureuse dans les cercles politiques officiels, se tourne donc vers l’autre camp, du côté de la gauche pacifiste, des germanophiles et des apolitiques. Le comité séduit alors des écrivains (en 1934, Jules Romains écrit Le Couple France-Allemagne, l’académicien Louis Bertrand se fend deux ans plus tard d’un très flatteur Hitler) mais aussi des artistes, des journalistes… En première ligne : Jean Luchaire, le directeur du journal Notre Temps. Figure mondaine venue de la gauche, ce proche d’Abetz, présente son ami au ToutParis et dans les cercles diplomatiques français… En 1940, la voie de Luchaire (très vite rebaptisé «Louche Herr» par ses détracteurs) est toute tracée : cet «idiot utile» de la propagande nazie prend naturellement le chemin de la collaboration lorsque son ami Abetz devient ambassadeur à Paris. A la Libération, Luchaire et d’autres germanophiles, pour qui les chefs d’accusation remontaient à bien avant 1940, seront traduits devant la Haute Cour de Justice et condamnés à mort.
Sa perception de la France a-t-elle changé après 1940 ? Lorsque le chancelier visite la capitale française juste après sa victoire, en juin 1940, il n’a pas de mots assez grands pour décrire ses impressions : «Paris est pour moi un modèle.» Devant l’Opéra Garnier, l’amateur de Wagner s’écrie : «C’est le plus beau théâtre du monde !» Puis il se rend aux Invalides et s’incline devant le tombeau de Napoléon I. Mais ce respect pour l’«ennemi héréditaire» se transforme vite en indifférence, voire en mépris. A ses yeux, la France n’est pas digne d’être un allié, et il contemple avec distance les offres de collaboration active des Doriot, Déat, Laval… Jean-Paul Cointet raconte, qu’à partir de 1942, Hitler considère définitivement la France non comme un partenaire, mais un «fournisseur». L’ennemi mortel est devenu un simple supplétif. � FRÉDÉRIC GRANIER
GEO HISTOIRE 59
LE BÂTISSEUR
LA CITÉ MONUMENTALE DU NAZISME
Germania, ici reconstituée en 3D, vue depuis la coupole de la Halle du peuple (Volkshalle). Elle devait être la capitale du «Reich de mille ans», selon le concept du Führer.
Le projet d’un
GERMANIA mégalomane PAR WILLIAM IRIGOYEN �TEXTE� ET TIM WEHRMANN �ILLUSTRATIONS�
Dès 1923, Hitler avait imaginé des travaux titanesques pour transformer Berlin en «capitale du monde». Autopsie d’un rêve qui aurait pu devenir réalité. GEO HISTOIRE 61
UNE ARTÈRE PLUS IMPOSANTE QUE LES CHAMPS�ÉLYSÉES
UNE PLACE INSPIRÉE DES ALLÉES PHARAONIQUES
Longue de 1 000 mètres et large de 330 mètres, la place de la gare du Sud devait être, selon la volonté d’Adolf Hitler, bordée d’armes prises à l’ennemi. Un modèle architectural inspiré des voies royales de l’Egypte antique. Le Führer avait en tête la célèbre allée des Béliers, entre Karnak et Louxor.
62 GEO HISTOIRE
TETIERE LE BÂTISSEUR TOURNE L’ARC DE TRIOMPHE, HOMMAGE AUX MORTS DE 14�18
Hitler avait prévu de faire graver dans le granit les noms des soldats morts durant la Grande Guerre. Il fallait à tout prix que l’architecture imposante fasse oublier la défaite allemande de 1918. L’édifice devait être deux fois plus haut que son homologue français.
LA VOLKSHALLE, GRANDIOSE BASILIQUE NAZIE
LA PRACHT� STRAßE, AVENUE DE LA SPLENDEUR
Cette grande artère aurait traversé Berlin du nord au sud sur 13 kilomètres. La construction de onze ministères était prévue sur cet axe.
A la pointe septentrionale de l’avenue de la Splendeur devait trôner la Halle du peuple (Volkshalle). Le Führer voulait un édifice imposant coiffé d’une coupole. Son point culminant aurait trôné à 290 mètres de haut. Le bâtiment aurait pu contenir dix-sept fois la basilique Saint-Pierre de Rome et accueillir 180 000 personnes.
UN VAISSEAU DE VERRE ET DE MÉTAL
Hitler et Albert Speer, son architecte, avaient imaginé un édifice imposant, qui devait surpasser le Grand Central Terminal de New York (3 hectares). Mais malgré ses dimensions hors normes, cette gare n’avait pas pour vocation de devenir la plus grande d’Europe, rôle dévolu à celle de Munich.
LA GARE DU SUD, DIGNE D’UN FILM DE SCIENCE�FICTION
LE BÂTISSEUR
UNE TERRASSE POUR ADMIRER LE NOUVEAU BERLIN
Au sommet de la gare du Sud, une esplanade devait permettre de contempler le nouvel urbanisme hitlérien. De là, le visiteur aurait pu admirer, au loin, la fameuse coupole de la Halle du peuple (Volkshalle) ou le grand bassin.
DES TRAINS AUSSI RAPIDES QUE DES TGV
Plus de vingt ans avant l’apparition du Shinkansen japonais, plus de quarante ans avant celle du TGV, Adolf Hitler et Albert Speer avaient imaginé un nœud ferroviaire accueillant des trains à deux étages, mesurant 6 mètres de large et 7 mètres de haut, et roulant à 250 km/h.
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LE BÂTISSEUR
DEUX GARES POUR GERMANIA
Deux grandes gares devaient être édifiées aux extrémités de l’avenue de la Splendeur. Si les plans de la gare du Sud avaient été réalisés, il restait à imaginer ceux de la gare du Nord. Cette dernière (qui n’apparaît pas sur ce dessin) devait jouxter le bassin.
UN BASSIN GIGANTESQUE, À L’AMÉRICAINE
Juste derrière la Halle du peuple, Hitler et Speer avaient songé à construire un bassin de 1 100 mètres de long sur 350 mètres de large, qui n’est pas sans évoquer celui du Washington Monument. Il aurait reflété l’imposant Volkshalle, clou de la mégalomanie architecturale nazie. C’est autour de ce plan d’eau qu’aurait aussi dû être construit le nouvel hôtel de ville.
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LE FÜHRER MÉPRISAIT LES ÉTATS�UNIS MAIS S’INSPIRA… DE WASHINGTON
C
e ne sont que des cartes et des maquettes. Mais elles fascinent déjà les journalistes et les curieux qui sont venus admirer le projet architectural qu’Hitler a pensé pour Berlin. Organisée le 28 janvier 1938, la présentation est un triomphe. Les commentaires des organes officiels, peu avares en hyperboles dès qu’il s’agit du Führer, sont dithyrambiques : «De ce désert de pierre émergera la capitale d’un Reich de mille ans», affirme le Völkischer Beobachter. Mais, plus surprenant, la presse étrangère ne tarit pas d’éloges sur un chantier démesuré. «Peut-être le plan le plus ambitieux de l’ère moderne», écrit le New York Times, peu suspect de sympathie à l’endroit du régime nazi. Le projet Germania est né ce jour-là, même si ce nom de baptême ne sera utilisé qu’à partir de 1942. Pour Hitler, le triomphe est total. Car Germania est son projet, qu’il a mis en œuvre avec Albert Speer, «l’architecte en chef». Le premier l’a pensé, le second a pour ordre de lui donner vie. Presque cinq ans jour pour jour après avoir été élu à son poste, le chancelier du Reich a réussi une nouvelle fois à marquer les esprits et à signifier qu’avec lui, l’Allemagne allait enfin changer d’ère. Quinze ans auparavant, en 1923, alors en détention après sa tentative ratée de putsch à Munich, Hitler noircissait déjà ses carnets de plans urbains les plus fous, comme le révélera Albert Speer dans ses Mémoires (Au cœur du Troisième Reich, éd. Fayard, 2011). Ce dernier a été fasciné par le chef suprême depuis qu’il le vit pour la première fois en décembre 1930. Trois mois plus tard, il entrait au parti nazi et accédait au cercle restreint du Führer en gagnant sa confiance. On lui attribua d’abord de menus travaux puis d’immenses chantiers comme à Nuremberg pour le congrès du
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NSDAP. Issu de la haute bourgeoisie, Albert Speer a bénéficié d’une certaine autonomie au sein de la garde rapprochée du chef et se permit d’amender quelques décisions urbanistiques d’Hitler qui, adolescent, avait un temps rêvé de devenir lui-même architecte. Germania devint rapidement le projet de tous les superlatifs. Historien de l’art et auteur d’Architektur in Berlin, 1933-1945 (éd. Lukas, 2004, non traduit), Matthias Donath voit dans ce gigantisme «l’expression visible de l’Hybris», la démesure nationale-socialiste. «L’idée de Speer, explique-t-il, était de transmettre l’idée que les hommes sont minuscules et perdus dans l’immensité, qu’ils ne sont que des éléments constitutifs de la masse composant la communauté nationale.» Nouvelle ville, nouvelles dimensions, nouvelle philosophie… La mégalopole aurait besoin d’un épicentre. Le noyau dur de l’urbanisme hitlérien serait donc constitué de deux axes : nord-sud et est-ouest. Le cardo (axe nord-sud qui structure la cité) et le decumanus (voie estouest) romains furent donc remis au goût du jour. «Votre mari va bâtir pour moi des édifices comme il n’y en a plus depuis quatre millénaires», aurait dit Hitler à Margarete, la femme d’Albert Speer, en 1934. Ces mots étaient alors sur le point de se vérifier. La ville ressemble à celle de Métropolis, le film de Fritz Lang
Avec ses 13 kilomètres de long traversant verticalement Berlin se serait dressée la Prachtstraße (avenue de la Splendeur). Avec, à son extrémité septentrionale, la Volkshalle (halle du Peuple), coiffée d’une immense coupole conférant à l’édifice une dimension métaphysique. Selon Matthias Donath, «l’idéologie nationale-socialiste possédait des caractéristiques religieuses. La mise en scène des événements de masse avait tout d’une liturgie. L’axe nord-sud devait servir à sacraliser cette mise en scène.» Magnifier le spectacle de la mort aussi, celle des 2 millions de sol-
UN DÉLIRE ARCHITECTURAL INSPIRÉ DE LA ROME IMPÉRIALE dats allemands tombés au champ d’honneur en 1914-1918. Leurs noms devaient être gravés sur un Arc de Triomphe trônant plus au sud sur l’avenue et dont les dimensions auraient fait passer son homologue des Champs-Elysées pour un nain architectural. Adolf Hitler avait certes l’ambition de faire de Berlin un joyau à l’égal de Paris ou de Vienne, mais il avait d’autres modèles en tête pour sa capitale : cinéphile, il s’est certainement inspiré de la ville futuriste de Metropolis (1927) de Fritz Lang, un film qu’il admirait. Mais New York et ses bâtiments démesurés le fascinaient aussi, notamment la Grand Central Station qu’il souhaitait surpasser avec sa future gare censée accueillir des trains à deux étages qu’il a imaginés roulant à... 250 km/h.
LE BÂTISSEUR
Et comment ne pas penser au plan d’eau du Washington Monument en voyant le dessin de l’immense bassin dans lequel l’imposante architecture de la Volkshalle aurait dû se refléter ? Si Albert Speer était très influencé par le Paris d’Haussmann, Adolf Hitler, lui, réalisait une forme de synthèse urbanistique. Du moment que cela se voyait, que cela en imposait… A l’époque, il n’était pas le seul à rêver du mariage du gigantisme et du futurisme. La monumentalité urbanistique était à l’œuvre à Moscou, à Paris ou encore à Rome. Mais le nazisme la voulait ultime. L’axe nord-sud avait son pendant horizontal, moins «splendide» que la Prachtstraße, moins étendu aussi (8 kilomètres). La superposition de ces deux structures représentait une croix aux quatre extrémités de laquelle seraient construits des aéroports. Et qu’importe s’il fallait fermer celui de Tempelhof qui n’avait que quinze petites années d’existence. Il serait transformé en parc d’attractions sur le modèle du Tivoli à Copenhague. Hitler pensait aussi à un boulevard périphérique et à des autoroutes dont certaines seraient reliées par un ingénieux système de tunnels sans aucun feu de signalisation.
Du passé, faisons table rase. Hitler pensa faire reconstruire une nouvelle chancellerie en lieu et place de l’ancienne qualifiée de «bâtiment indigne » qui ressemblait à une «boîte de cigares». Détruire et reconstruire, ou bien réutiliser mais en changeant l’emplacement : la Colonne de la Victoire (Siegessäule) a ainsi été déménagée. Elle devait servir de «relais-optique» à la Prachtstraße. Tout devait porter la nouveauté, fût-elle hétéroclite. D’ailleurs, qualifier ce vaste ensemble architectural berlinois demeure une gageure. «Néo-empire» est peut-être le terme le mieux adapté. D’abord parce qu’il évoque la grandeur antique, celle des Grecs et des Romains, voire bien plus ancienne, des Egyptiens. Cela n’avait sans doute pas échappé au propre père d’Albert Speer qui, découvrant les maquettes et les plans de Germania s’écria : «Vous êtes devenus fous.» Les travaux commencèrent en 1938. Ils devaient s’achever en 1950. Selon Albert Speer, Hitler
LA PLACE ADOLF HITLER
La place la plus monumentale de Germania aurait dû accueillir la Halle du peuple mais aussi, côté ouest, la nouvelle chancellerie ainsi que le palais du Führer avec ses appartements privés. En face, côté est, trône le Reichstag.
était persuadé de ne pas vivre longtemps pour voir son grand œuvre. D’où cette volonté permanente de veiller au bon déroulé du projet. Tout du moins du point de vue architectural. Car jamais le Führer ne s’est soucié des conséquences humaines. Il expropria nombre de juifs berlinois, qui finiront dans les camps de concentration.Il utilisa aussi des milliers de travailleurs forcés, qui furent transportés à Berlin pour édifier ce projet mégalomaniaque. Celuici devait être le premier d’une longue série (le Führer songeait déjà à remodeler d’autres villes du Reich : Munich, Francfort, Linz…). Des lampadaires dessinés par Speer subsistent encore à Berlin
Mais le rêve d’Hitler se brisa en 1943, fracassé par la guerre et les bombardements alliés. De l’épicentre du projet pour la capitale rien ne fut réutilisé, recyclé. Oubliés l’Arc de Triomphe, la grande gare, les aéroports, la Volkshalle. D’autres constructions nazies prévues avant Germania ont toutefois survécu, comme le stade olympique ou encore le ministère de l’Air du Reich occupé aujourd’hui par le ministère fédéral des Finances. Et certaines artères de Berlin sont encore éclairées par des lampadaires dessinés par Albert Speer lui-même. Ce passage à la postérité ne fut pas la seule victoire de l’architecte. Il échappa à la peine capitale lors du procès de Nuremberg, villesymbole de son ascension fulgurante au sein de l’appareil nazi. Il s’éteignit en 1981 à Londres après avoir connu un immense succès éditorial grâce à l’édition de ses Mémoires. Il y décrit notamment les derniers jours d’Adolf Hitler en février 1945, quelques mois avant la capitulation du «Reich de mille ans». Retranché dans son bunker avec son dernier carré de fidèles, le Führer trouvait encore le temps et l’énergie de dessiner des plans pour la ville de Linz. Incapable de lâcher, même sous les bombes, son rêve architectural… � WILLIAM IRIGOYEN
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L’ENTOURAGE
COMPLICES, RIVAUX Ils l’ont admiré, l’ont suivi jusqu’au bout de sa folie,
MARTIN BORMANN
HEINRICH HIMMLER
LE MOMENT CLÉ Nazi convaincu, Alfred Rosenberg, l’un des théoriciens du parti, décrivait ainsi les déjeuners à la table d’Hitler, en 1934 : «Le Führer s’irritait d’une réflexion, d’une mesure prise, d’un film : Bormann prenait des notes. Si quelque chose paraissait confus, Bormann se levait ; il ne tardait pas à revenir en déclarant qu’il avait chargé ses services d’élucider immédiatement l’affaire…» AVEC LE FÜHRER C’est grâce à ses qualités d’organisateur que ce fils d’employé des postes, né en 1900, se fait d’abord remarquer. Fréquentant les milieux ultranationalistes, c’est naturellement qu’il intègre en 1926 le parti nazi. On lui confie de menues tâches, on prend de haut le «grattepapier»… Mais Bormann parvient à se rendre indispensable en tant que directeur de la caisse de secours du parti. Tout s’accélère en 1933 lorsque Hitler est nommé chancelier. Celui-ci, en effet, a confié à Rudolf Hess la mission stratégique de «représentant du chef aux affaires du parti», au sein du NSDAP. En réalité, c’est Bormann, chef de cabinet de Hess, qui exerce le pouvoir. Peu à peu, le subalterne sort de l’ombre : l’année suivante, Bormann assume des missions qui le rapprochent d’Hitler. Impossible d’obtenir un rendez-vous avec le chancelier sans avoir obtenu le feu vert de cet employé qui ne porte aucun titre particulier. Ce sera chose faite en 1941, après l’arrestation de Hess en Angleterre : Bormann, nommé à la tête de la chancellerie du parti, participe aux activités à caractère législatif. Puis, à partir d’avril 1943, il cumule cette fonction avec celle de «secrétaire du Führer». LA FIN Avec le suicide d’Hitler, le 30 avril 1945, le pouvoir de Bormann se vide de sa substance. L’homme disparaît le 1er mai. A Nuremberg, il sera condamné à mort par contumace pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité : son corps ne sera retrouvé que trente ans plus tard, à Berlin. �
LE MOMENT CLÉ Juillet 1942. Heinrich Himmler, ministre de l’Intérieur, chef de la Gestapo et de la SS, visite le camp d’extermination d’Auschwitz. Impassible, il assiste à une séance de gazage des déportés. Au sein de l’appareil nazi, c’est bien là le rôle dévolu à ce personnage à l’aspect insignifiant : Himmler veille à la mise en œuvre de chacun des détails des projets d’Hitler et, en premier lieu, de la «Solution finale», qui allait causer la mort de 6 millions de juifs. AVEC LE FÜHRER C’est en 1923 qu’Himmler, âgé de 23 ans, adhère au parti nazi. Immédiatement, le jeune homme est fasciné par Hitler en qui il voit le sauveur de la «race germanique» dans une conception du monde qui amalgame nostalgie du SaintEmpire germanique et délires racistes. Son idéal, Himmler s’emploie à le concrétiser dans l’escadron des SS que lui confie le parti dès 1929. A son titre de Reichsführer de la SS s’ajoutent bientôt ceux de ministre de l’Intérieur et de chef de la police secrète. Himmler, qui n’en répond qu’à Hitler, trouve des solutions rationnelles pour concrétiser ses obsessions : déportations massives, exécutions… Ainsi, à partir de mai 1941, sur le front de l’Est, il met sur pied des commandos, qui, dans le sillage de la Wehrmacht, exécutent massivement des juifs, des communistes et des tziganes. LA FIN A mesure que la défaite se précise, ce fanatique, apparemment loyal, noue des contacts informels avec des résistants, tente de discrètes négociations avec les forces alliées. Le 20 avril 1945, Himmler fête l’anniversaire du Führer dans son bunker. Mais trois jours plus tard, convaincu de l’irréversibilité de la défaite, il se pose en négociateur pour l’Allemagne auprès des Alliés et leur propose une capitulation sur le front Ouest, déchaînant la colère d’Hitler. Après le suicide de celui-ci, il tente de s’enfuir incognito. Rattrapé par les Alliés, emprisonné, Himmler se suicidera au cyanure le 23 mai 1945. � Picture Alliance/Rue des Archives
L’exécuteur de la «Solution finale»
Tallandier/Rue des Archives
L’ambitieux subalterne
ET DAUPHINS
mais parfois tenté de le trahir…Portraits des proches d’Hitler. PAR ANNE DAUBRÉE (TEXTE)
ERNST RÖHM
RUDOLF HESS
LE MOMENT CLÉ «Vous êtes en état d’arrestation !» hurle Hitler. Flanqué de deux policiers, il vient de faire irruption dans une chambre d’une petite pension de Bad Wiessee, en Bavière. Ernst Röhm, chef des SA, sort brusquement de son sommeil. Ce 30 juin 1934, c’est la fin, pour lui et ses violentes sections d’assaut (SA), les chemises brunes qui ont assuré l’accession d’Hitler au pouvoir. AVEC LE FÜHRER «Comme je suis un être mauvais et dépourvu de maturité, la guerre et le désordre me plaisent davantage que le bon ordre bourgeois», disait Röhm. Durant la Première Guerre mondiale, il se bat avec ardeur, écope d’une gueule cassée. Et l’officier continue à assouvir sa soif de brutalité même après la défaite, à coup d’actions violentes. C’est au moment où il se fait un nom qu’il rencontre Hitler. Quand ce dernier prend la tête du NSDAP en 1920, il lui confie l’organisation d’un groupe de combat. Röhm s’acquitte de sa mission avec enthousiasme : trois ans plus tard, les SA, 3 000 ex-soldats à la dérive, membres de corps francs et criminels, multiplient manifestations et assassinats. Mais après l’échec du putsch de 1923, Hitler s’efforce de donner une apparence de respectabilité au parti et Röhm est exclu. Il émigre en Bolivie, en 1928. Deux ans plus tard, le voilà à nouveau au commandement des SA, Hitler ne parvenant pas à discipliner les chemises brunes. En 1934, Röhm règne sur près de 3 millions d’hommes. Devenu très puissant, il n’hésite pas à clamer sa désapprobation pour la stratégie du NSDAP qu’il juge molle. LA FIN Sa popularité suscite l’inquiétude de Göring et d’Himmler qui convainquent Hitler de l’écarter. Résultat, du 29 au 30 juin 1934, plusieurs centaines de SA sont assassinés au cours de la Nuit des longs couteaux. Et Hitler décide de l’élimination de son compagnon des premiers jours, exécuté trois jours plus tard à Munich. �
LE MOMENT CLÉ Ce soir de mai 1920, la vie du jeune Rudolf Hess bascule. Brasserie minable, public clairsemé… L’orateur qui se déchaîne contre le traité de Versailles n’est pas un tribun d’exception. Et pourtant… «Cet inconnu qui vient de parler, je ne sais plus son nom. Mais si quelqu’un peut nous délivrer de Versailles, alors je suis sûr que ce sera cet homme-là», dit-il , exalté, à sa fiancée. Jusqu’au bout, Hess restera attaché à son idole révélée ce jour-là, Adolf Hitler. AVEC LE FÜHRER Hess s’est engagé avec ardeur dans le premier conflit mondial. Après la défaite, il milite dans les milieux antisémites, cherchant un sauveur pour la patrie. Dès qu’il rencontre Hitler, Hess se met à son service et participe au putsch de 1923. Les mois passés en prison le rapprochent de son leader, et Hess l’assiste dans la rédaction de Mein Kampf. A la nomination d’Hitler comme chancelier, il est propulsé numéro deux du parti. Hess découvre les plaisirs de la popularité. Le travail sur les dossiers, en revanche, le stimule peu, et il délègue ses tâches à son secrétaire Bormann sans se rendre compte que le Führer prend ses distances… Lorsqu’il comprend qu’il ne fait plus partie du premier cercle, il se réfugie dans les sciences occultes. Sourciers et voyants défilent à son domicile, au déplaisir d’Hitler qui, un temps, pensait en faire son dauphin. «J’espère que Hess ne sera jamais obligé de me remplacer», confie-t-il à Göring en 1937. LA FIN Hess, désireux de regagner les bonnes grâces du Führer , imagine un plan rocambolesque pour faire changer d’avis la Grande-Bretagne qui a déclaré la guerre à l’Allemagne. La nuit du 10 mai 1941, seul, il atterrit en parachute en Ecosse, dans l’espoir d’intercéder auprès de Churchill. Il est fait prisonnier. «Comment Hess peut-il me faire cela ?» hurle Hitler. Hess sera condamné à la prison à perpétuité en 1946. On le retrouvera pendu en 1987 dans la prison où il aura passé près d’un demi-siècle. � Süddeutsche Zeitung/Rue des Archives
Le disciple qui a déçu le maître
Abaca Press
Le concurrent neutralisé
GEO HISTOIRE 71
TOUS ONT ÉTÉ, CHACUN À LEUR TOUR, KARL DÖNITZ
ERWIN ROMMEL
Le héros de la guerre
LE MOMENT CLÉ «Je me suis toujours conduit selon ma conscience, et si c’était à refaire, j’agirais de même», assène Karl Dönitz face aux jurés du tribunal de Nuremberg, le 8 mai 1946. Droit dans ses bottes, celui qui se prétend «soldat apolitique» répond à l’accusation de crimes de guerre pour son rôle de commandant en chef de la marine du III Reich. AVEC LE FÜHRER A seulement 25 ans, au cours de la Première Guerre mondiale, Dönitz obtient le commandement d’un sous-marin, navire pour lequel il nourrit alors une passion. Malheureusement pour lui, le Traité de Versailles prive l’Allemagne de sa marine. Dépité, le jeune militaire prête d’autant plus volontiers serment à Hitler, en 1934, que les deux hommes partagent la même haine pour la République. Mais ce n’est que quelques années plus tard, en 1939, quand la bataille contre l’Angleterre fait rage, qu’un exploit de Dönitz attire l’attention du Führer : le 14 octobre, un sous-marin allemand coule un cuirassé d’escadre anglais après s’être glissé dans la très protégée baie de Scapa Flow. Dönitz est nommé commandant en chef de la marine en 1943. Il fait désormais partie de la garde rapprochée du Führer qui le considère comme un collaborateur particulièrement zélé. Car Dönitz n’a aucun scrupule à s’insurger en public contre le «poison juif» et à envoyer ses troupes à la mort au nom du Reich. «Nous devons tout au Führer, le national-socialisme a résolu tous les problèmes du peuple allemand. En conséquence, un soldat ne peut avoir qu’un seul objectif : soutenir notre Führer jusqu’au bout», déclare-t-il en 1944. LA FIN La fidélité de l’amiral Dönitz lui vaut de se voir nommer président du Reich pour succéder à Hitler, juste avant le suicide du Führer. Dönitz négocie alors la réédition de l’Allemagne avec les Alliés. Fait prisonnier et jugé, il n’écope que de dix ans de prison. Il mourra libre, en 1980. �
LE MOMENT CLÉ Au printemps 1943, l’Afrikakorps est en pleine déroute dans les sables libyens. Au même moment, à Berlin, il est en train d’accomplir des exploits… dans la bouche du général Rommel. Devant les caméras du ministère de la Propagande, le militaire participe à une émission radiophonique à la gloire des généraux victorieux du Reich. Car le redoutable stratège qui a fait trembler les Alliés s’est aussi largement prêté au jeu de la propagande nazie en acceptant d’incarner à la perfection le héros aryen. AVEC LE FÜHRER Durant la Grande Guerre, Rommel est décoré de la distinction suprême : «Pour le mérite». Après la défaite de 1918, la volonté de reconquête d’Hitler plaît au jeune militaire qui poursuit sa carrière : pour lui, le nouveau chancelier représente une «chance pour le pays». C’est au hasard d’une cérémonie que Rommel fait la connaissance du Führer. Promu colonel en juillet 1937, Rommel s’enthousiasme pour celui qui remilitarise alors l’Allemagne. Avec l’entrée en guerre, le colonel enchaîne les missions. Après la Pologne, c’est l’Afrique, en 1941. En février, Rommel débarque à Tripoli, à la tête de l’Afrikakorps. Il progresse tellement, qu’outrepassant les ordres, il finit par se trouver en position de menacer le canal de Suez, vital pour le ravitaillement britannique. Un exploit. La réputation de Rommel, devenu général, devient mondiale. Le «renard du désert» est sur tous les fronts : en Italie, puis en Normandie, en juin 1944, pour tenter d’empêcher le Débarquement. LA FIN En juillet 1944, blessé lors d’un attentat, Rommel repart pour l’Allemagne. Alors qu’il est convalescent, des généraux attentent à la vie d’Hitler. Celui-ci, persuadé de la complicité de Rommel (qui aurait accepté de remplacer le Führer en cas de coup d’Etat), lui propose une alternative : procès pour trahison ou suicide assorti de funérailles nationales. Le 14 octobre 1944, Rommel choisit le suicide. Le pouvoir camoufle la vérité et lui organise des funérailles grandioses… �
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Le successeur désigné
L’ENTOURAGE
LE « F I L S P R É F É R É » DU FÜHRER HERMANN GÖRING
JOSEPH GOEBBELS
LE MOMENT CLÉ «Je sais que Göring est feignant. Il a laissé la Luftwaffe à l’abandon. Et il est corrompu. […] Mais avant tout, il est morphinomane depuis des années. Je le sais depuis longtemps», confie Hitler à ses proches, lors d’une réunion à la Chancellerie, en 1944, officialisant la déchéance d’un ancien héros de l’aviation. AVEC LE FÜHRER Les prouesses de pilote de chasse d’Hermann Göring, en 1914-1918, lui ont valu la distinction suprême. Fasciné par Hitler, le jeune homme s’engage sans réserve dans l’aventure nazie. Lors du putsch raté de 1923, il est en première ligne et en ressort blessé. Hospitalisé, il est soigné à la morphine à laquelle il restera dépendant. Son dossier médical le caractérise alors comme «hystérique violent». Rétabli, il s’emploie à donner une image respectable du NSDAP : à Berlin, il séduit des industriels, qui remplissent les caisses du parti, et des hommes politiques. Sa popularité aide Hitler à gravir les marches du pouvoir, et dès 1933, le Führer compte beaucoup sur Göring qui devient numéro deux du gouvernement. A la tête de la police, il terrorise les opposants politiques, massacre les SA… En préparation de la guerre, il est aussi chargé de l’économie et de remettre sur pied la Luftwaffe. Mais en 1938, Hitler trouve que l’ami des débuts a pris trop d’autonomie et décide de s’en éloigner. Quand les troupes allemandes envahissent la Tchécoslovaquie, le 15 mars 1939, Göring, qui est parti jouer au tennis en Italie, n’est même pas mis au courant… LA FIN La disgrâce de Göring s’accroît avec les revers subis par la Luftwaffe à partir de 1941. Ecarté du pouvoir, il se réfugie dans son château. Il y organise des réceptions où il parade en kimono, contemple les toiles de maîtres pillées à travers l’Europe. Alors que le Reich s’écroule, en avril 1945, il tente de sauver sa peau en pactisant avec les Alliés, mais il est capturé. Condamné à la pendaison à Nuremberg, il se suicide au cyanure dans sa cellule. �
LE MOMENT CLÉ «Dans tout l’ouest de Berlin, comme dans tous les autres quartiers de la capitale où les juifs continuent à se pavaner insolemment, pas une seule vitrine d’un magasin juif n’est restée intacte. Malgré tout, les Berlinois se sont comportés avec la plus grande discipline et ils ont contenu leur colère», écrit le journal Völkischer Beobachter en novembre 1938. L’organe de presse officiel du parti nazi obéit aux ordres du ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, qui travestit en révolte populaire les assassinats commis par le régime lors de la Nuit de cristal. AVEC LE FÜHRER Esprit brillant, mais chétif et boiteux, Goebbels connaît une jeunesse difficile et pauvre. Le jeune homme, frustré de voir ses écrits refusés par les éditeurs, adhère au parti nazi en 1924, où il voit ses talents remarqués par Hitler, juste sorti de prison. Commence alors une période exaltante pour Goebbels, nommé responsable du parti dans les secteurs «rouges» de Berlin : haranguant la foule au cœur des quartiers communistes, il s’ingénie à susciter des affrontements violents… Avec l’arrivée au pouvoir des nazis, Goebbels, devenu ministre, met en place un redoutable outil de manipulation de l’opinion publique. Presse, télévision, cinéma, radio, cérémonies fastueuses… Tous les moyens de communication sont mis au service de son idole. Avec la guerre, les tâches redoublent : il faut préparer les campagnes militaires en convainquant l’opinion publique de leur bienfondé. En juillet 1944, Hitler, troublé par l’attentat fomenté contre lui, attribue à son ministre de plus larges pouvoirs. Il le nomme «plénipotentiaire pour la guerre totale». Goebbels se déchaîne alors, envoyant sur le front des dizaines de milliers d’Allemands, recrutant aussi bien des enfants que des vieillards. LA CHUTE Après le suicide d’Hitler, Goebbels sera le seul à le suivre jusque dans la mort : il empoisonne tous ses enfants, avant de se suicider avec sa femme dans le jardin du bunker du Führer, le 1er mai 1945. � BCA/Rue des Ariches
Le maître de la propagande
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L’ami embarrassant
GEO HISTOIRE 73
FOCUS
Des femmes sous influence
L
orsqu’il me regardait, je sentais des gouttes de sueur descendre entre mes seins. Je n’osais même pas dire merci, moi qui m’étais promis de lui tenir un grand discours.» Comme elle le raconte dans son journal intime, Ilse Braun, la sœur d’Eva, rencontra Hitler au réveillon 1939. Et comme bien d’autres Allemandes, elle tomba immédiatement sous son charme. Car la vie du Führer est jonchée de milliers de lettres d’amour passionnées, mais aussi de scènes d’hystérie, de tentatives de suicide et de dévouement jusque dans la mort. Hitler, un gentleman charismatique ? Cela n’a pas été toujours le cas. Avantguerre, le jeune Adolf, qui se rêve artiste peintre, est timide. A 16 ans, il observe, sans oser l’aborder, une camarade de classe, Stephanie Isak, et lui écrit des poèmes. Célibataire jusqu’à 30 ans, c’est probablement auprès de prostituées qu’il fut déniaisé. «Il faut avoir vu ça une fois dans sa vie», affirme-t-il à son ami August Kubizek quand il l’emmène dans le quartier interlope de Vienne, en 1918. Mais la guerre le transfigure. «Il trouve sa voie dans un rôle de sauveur qui le rend, en tous domaines, beaucoup plus entreprenant. Il se croit investi d’une “mission” par la Providence», explique l’historien François Delpla, auteur de Les Tentatrices du diable (éd. l’Archipel). Lorsqu’il fait ses premiers pas en politique, les femmes jouent déjà un rôle crucial. Des femmes de militants, fascinées par l’aura naissante du Führer, lui offrent des cadeaux, parfois de l’argent, et l’introduisent dans les milieux huppés.
74 GEO HISTOIRE
La propagande a dépeint Hitler comme un solitaire. Pourtant, nombreuses sont celles qui ont joué un rôle crucial dans sa vie.
Parmi ces marraines : Winifred Wagner, la belle-fille du créateur de la Tétralogie. Sa «dame vénérée», avec qui il passe des heures à discuter d’art, lui fournit le papier pour écrire Mein Kampf en prison, suite à sa tentative de coup d’Etat à Munich, en 1922. Le charisme et le regard d’acier d’Hitler fonctionnent alors à merveille. Un article, paru le 3 avril 1923 dans le Munchener Post, évoque déjà les «entichées d’Hitler»… Sa nièce et maîtresse Geli Raubal se tire une balle en plein cœur
Mais le cœur du Führer n’est bientôt plus à prendre. En 1927, il tombe amoureux de Maria Reiter, une jeune fille de 16 ans qu’il rencontre en Bavière, près du Berghof, sa résidence secondaire. Elle l’aime passionnément mais se refuse à lui. «Il me pressait, il disait : “Je veux te détruire”, c’était un torrent de passion», racontera-t-elle au magazine Stern en 1959. Une rumeur circule alors sur le mariage du Führer avec une mineure. Craignant d’être incarcéré de nouveau, Hitler dément alors dans le journal du parti nazi et réclame un acte notarié de Maria, prouvant qu’ils n’ont pas eu de rapports sexuels et qu’il ne lui a jamais demandé sa main. Désespérée, Maria tente de se pendre dans la demeure familiale mais est sauvée de justesse. Hitler ne la reverra pas, d’autant qu’il a déjà succombé au charme de sa nièce, Angelika «Geli» Raubal, la fille de sa demisœur. Depuis 1929, alors qu’il est âgé de 40 ans, il héberge cette jeune fille rondelette et joviale de 19 ans, «la seule qui sache rire avec les yeux», comme il la
décrit à ses proches. Il l’aide à débuter sa carrière de chanteuse, l’accompagne pour essayer des chapeaux, vit des moments euphoriques. Hitler avoue alors qu’elle est ce qu’il a «de plus précieux». Mais aux élections législatives de 1930, le NSDAP passe de 2,6 à 18�%. Accaparé par la montée en puissance de son parti, Hitler se fait plus distant. Le 17 septembre 1931, Geli se tire une balle dans le cœur avec l’arme d’Hitler. A-t-elle compris que son oncle, alors en pleine ascension politique, aura moins de temps à lui accorder ? Ou, au contraire, cherche-t-elle à fuir un homme aux pulsions incontrôlables ? Peu de temps avant, elle confiait en effet à un ami : «Mon oncle est un monstre. Personne n’imagine ce qu’il exige de moi.» Lorsque la presse apprend cette relation déviante, elle accuse à demi-mots Hitler de meurtre, mais aucune preuve n’est avancée. Il se sort in extremis d’un scandale qui aurait pu lui coûter sa carrière, mais sa relation avec les femmes en demeurera profondément marquée. «On m’a tout pris. Je suis tout à fait libre, intérieurement et extérieurement. Peut-être devait-il en être ainsi. Maintenant, je n’appartiens plus qu’au peuple allemand et à mon devoir», confie-t-il à Otto Wagener, l’un de ses proches amis. A la mort de son grand amour, Hitler se trouve aux portes du pouvoir. Dans son programme électoral, en 1932, il séduit autant les Allemands que les Allemandes : il est le sauveur, le surhomme, ayant pour seule épouse sa patrie. Il renvoie l’image d’un moine de la politique, dévoué à sa cause, que sa fonction oblige à se couper des choses frivoles. Mais «son
la part féminine qui contrebalancerait mes instincts trop masculins.» Hitler destine en effet Madga à l’un de ses plus proches collaborateurs, Joseph Goebbels. Elle accepte de l’épouser et devient un modèle national-socialiste pour les Allemandes. Dans les années 1930, Hitler resta lié à Winifred Wagner qui fit du festival de Bayreuth (où ne sont représentées que les œuvres de Richard Wagner) un rendezvous mondain du régime. Dans le domaine culturel, il se rapproche aussi de Leni Riefenstahl, qui met son talent de cinéaste au service du leader. L’aura du Führer dépasse les frontières de l’Allemagne. En 1935, une aristocrate britannique de 21 ans, Unity Mitford fait tout pour le rencontrer. Cette robuste blonde l’accompagne partout. On l’appelle Fräulein Mitfahrt (mademoiselle compagne de voyage). Hitler tente de l’utiliser pour s’attirer sympathie et compréhension outre-Manche. Mais lorsqu’elle apprend, le 3 septembre 1939, la déclaration de guerre de l’Angleterre à l’Allemagne, déchirée entre l’attachement pour sa patrie et son idéologie nazie, Unity Mitford se suicide par balle. Elle en réchappera, mais gardera de lourdes séquelles jusqu’à sa mort en 1948.
LA MAÎTRESSE DANS L’OMBRE
De 1931 à 1945, Eva Braun partagea la vie du Führer, bien qu’elle ne fut jamais présentée comme sa compagne officielle auprès des Allemands.
En 1945, Hitler épouse Eva Braun juste avant leur suicide
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refus du mariage est surtout un message envoyé à ses électrices qui ont l’illusion d’être un jour Frau Hitler», estime Erich Schaake, auteur de Hitler et les femmes (éd. Michel Lafon). Tout au long du IIIe Reich, les femmes seront, selon une formule d’Heinrich Hoffmann, photographe personnel du Führer, «les meilleures propagandistes du parti». Parmi celles qui servent sa cause, l’élégante Madga Behrend, parfait archétype aryen, occupe une place de choix. Otto Wagener entend Hitler dire en 1931 : «Cette femme pourrait jouer un grand rôle dans ma vie sans même que je sois marié avec elle. Dans mon travail, elle pourrait être
Malgré sa «mission», Hitler garde pourtant une femme dans l’ombre. Depuis 1931, il partage la vie et le lit d’Eva Braun, l’assistante d’Heinrich Hoffmann. Il cache cette relation, elle est sa «petite bécasse», de 23 ans sa cadette. Lorsqu’il reçoit des personnalités, elle est confinée dans sa chambre. «Les hommes très intelligents devraient choisir une femme sotte et primitive», dit-il à Albert Speer, son ministre des Armements. La vie d’Eva est rythmée par les rares passages de son amant. «Il n’a besoin de moi qu’à des fins bien précises. Je ne suis qu’une prisonnière», écritelle dans son journal intime. Négligée, désespérée, Eva Braun survit pourtant à deux tentatives de suicide, en 1932, puis en 1935. Hitler compense en la couvrant de cadeaux. Eva suivra son «Alfie» jusque dans la déroute. En avril 1945, dans le bunker où le Führer se terre, sachant la guerre perdue, elle l’épouse, quelques heures avant qu’ils ne se suicident. Obtenant enfin ce que tant d’autres, avant elle, avaient désiré. � FRÉDÉRIQUE JOSSE
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LA RÉSISTANCE
CEUX QUI LUI ONT DIT NON Au cœur du III Reich, des étudiants, des militaires, des ecclésiastiques et de simples citoyens ont défié Hitler dès 1933. Tous au péril de leur vie.
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Les visages du courage absolu Sophie Scholl, au centre, son frère Hans (à gauche) et Christoph Probst sont à l’origine du groupe la Rose blanche. Ici, le 24 juillet 1942, à Munich.
LA RÉSISTANCE
L Ecrire sur les murs Une main anonyme a peint «Aidez à la chute d’Hitler et à la suppression de son Secours d’hiver» (une campagne annuelle de bienfaisance pour aider les démunis). En 1935, date de cette photo, ce slogan était puni de la peine de mort.
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e 18 février 1943 au matin, deux ombres se faufilent dans les couloirs de l’université de Munich et se livrent à un étrange manège. Elles s’arrêtent devant les portes encore fermées de chaque amphithéâtre pour déposer des tracts invitant les étudiants au soulèvement. Rédigées avec une ironie mordante, ces exhortations n’épargnent pas Adolf Hitler. «La stratégie géniale du caporal de la Première Guerre mondiale a causé la perte de 333 000 Allemands de façon absurde et irresponsable. Führer, nous te remercions !» peut-on lire sur un de ces tracts. Les deux jeunes gens n’en sont pas à leur coup d’essai. Hans et Sophie Scholl, respectivement 24 et 21 ans, font partie de la Rose blanche (Die Weiße Rose), un réseau de résistance comptant une dizaine de membres. Depuis l’été 1942, ils déposent des textes hostiles au régime dans les boîtes aux lettres ou sur les pare-brises des voitures, et
ont même peint des inscriptions «A bas Hitler» ou «Hitler criminel» sur les murs de la chancellerie d’Etat bavaroise. Jusqu’alors, ils ont toujours réussi à échapper à la Gestapo. Mais ce matin-là, la chance les trahit. Le concierge de l’établissement les aperçoit au moment où ils se débarrassent de leurs derniers tracts en les jetant du second étage dans la cour intérieure de l’université. L’homme les retient jusqu’à l’arrivée de la police qu’il a aussitôt alertée. Quelques jours plus tard, le 22 février 1943, au terme d’un procès qui dure à peine trois heures, ils sont guillotinés dans la prison de Stadelheim, près de Munich. Un autre membre du réseau qu’ils ont dénoncé sous la torture, Christoph Probst, jeune père de trois enfants, est exécuté en même temps qu’eux. Il crie juste avant de mourir : «Vive la liberté !» Le destin tragique des membres de la Rose blanche le prouve : tous les Allemands vivant sous la dictature nazie étaient loin d’être acquis aux idées du régime. Certains ont osé défier Hitler au cœur de son empire à un moment
POUR BRISER LES INSOUMIS, ON S’EN PREND À LEUR FAMILLE
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comme une agression communiste, conduit à de nombreuses arrestations la nuit même de l’attentat. Le lendemain, un décret-loi «pour la protection du peuple et de l’Etat» donne la possibilité au gouvernement de procéder à des emprisonnements arbitraires. Une cinquantaine de camps contrôlés par les SA (section d’assaut, organisation paramilitaire du parti nazi) sont construits pendant les premiers mois de la dictature. A l’image du camp de Dachau, établi dès mars, ils vont accueillir 80 000 personnes en 1933. Privations, tortures, assassinats… les contestataires sont les premières cibles du régime. Selon l’historien Thierry Derbent, 500 à 600 opposants auraient été abattus ou torturés à mort pendant les premières semaines après l’élection d’Hitler. Affaiblie, contrainte à la clandestinité, la résistance de gauche peine à s’organiser, mais réagit rapidement. Elle lance dès 1933 des manifestations éclairs dans des lieux publics et met en place des imprimeries clandestines. Jusqu’en 1935, plus d’un million de documents sont ainsi diffusés chaque année dans le pays. Malgré le traité de non-agression signé entre Hitler et Staline, le 23 août 1939, un grand nombre de communistes reste actif. De petits groupes de résistance vont ainsi réussir à mener des actions significatives. Celles menées par Robert Uhrig sont assez représentatives de leur bravoure et de leur ténacité. Outilleur de formation, membre du parti communiste, Uhrig travaille dans une usine berlinoise. Il est arrêté une première fois en 1934 pour avoir diffusé un journal clandestin et récolté des fonds pour les familles de victimes des nazis. Libéré
Trois farouches opposants En juillet 1942, Hubert Firtwängler, Hans Scholl et Alexander Schmorell (de gauche à droite) sont enrôlés comme ambulanciers sur le front de l’Est. Ils en reviennent horrifiés à la fin de l’année, et reprennent de plus belle leurs activités antihitlériennes.
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où le simple fait de le critiquer pouvait conduire aux camps de concentration et à la mort. «Il faut se rendre compte à quel point la contestation était compliquée pour les citoyens du Reich, souligne Gilbert Merlio, auteur de Les Résistances allemandes à Hitler (éd. Tallandier). Se rebeller contre lui, c’était s’insurger contre sa propre patrie.» En outre, les Allemands craignaient la Gestapo. D’autant qu’avec la mise en place de la responsabilité familiale (Sippenhaft), si un résistant était pris, tous ses proches, même ses enfants, étaient considérés comme coupables et exécutés ! «L’appareil pénal du régime était particulièrement injuste et sévère», poursuit l’historien, qui a comptabilisé ainsi quelque 16 000 condamnations à mort prononcées pendant le III Reich, à comparer aux 156 peines capitales infligées dans l’Italie de Mussolini. Les militants de gauche sont les premiers à payer le prix de la contestation. Quand Hitler devient chancelier du Reich, le 30 janvier 1933, les communistes réagissent par des grèves et des manifestations sauvagement réprimées. Les premières semaines suivant l’arrivée au pouvoir du leader nazi, des rafles et des perquisitions visent les hommes politiques et les syndicalistes qui avaient osé combattre ses idées. L’incendie du Reichstag, siège du Parlement allemand, le 27 février, présenté
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LES ATTENTATS
OBJECTIF : ÉLIMINER LE MAÎTRE DU REICH
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ne chance diabolique semble avoir protégé le dictateur qui aura échappé à quelque 40 tentatives d’assassinat. Voici les plus spectaculaires. � Premier guet-apens En octobre 1938, Maurice Bavaud, citoyen suisse de 22 ans, croyant et pacifiste, se rend en Allemagne, au prétexte de chercher du travail. Faisant étape à Bâle, il achète un pistolet. Le 9 novembre, il est à Munich et se fait passer pour un militant nazi afin d’assister au défilé commémorant le putsch de 1923. Lorsque le convoi du
Führer arrive à son niveau, il dégaine son arme… mais il est trop loin de sa cible. Les jours suivants, Bavaud cherche une autre occasion de l’abattre. Sans succès. Il décide alors de quitter le pays, mais dans le train qui l’amène à Paris, il est arrêté car son billet n’est pas valable. La Gestapo découvre son arme et des lettres compromettantes. Lors de son procès, l’ambassadeur suisse, Hans Fröhlicher, pronazi, ne tentera pas de le sauver. Le 14 mai 1941, Maurice Bavaud est guillotiné à la prison de Plötzensee.
� Une machine infernale dans une brasserie En 1939, Johann Georg Elser, un menuisier allemand de 35 ans, décide de placer une bombe dans la brasserie Bürgerbräukeller, à Munich, où le Führer prononce un discours tous les 8 novembre. Il vole de la dynamite dans une carrière, puis fabrique un mécanisme de mise à feu à retardement. Enfin, 35 nuits durant, il se laisse enfermer dans l’établissement afin de creuser une cavité dans un pilier placé près de la tribune de l’orateur. Le jour J, à 21 h 20, sa machine infernale explose,
après 21 mois de travaux forcés, il crée aussitôt un réseau de résistance à Berlin en 1938, qui compte près de 200 membres en 1942. Tous seront arrêtés – souvent avec leur famille – par la Gestapo, et 50 seront décapités. Déporté dans le camp de Sachsenhausen, au nord-est du pays, Robert Uhrig est exécuté le 21 août 1944. Avant le début de la Seconde Guerre mondiale, alors que les autorités religieuses continuent de prôner l’obéissance à l’Etat, certains croyants isolés vont aussi courageusement manifester leur opposition au régime. Le président de l’Action catholique dans l’évêché de Berlin, Erich Klausener, critique la politique répressive du Führer dans des meetings réunissant jusqu’à 70 000 fidèles. Il meurt d’une balle dans la tête (un assassinat maquillé en suicide) lors de la Nuit des longs couteaux, la vague de meurtres perpétrés par les nazis, entre le 29 et le 30 juin 1934. Le chanoine Bernhard Lichtenberg de la cathédrale Sainte-Edwige de Berlin,
témoin des premiers pogroms, décide de prier publiquement chaque soir pour les chrétiens nonaryens persécutés, pour les juifs et les détenus des camps. Arrêté, il s’éteint dans des circonstances troubles lors de son transfert à Dachau en 1943. D’autres prêtres contestant le régime ne connaîtront pas un sort si tragique. Clemens August von Galen, surnommé le Lion de Münster, va devenir l’opposant le plus tenace aux nazis. Dès janvier 1934, cet évêque condamne le culte de la race. Il participe à la rédaction de l’encyclique du pape Pie XI Mit brennender Sorge («Avec une vive inquiétude») en 1937, qui fustige sans détour la politique d’Hitler : «Seuls des esprits superficiels […] peuvent entreprendre la vaine tentative d’emprisonner Dieu […] dans l’étroitesse de la communauté de sang d’une seule race.» Peu de temps après la diffusion de cette encyclique, 1 100 prêtres et religieux sont jetés en prison et plus de 300 d’entre eux seront déportés à Dachau. Mais en 1941, le Lion de
300 PRÊTRES CONTESTATAIRES SONT DÉPORTÉS À DACHAU
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tuant sur le coup sept nazis et une serveuse… mais pas Hitler, qui a quitté les lieux plus tôt que prévu. Arrêté le jour même, Georg Elser meurt fusillé dans le camp de Dachau, le 9 avril 1945. � Ces bombes qui ont raté leur cible A partir de 1939, le dispositif de sécurité entourant le Führer est renforcé. Ce dernier ne sera approché que par des personnes accréditées. Durant la guerre, seuls les officiers peuvent agir. Le général Henning von Tresckow, convaincu qu’Hitler entraîne l’Allemagne à sa
LA RÉSISTANCE
cause du froid. Une semaine plus tard, le 21 mars, Hitler doit visiter une exposition d’armes prises à l’ennemi à l’Arsenal de Berlin. Un officier de la Werhmacht, RudolfChristoph von Gersdorff, sur proposition de von Tresckow, camoufle des explosifs dans ses poches et se tient
Suddeutsche Zeitung / Rue des Archives
perte, réunit autour de lui plusieurs généraux et des réseaux de résistance civils. Le 13 mars 1943, il demande à un officier d’escorte d’Hitler de dissimuler un explosif dans la soute, lors d’un vol en avion… mais le Führer atterrit sans dommage. Le détonateur a semble-t-il gelé à
Münster rugit à nouveau : durant ses sermons, il proteste contre le programme d’euthanasie visant les handicapés. Les nazis envisagent de l’assassiner, mais craignent une mobilisation de masse des catholiques. Le programme d’euthanasie sera (officiellement seulement) suspendu. Ceux qui auraient pu contester l’entrée en guerre furent emprisonnés ou exécutés
L’opposition des protestants est moins importante. D’un simple point de vue statistique, comme le rappelle l’historien Gilbert Merlio, sur les 447 religieux envoyés à Dachau, 92 % sont catholiques, 8 % protestants. Quelques théologiens sortent pourtant du lot, à l’image de Dietrich Bonhoeffer. Dès 1935, ce pasteur exhorte les croyants à résister et condamne les intentions belliqueuses du Führer. Il se voit interdit de prêche, mais continue à défendre ses idées au cours de séminaires clandestins. Il transmet même aux Britanniques des preuves de l’extermination des juifs et sollicite
constamment à proximité d’Hitler. Mais le dictateur, de mauvaise humeur, fait sa visite au pas de course. Réglé sur 45 minutes, le détonateur n’a pas le temps de fonctionner. Von Gersdorff réussit, in extremis, à désamorcer sa bombe dans des toilettes. � Les derniers conjurés Le Führer ne sortira pourtant pas totalement indemne de l’ultime tentative, la plus sérieuse, organisée le 20 juillet 1944. Ce complot, devenu célèbre sous le nom Le 20 juillet 1944, quatre heures après l’attentat qui le visait, Hitler fait visiter les décombres de son QG à Benito Mussolini.
d’opération Walkyrie, prévoit de s’emparer du pouvoir par un coup d’Etat militaire et d’assassiner Hitler. L’exécution du plan a lieu dans un QG près de Rastenburg, en Prusse orientale. Le colonel Claus von Stauffenberg dépose une bombe, cachée dans un porte-documents, sous une table, tout près du leader nazi. Mais un aide de camp, gêné, déplace la mallette. Lors de l’explosion, la lourde table protège le Führer, légèrement blessé. Plus de 5 000 personnes, dont le maréchal Rommel, poussé au suicide, sont exécutées en représailles. Nul ne se risquera plus à attenter à la vie du chancelier. L. P.
leur aide pour éliminer Hitler (une demande restée sans suite). Il est finalement arrêté par la Gestapo et compte parmi les opposants qu’Hitler fait assassiner en avril 1945, lorsqu’il sait que sa défaite est inéluctable. L’entrée en guerre n’a pas déclenché de contestation pacifiste, pour la simple et bonne raison que la plus grande partie des hommes et femmes qui s’opposaient au conflit étaient déjà morts ou en prison. Le poète Fritz von Unruh réussit tout de même à appeler les soldats allemands à la désobéissance à l’aide de tracts jetés au-dessus de la Pologne par l’aviation française, en septembre 1939. Un an plus tard, le 20 septembre 1940, une carte postale est rapportée au siège de la Gestapo à Berlin. Ce courrier, le premier d’une longue série, conseille aux Allemands de ne pas verser d’argent lors des collectes publiques organisées par le parti nazi, appelle les soldats à déserter et exhorte le peuple à renverser Hitler. Ces textes, que les Berlinois découvrent dans leur boîte aux lettres ou glissés sous leur porte, sont signés «Presse Libre». Pendant deux ans, ce rédacteur anonyme inonde la capitale allemande de ses appels à la désobéissance (il en enverra 232, au total). Il se paye
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LA RÉSISTANCE
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le 8 avril 1943. L’histoire, du couple Hampel, qui a inspiré à l’écrivain Hans Fallada son roman Seul dans Berlin (éd. Folio), reste le plus bel exemple de résistance individuelle à la barbarie nazie. L’historien Jean-Louis Thiériot, spécialiste de la période, a traduit récemment Tuer Hitler (éd. Tallandier), l’ouvrage de Rudolf-Christoph von Gersdorff, un général de la Wehrmacht qui tenta d’assassiner le Führer. Pour lui, les principaux opposants au dirigeant nazi restent les cadres de l’armée. «Dès les accords de Munich, en 1938, certains officiers comme Ludwig Beck acquièrent la conviction que l’Allemagne ne peut sortir victorieuse d’un conflit mondial. Ils tentent d’impliquer la GrandeBretagne pour renverser Hitler, mais Londres ne suit pas. Un second pas est franchi vers 1943, la résistance des cadres de l’armée est plus organisée et les troupes essuient des échecs cuisants sur le front soviétique. Il devient évident, comme le déclare alors le général Henning von Tresckow, «qu’il faut abattre Hitler comme un chien enragé qui menace l’humanité tout entière». Ils tentent de l’éliminer, sans succès. La dernière étape est celle du complot du 20 juillet 1944, le coup d’Etat le mieux préparé, mais qui échoue également. Ce fiasco met un terme à l’opposition radicale.» Au-delà des grandes figures qui se sont opposées au Führer, les historiens réhabilitent aujourd’hui les faits de résistance plus modestes de héros silencieux ou anonymes. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que l’action de ces résistants sera réévaluée. Un mémorial érigé près de la chambre d’exécution de la prison de Plötzensee, à Berlin, qui vit périr des centaines d’entre eux, leur rend aujourd’hui hommage. �
Assassinés pour l’exemple Le 10 novembre 1944, treize membres du Groupe d’Ehrenfeld, du nom du quartier où ils se cachaient, sont pendus par les SS, sans jugement, dans une rue de Cologne. Parmi eux, le chef Hans Steinbrück, évadé d’un camp de concentration.
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�IL NOUS FAUT ABATTRE HITLER COMME UN CHIEN ENRAG�
même le luxe de barrer les timbres à l’effigie d’Hitler du mot «assassin». L’auteur de ces messages «à lire et à faire passer» parvient à échapper à la traque menée par l’inspecteur divisionnaire Willie Puschel. Jusqu’en septembre 1942, date à laquelle Otto Hampel, un ajusteur de l’usine Siemens de Berlin, laisse échapper une carte de sa poche en passant devant un ingénieur. Ce dernier la ramasse et la lui rend, non sans avoir eu le temps de lire la phrase suivante : «Pourquoi mourir pour la gloire d’Hitler ?» Dénoncé, Otto est maintenant surveillé par la Gestapo, qui cherche d’éventuels complices. Il est finalement arrêté avec sa femme, Elise. Interrogés, ils avouent rapidement : le couple Hampel est entré en résistance en juin 1940, lorsque le frère d’Elise a été tué, en France, lors de la bataille d’Amiens. Dès lors, ils n’ont eu de cesse de contester les agissements d’Hitler et des nazis. Le 22 janvier 1943, la seconde chambre de la cour populaire les reconnaît coupables «d’atteinte au moral des troupes et de préparation de haute trahison» et les condamne tous les deux à la peine capitale. Ils sont exécutés
LÉO PAJON
NUMÉRO EXCEPTIONNEL
, UNE IRRÉSISTIBLE ENVIE DE CONNAÎTRE LE MONDE
FUT-IL UN BON CHEF DE GUERRE ? Dès 1939, l’ancien caporal de 14-18 devient un stratège militaire audacieux. Jusqu’en 1942, il accumulera les victoires. Mais, par la suite, il perdra la main sur le front russe puis face aux débarquement alliés.
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LE STRATÈGE
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Septembre 1939 : la campagne de Pologne débute. Sur le terrain, Hitler s’entretient avec les membres de son état-major, notamment le général Keitel, responsable de la Wehrmacht (à sa droite), et Von Reichenau, le commandant de la 10e armée (à sa gauche). En à peine un mois, ils terrasseront les Polonais.
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LE STRATÈGE
LE RÉARMEMENT (1933-1938) Parier sur l'aviation et les unités blindées
De son accession au pouvoir jusqu’en 1940, le Führer n’a pas pour ambition de dominer la planète mais de faire de l’Allemagne une puissance mondiale. A l’Angleterre la maîtrise des mers et de son empire. A l’Allemagne la domination de l’Europe et l’expansion vers l’est. Cela passe par son réarmement. En 1935, rompant avec les clauses du traité de Versailles, il rétablit le service militaire d’un an. En même temps, Göring, numéro deux du régime et ministre de l’Air, travaille à constituer la Luftwaffe comme une aviation d’appui tactique, devant agir en liaison avec les unités blindées. Ainsi est lancé le Jun-
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L'ARMÉE MISE AU PAS (1938) Ecarter les généraux qui le contestent
En réarmant l’Allemagne, Hitler a bouleversé l’armée dans ses structures et ses traditions. Depuis 1934, officiers, soldats et marins doivent prêter serment non plus à la Constitution, comme depuis 1919, mais à «Adolf Hitler, Führer du Reich et du peuple allemand, commandant suprême de la Wehrmacht». En 1938, exaspéré par les objections qu’opposent à sa politique aventureuse le général von Blomberg, ministre de la Guerre, et le général von Fritsch, commandant en chef des Forces armées, il profite d’une affaire de mœurs (Blomberg accusé d’avoir pour maîtresse une prostituée et Fritsch d’être homosexuel) pour limoger les deux hommes. Hitler décide alors d’assumer lui-même les fonctions de ministre de la Guerre dans le cadre d’un état-major interarmées avec, sous ses ordres directs, le général Keitel et le colonel Jodl,
L’ANGE NOIR ALLEMAND Contraction de Sturkampfflugzeug (avion de combat en piqué), le Stuka, créé en 1936, plongeait sur l’ennemi. Symbole de la guerre éclair, ce bombardier, doté de sirènes hurlantes, traumatisa nombre de civils français durant l’exode de 1940.
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eut-être Hitler, avec son intuition habituelle, a-t-il su que tout était fini le jour où tout a commencé ? Le 3 septembre 1939, trois jours après l’invasion de la Pologne, à 11 heures du matin, la déclaration de guerre britannique fait l’effet d’une bombe à Berlin : «Quand j’eus terminé, régna un profond silence […] Hitler restait assis, comme pétrifié», témoigne Paul Schmidt, son interprète. Hitler, aussi étrange que cela paraisse aujourd’hui, s’était persuadé que ni les Anglais ni les Français, à ses yeux également pacifistes et décadents, ne réagiraient à son agression contre la Pologne. Il disait : «Je les ai vus à Munich, ce sont des vermisseaux.» Plus tard, alors que l’Allemagne se bat sur tous les fronts, il affirmera : «Je n’ai pas voulu cette guerre.» Entendons : ce conflit généralisé. Comme l’écrit l’historien Philippe Masson dans son essai Hitler, chef de guerre (éd. Perrin, 2005), «la Seconde Guerre mondiale débute par une série d’erreurs de calcul».
ker 87, baptisé «Stuka», avion de bombardement en piqué. Le 18 juin 1935, un accord naval anglo-allemand négocié à Londres par Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères du Reich, autorise la Kriegsmarine à atteindre près de la moitié du tonnage de la Royal Navy, même 100 % dans certaines circonstances (les sous-marins). Les Anglais, obnubilés par la menace soviétique en mer Baltique, pensent pouvoir contrôler cette renaissance de la marine de guerre allemande. Hitler exulte : «C’est le plus beau jour de ma vie.» En 1936, l’Allemagne a recouvré sa souveraineté militaire. Elle le prouve l’année même en réoccupant la Rhénanie.
LE STRATÈGE
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«L’Angleterre a contraint Napoléon à faire la guerre, exactement comme avec nous» A d o lf H i t l e r
US National Archives/Roger-Viollet
Sous l’impressionnant nuage de fumée, la City et les quartiers populaires de l’East End viennent d’être touchés par le premier raid aérien de la Luftwaffe sur Londres, le 7 septembre 1940. Devant le refus de Churchill de céder à ses exigences, Hitler a lancé le Blitz, une nouvelle tactique aérienne consistant à bombarder les villes britanniques afin de casser le moral des populations civiles.
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LE STRATÈGE deux hommes qui lui sont fanatiquement dévoués et resteront en fonction jusqu’à la fin de la guerre. L’humiliation des généraux interdits de toute ingérence politique et de qui le Führer exige une «obéissance aveugle» (même Guillaume II n’en demandait pas tant) est ainsi définie par Jodl : «Il est profondément attristant de voir que le Führer a le peuple entier derrière lui, mais pas les principaux dirigeants de l’armée […] Ils ne peuvent ni croire, ni obéir, parce qu’ils sous-estiment le génie du Führer. Ils ne voient toujours en lui que le caporal de la Première Guerre mondiale et non le plus grand homme d’Etat que nous ayons eu depuis Bismarck.» De 1938 à 1940, de l’annexion de l’Autriche à l’écrasement de la France, les faits semblent donner raison à Jodl. C’est précisément de n’avoir reçu aucune instruction militaire, d’être ce «dilettante» que voient en lui les plus hauts gradés qui donne à Hitler, sur ce qu’il appelle la «caste idiote et archaïque des généraux», l’étrange supériorité de son audace et de ses intuitions. Keitel, cité par Philippe Masson, le décrit dans son QG consacrant ses nuits à «étudier les gros ouvrages de doctrine militaire de Clausewitz, de Moltke, de Schlieffen. C’est en eux qu’il avait puisé ses connaissances et les idées qui faisaient notre stupéfaction.» Göring le dit «très doué pour la stratégie». L’amiral Dönitz s’étonne de la connaissance précise qu’il a de toutes les armes et de la pertinence de ses questions. Le général von Manstein admire sa volonté indomptable, son intelligence aiguë, son sens des possibilités techniques à l’origine de l’évolution matérielle de la Wehrmacht. Hitler est un révolutionnaire foncièrement agressif, un «joueur», comme il le reconnaît lui-même, qui n’hésite pas à se livrer – et se livrera jusqu’au bout – selon sa propre expression, à des «coups de poker».
LE BLITZKRIEG (1939-1940) Tout miser sur l’impact de la guerre éclair
Le monde sidéré découvre un nouvel art de la guerre auquel les Anglais donnent le nom de Blitzkrieg : la guerre éclair, qui, conjuguant les chars, l’in-
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fanterie et l’aviation, met la Pologne à genoux en trois semaines. L’hiver suivant se passe à préparer le Plan jaune, c’est-à-dire l’invasion des Pays-Bas, de la Belgique et de la France. Hitler joue là son va-tout. Du succès ou de l’échec de l’opération dépend son destin en Allemagne. Il choisit, contre l’avis de ses généraux qui la jugent «risquée», même «stupide», la stratégie du général von Manstein : tromper l’ennemi et attaquer au centre par le Benelux, pour mieux frapper au sud en traversant le massif des Ardennes, afin de couper en deux les armées francobritanniques. Churchill évoquera un «coup de faucille». Retardée par l’occupation du Danemark et de la Norvège, l’offensive est déclenchée le 10 mai 1940 avec un succès foudroyant. En moins d’une semaine, les blindés du général Guderian
sont à deux jours d’étape de Paris. Le meilleur des troupes franco-britanniques est bloqué en Belgique. Les Anglais se replient dans la poche de Dunkerque. Survient alors le grand mystère de cette campagne : le Halt Befehl, l’ordre d’arrêt, donné par Hitler à ses blindés le 24 mai au soir. Les Allemands, paralysés et furieux, voient leur échapper vers la Grande-Bretagne 330 000 hommes, dont 115 000 Français. Nul n’a compris cette décision d’Hitler. Que ce soit pour permettre à l’infanterie de rejoindre les blindés ou, comme il le dira plus tard, pour ménager l’Angleterre et l’amener à conclure une paix pour elle honorable (rêve que le Führer caressera jusqu’à la fin), ce coup d’arrêt constitue aux yeux de nombre de ses officiers sa première grande erreur stratégique. Un mois plus tard, la France envahie demande l’ar-
LA BATAILLE D’ANGLETERRE (1941) Bombarder à outrance la perfide Albion
Malgré tous les efforts d’Hitler, Churchill reste sourd à ses offres de paix. Le Führer fulmine contre l’obstination de ce «demi-Américain, ivrogne et enjuivé». Décision est prise «d’éliminer l’Angleterre comme base de la continuation de la guerre contre l’Allemagne». Le colonel Jodl lui présente le plan Seelöwe (Lion de mer) : une attaque aérienne massive, suivie d’un débarquement terrestre. La bataille d’Angleterre débute le 7 sep-
tembre par des raids sur la City de Londres et les quartiers industriels de l’East End. C’est le Blitz, la plus grande bataille aérienne de l’histoire, une suite de bombardements, surtout nocturnes, qui culminent le 14 novembre avec la destruction totale de la ville de Coventry. En réalité, Hitler a déjà décidé d’ajourner un débarquement dont il ne croit pas à la réussite. La traversée de la Manche présente des difficultés
STALINGRAD DÉVASTÉE Cette photo de propagande montre des soldats de la Wehrmacht traversant ce qu’il reste des rues de Stalingrad, en octobre 1942. Mais ce triomphe sera de courte durée : les Allemands seront incapables de briser l'encerclement soviétique.
Picture Alliance/Rue des Archives
mistice. Hitler a effacé l’humiliation de 1918. Il est à l’apogée de sa carrière, considéré par Keitel et la majorité des Allemands comme «le plus grand chef de guerre de tous les temps».
insurmontables, la Kriegsmarine lui semble encore trop faible et, surtout, manque cet élément capital qu’a toujours été pour lui l’effet de surprise. Enfin les Spitfires de la Royal Air Force, soutenus par les radars, opposent à la Luftwaffe une résistance opiniâtre. Le dernier bombardement a lieu sur Londres, le 10 mai 1941, comme un baroud d’honneur de la Luftwaffe avant son transfert à l’est, contre la Russie. C’est la fin du Blitz – et c’est un échec.
SUR LE FRONT RUSSE (1941-1943) Tenir chaque mur, chaque rue, chaque ruine
L’attaque contre l’URSS – le plan Barbarossa – qu’Hitler envisage aussi triomphale que le furent ses campagnes de Pologne et de France, a été conçue, pour reprendre son image favorite, comme «un coup de poker». «Si j’échoue, dit-il, tout sera fini de toute façon. Si je réussis, j’aurais créé une situation qui forcera probablement la Grande-Bretagne à faire la paix.» Le 22 juin 1941, 3 millions de soldats de la Wehrmacht s’élancent sur un terrain d’opération grand comme deux fois la France : au nord, vers Léningrad, au centre, vers Moscou, au sud, vers l’Ukraine. Se pose alors la question de l’objectif prioritaire. Contre l’avis de son état-major qui préconise Moscou, Hitler exige de porter l’effort vers l’Ukraine dont il convoite les ressources agricoles et pétrolifères. «Mes généraux ne comprennent rien à l’aspect économique de la guerre», tranche-t-il. Contrairement à l’Ukraine, Moscou ne sera pas prise. Les Allemands, à quelques kilomètres du Kremlin, sont paralysés par un hiver comme la Russie n’en a pas connu depuis cent cinquante ans ! Il faut toute la détermination du Führer et l’abnégation de ses soldats pour transformer ce quasi-désastre en une «victoire défensive» qui aura des effets pervers : l’excès de confiance en soi, la sous-estimation de l’adversaire, le refus de tout repli. Cette façon de voir trouvera sa pleine expression, quelques mois plus tard, à Stalingrad. Ce complexe industriel, qui commande tout le trafic sur la Volga, fascine Hitler, tétanise les Soviétiques et devient l’enjeu d’un combat
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LE STRATÈGE
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«La guerre contre la Russie ne pourra se faire de façon chevaleresque. Il va falloir la mener avec une dureté sans précédent» Adolf Hitler
Picture Alliance/Rue des Archives
Les succès en Pologne et en France ont galvanisé le Führer : le 22 juin 1941, il brise le pacte germanosoviétique et lance l’opération Barbarossa, la plus grande offensive militaire jamais connue. Sa cible principale : Stalingrad, ici photographiée durant le raid aérien sur la gare de la ville, le 7 septembre 1942.
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LE STRATÈGE
LES ARMES
Marie Evans/Rue des Archives
À L A PO I N T E D E L A T E C H N O LO G I E
RIA Novosti/SPL/Cosmos
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Roger-Viollet
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Interfoto/La Collection
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oint d’orgue de la propagande nazie, les «armes nouvelles» ont nourri la folie d’Hitler qui a cru jusqu’au bout qu’elles pourraient lui apporter la victoire. Un mythe ? Pour l'historien Philippe Masson, auteur d’Hitler, chef de guerre, (éd. Perrin, 2005), «il aurait fallu que ces armes interviennent simultanément et en quantités massives, au plus tard à l’automne 1944». Hitler et ses ingénieurs n’en ont pas moins pressenti, préparé, ce qui allait devenir, dans les années 1960, la panoplie de base des forces armées contemporaines. � La fusée V1 � (de Vergeltungswaffe, arme de représailles) était un drone ou avion-robot capable de transporter à 600 kilomètres/heure, sur une distance de 200 kilomètres, une charge explosive de 850 kilos. La fusée V2 �, encore plus sophistiquée, annonçait les missiles balistiques : lancée presque à la verticale, la fusée atteignait une altitude de 400 kilomètres pour s’abattre sur
son objectif à une vitesse supersonique et à une distance de 300 kilomètres. � Trois avions à réaction furent fabriqués en série : le Messerschmitt 262 �, le Heinkel 172, l’Arcado 234. Le déferlement des Alliés dans le ciel du Reich poussa aussi les Allemands à inventer des missiles sol-air, plus efficaces que les pièces lourdes de la DCA classique. � Le Panzerfaust � était un lance-roquettes transportable par le soldat en plus de son arme individuelle, donc très maniable, redouté par les chars alliés pour sa capacité de pénétration des blindages. � La recherche dans le domaine de l’arme nucléaire fut, elle, abandonnée. La construction d’une bombe atomique dans ce pays soumis à des bombardements constants était trop risquée. Les chercheurs allemands se concentrèrent plutôt sur la mise au point d’un moteur nucléaire pour sous-marin. Leurs études allaient aider à la réalisation, plus tard, du premier sous-marin américain à propulsion atomique… J.�B. M.
acharné. Le Blitzkrieg est loin. C’est la guerre de position pour «chaque quai de gare, chaque mur, chaque cave, chaque monceau de ruines». En novembre 1942, les Allemands dominent l’essentiel de la ville, mais ils sont épuisés. Une contre-offensive de l’Armée rouge les encercle dans une poche de 40 kilomètres de côté. Hitler refuse de donner au général von Paulus l’ordre de percer vers l’ouest, ce qui équivaudrait à un repli et serait l’aveu de son échec. Le pont aérien établi par Göring se heurte à une chasse soviétique plus agressive qu’un an plus tôt : il perd 500 avions. Une offensive du maréchal von Manstein, accouru du sud à la tête du «groupe d’armées du Don», ne parvient pas à convaincre Paulus de tenter de son côté la percée qui aurait pu sauver son armée. Le 31 janvier 1943, Paulus et son état-major se rendent au commandement soviétique. Les forces de l’Axe ont perdu 250 000 hommes à Stalingrad, les Russes deux fois plus – mais ils ont gagné. C’est le tournant de la guerre.
DÉBARQUEMENTS ALLIÉS (1942-1944) Ne plus gagner, mais au moins ne pas perdre
Ullstein Bild/Roger-Viollet
Il semble qu’Hitler ait compris dès 1942 – les Etats-Unis étant entrés dans le conflit, et les difficultés s’accumulant sur le front russe – que la guerre
ne pouvait plus être gagnée. Il s’agit seulement de ne pas la perdre. Le 8 novembre 1942, les Anglo-Américains débarquent en Afrique du Nord sur les plages marocaines et algériennes. La riposte du Führer est immédiate : le 11, toute la France est occupée et les forces de l’Axe, craignant un débarquement allié en Italie, devancent Eisenhower en occupant la Tunisie. Cette réaction rapide sera un échec militaire. Elle aura pour résultat, en mai 1943, une énorme perte de matériel, et les prisonniers allemands jetés dans les camps américains seront même plus nombreux que ceux pris à Stalingrad. En 1943, puis 1944, du front russe au Débarquement en Normandie, les revers s’accumulent. Hitler confie à Guderian : «Plus rien ne nous réussit.» Le 12 décembre 1944, face à son état-major, il annonce sa décision de lancer une grande offensive dans les Ardennes, région mal tenue par les Américains. Il s’agit de franchir la Meuse, de déborder Liège et de
DANS L’ENFER BLANC A la fin décembre 1944, des Waffen-SS guettent les troupes alliées depuis leur poste d’observation. Dans la rudesse de l’hiver ardennais, Hitler épuisera ses meilleures unités et compromettra définitivement la victoire du IIIe Reich.
s’emparer d’Anvers, principale source d’approvisionnement des Alliés. Car Hitler ne croit pas à leur union : «Si nous pouvons frapper maintenant un certain nombre de coups bien assenés, ce front gonflé artificiellement peut se rompre à tout moment…»
LA BATAILLE DES ARDENNES (1944) Jouer son dernier coup de poker face aux Alliés
Lancée le 16 décembre, l’opération Herbst Nebel (Brouillard d’automne) provoque chez les Alliés une énorme surprise. Les Américains se précipitent à Bastogne, clef de la défense des Ardennes et de la Meuse, y arrivent avant les Allemands qui s’engouffrent dans les tortueux défilés du massif des Ardennes en direction de Dinant. Soudain, la veille de Noël, le ciel s’éclaircit, permettant à l’aviation alliée de pilonner leurs colonnes. Les combats font rage jusqu’au 3 janvier, mais c’est la fin. Le 8 janvier 1945, Hitler donne l’ordre de repli. Son dernier coup de poker a échoué. Les Allemands ont perdu 120 000 hommes de plus et jeté là leurs dernières forces. Le III Reich n’a plus que trois mois à vivre et va s’effondrer comme son Führer l’avait prédit : «Il n’y aura pas de nouveau 11 novembre 1918. Il ne peut y avoir que la victoire ou l’anéantissement.» � JEAN�BAPTISTE MICHEL
DE L’OBSESSION À L’HOLOCAUSTE Interfoto / La Collection
A quand remonte la haine des juifs chez Hitler ? Comment a-t-elle évolué jusqu’à lui faire commanditer l’un des plus grands crimes de l’Histoire ? Décryptage d’une escalade.
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L’ANTISÉMITE
A Berlin, ces policiers et ces SA vérifient les papiers d’identité de juifs allemands, en avril 1933. Les violences physiques étaient communes lors de ces contrôles, afin de pousser les juifs à émigrer.
Pour lui, la race aryenne doit dominer le monde
Collection IM / Kharbine-Tapabor
Cette carte, qui a été éditée par la propagande nazie en 1937, compare les jeunesses allemande et soviétique. On peut lire, à gauche : «Avenir de l’Allemagne», et à droite : «Enfants sans jeunesse».
La «Solution finale» a été planifiée avec un soin maniaque
Talandier / Rue des Archives
Cette montagne de chaussures a été découverte en 1945 dans le camp d’extermination de Belzec, en Pologne. Sur quelque 600 000 détenus, seuls deux survivants ont été retrouvés.
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L’ANTISÉMITE
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n 1900, les juifs sont 500 000 en Allemagne, soit un petit pour cent de la population. Ils sont pourtant régulièrement accusés d’être les seuls profiteurs de la modernité. Longtemps mis au ban de la société, ils ont droit désormais à une visibilité inédite dans les arts, la presse, la politique ou l’industrie… Mais justement, pour certains, ils sont trop voyants. La haine des juifs, dont il fera le centre de son existence, Adolf Hitler l’a d’abord reçue en héritage. Très tôt, le futur instigateur de la «Solution finale» s’imprègne d’un antisémitisme omniprésent qui rend le juif responsable de tous les maux de la terre.
un succès éclatant. Hitler le qualifiera par la suite de «plus éminent bourgmestre allemand de tous les temps». Dans Mein Kampf, le futur dictateur confirme que c’est bien Vienne qui lui a ouvert les yeux sur ce qu’il nomme la «question juive». Il y raconte avoir croisé, dans la vieille ville, un homme portant un long caftan avec des boucles de cheveux noirs. «Est-ce là aussi un Allemand ?» s’estil demandé. Pourtant, lorsqu’il pérore d’un air pénétré au foyer de la Felberstrasse, ses cibles privilégiées sont alors les jésuites et les «rouges». Mais il est possible que dans l’ambiance antisémite qui règne à Vienne, son hostilité aux juifs soit si banale qu’elle passe inaperçue.
L’
La Première Guerre mondiale est un nouveau choc. L’humiliation de la défaite catalyse le ressentiment général. Pour déguiser son échec, l’étatmajor allemand claironne que les juifs, les communistes et les socialistes les ont poignardés dans le dos ! La Bavière devient le bastion de l’extrême droite. L’hystérie antisémite s’y déchaîne. A la fin du conflit, Adolf Hitler réintègre son régiment. Là, il est affecté à la rééducation politique des prisonniers rapatriés. Il suit, à l’été 1919, des cours antibolcheviques à l’université de Munich. Le caporal lit aussi beaucoup, cherchant dans les livres la confirmation de ses préjugés. Hitler met d’emblée l’antisémitisme au cœur de sa rhétorique. A tel point que sa hiérarchie lui demande de rédiger un mémo sur la «question juive». En quatre pages, Hitler expose son credo. D’abord, «le judaïsme est définitivement quelque chose de racial, et pas un groupe religieux». C’est «une race non allemande qui vit avec nous». Ensuite, «l’antisémitisme selon la raison doit conduire au combat législatif contre les privilèges des juifs.» Son but doit être l’élimination des juifs en général. Hitler emploie déjà des images alarmantes comme lorsqu’il compare les juifs à des sangsues ou assène qu’il faut les combattre «par le glaive». Dans la foulée, il adhère au parti ouvrier allemand, le DAP (Deutsche Arbeiter-Partei), où il rencontre Dietrich Eckart, féru d’occultisme et convaincu de l’existence d’un «homme supérieur». Ce dernier élargit l’auditoire d’Hitler en le présentant à des cercles d’influence. Juste avant sa mort en 1923, Eckart aurait déclaré : «Suivez Hitler. Il dansera mais c’est moi qui ai écrit la musique.» Au DAP, le futur dictateur côtoie également Alfred Rosenberg, autre antisémite virulent, qui deviendra son secrétaire particulier, puis ministre du III Reich. Hitler s’approprie les thèmes de ses mentors (rejet du judaïsme, inégalité des races humaines…) et les teste dans les brasseries muni-
Adolf Hitler est exposé à ces sirènes dès sa jeunesse. Installé à Vienne de 1908 à 1913 (il a alors de 19 à 24 ans), il fustige le mélange qui règne dans cette ville de 2 millions d’habitants, dont 180 000 représentants de ce «peuple à part». Dilettante et autodidacte, le jeune homme dévore la presse. Il connaît déjà les thèses de Georg von Schönerer, chef de file des pangermanistes autrichiens et antisémite virulent. Il découvre aussi Ostara, une revue raciste fondée par Jörg Lanz von Liebenfels, un ancien moine cistercien qui prône une dictature aryenne pour soumettre les races inférieures. Lanz est aussi un agitateur du Mouvement völkisch. Ce courant conservateur défend un nationalisme fondé sur la communauté (Volk), et désigne les juifs comme étant les agents de la décadence. Le jeune Hitler connaît-il déjà les écrits de Paul de Lagarde, autre théoricien du Mouvement völkisch, qui prévoit une «lutte à mort» entre judaïsme et mode de vie allemand et recommande «l’extermination des juifs comme des bacilles» ? Nul doute que l’antisémitisme ordinaire de Vienne l’imprègne alors que le deuil, l’échec et la misère ont laminé ses rêves d’artiste, et qu’il cherche, confusément, une explication, un coupable. A cette époque, un personnage l’impressionne tout particulièrement. Maire de la capitale autrichienne depuis 1897, Karl Lueger est le premier homme politique européen à faire de l’antisémitisme un levier électoral. Avec
Des milliers de fanatiques acclament ses discours sur la «juiverie internationale»
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choises. L’assemblée réagit au quart de tour. En février 1920, à la Hofbräuhaus, ses imprécations lui valent les vivats de la foule. Le 13 août, il y prononce un discours de deux heures intitulé : «Pourquoi sommes-nous antisémites ?» Il est interrompu, note l’historien Ian Kershaw, cinquante-huit fois par les acclamations de 2 000 personnes. Hitler dénonce le complot de la «juiverie internationale» que seule l’Allemagne pourra déjouer par un combat racial sans pitié. Dans le journal du parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), qui remplace le DAP, il annonce : «De la haine, de la haine brûlante, c’est ce que nous voulons déverser dans les âmes de nos millions de compatriotes, jusqu’à ce que s’embrase en Allemagne la flamme de colère qui nous vengera des corrupteurs de notre nation.»
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A Landsberg, la prison où il échoue pour un an après le putsch manqué de novembre 1923, Hitler s’imagine, plus que jamais, en sauveur de l’Allemagne. Il s’attelle à la rédaction de Mein Kampf, et y développe sa «vision du monde». En réalité, un assemblage de théories à la mode. Au racisme «scientifique» puisé chez Houston Stewart Chamberlain, Theodor Fritsch ou Madison Grant, il ajoute le darwinisme social d’Herbert Spencer qui proclamait que «celui qui ne veut pas se battre dans ce monde de lutte éternelle ne mérite pas de vivre», l’obsession de la décadence d’Oswald Spengler, et, sous l’influence de Rosenberg et de Karl Haushofer, la revendication d’un «espace vital». Dans son ouvrage, Hitler affirme que l’histoire humaine est une lutte entre les races. L’entité «supérieure», l’aryen, est attaquée par le juif, qualifié au fil des pages de «sous-homme» (Untermensch), de
«parasite», de «pestilence», de «rat», de «poux» ou encore de «champignon diviseur de l’humanité»… La science raciale, prétend Hitler, devra purifier de ces corps étrangers une race aryenne appelée à dominer le monde par la force brute. Les verbes «éradiquer» et «anéantir» reviennent sans cesse. En fusionnant antisémitisme et antibolchevisme, Hitler trouve le mantra qu’il récitera jusqu’au fond de son bunker : le combat pour la suprématie mondiale prend la forme d’une lutte à mort entre deux idéologies rivales, l’idéalisme de la race aryenne et le matérialisme des apatrides et des accapareurs. Détruire le «judéobolchevisme» devient la mission du mouvement nazi. L’amalgame est grossier mais il résonne avec la rancœur et le désarroi des Allemands. Les deux volumes de Mein Kampf paraissent en 1925 et 1926. Au final, un pavé au style lourd, bourré de répétitions. Basse au début, la courbe des ventes suit ensuite celle des succès électoraux : de 80 000 exemplaires vendus en 1932 à 1 million l’année suivante, lorsqu’il devient chancelier.
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«Hitler est chancelier du Reich. Exactement comme dans un conte de fées», note Goebbels dans son journal. Il a promis que des têtes tomberaient. Ça ne traîne pas. La campagne électorale de février 1933 est l’occasion d’une vague de terreur sans précédent. Communistes et juifs sont les premières victimes des violences. Réservé aux cadres marxistes, le premier camp de concentration ouvre en mars dans une usine désaffectée en périphérie de Dachau, près de Munich. L’accession au pouvoir d’un antisémite forcené encourage les attaques spontanées envers les juifs. Le régime va alterner entre laisser-faire et reprise
Süddeutsche Zeitung / Rue des Archives
Ces enfants ont été raflés dans le ghetto de Varsovie après les révoltes de 1943. Enfermés dans des wagons plombés, ils sont emmenés vers les camps de la mort d’Auschwitz, Treblinka ou Sobidor.
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L’ANTISÉMITE
en main ponctuelle de la base nazie, apaisée par l’adoption de lois discriminatoires. Celle du 7 avril 1933 exclut juifs et opposants politiques de l’appareil d’Etat. En juillet, le Führer approuve aussi un premier programme pour «améliorer la race» : 400 000 Allemands vont être stérilisés de force. De mai à septembre 1935 s’élève une deuxième vague de violence. Hitler étend aux «demi-juifs» (Mischlinge) le nouveau dispositif, soit la déchéance de la nationalité allemande, l’interdiction d’exercer une profession libérale et d’être employé dans la fonction publique, les universités et l’armée. Les mariages et les relations sexuelles sont prohibés entre juifs et non juifs. L’objectif est une ségrégation complète. Hitler modère ses troupes pendant ses jeux Olympiques. Mais le parti réclamant de nouvelles mesures, il autorise le marquage des commerces juifs. Fonctionnaires, tribunaux et police appliquent de façon draconienne la discrimination. Les juifs sont désormais des parias. Une «loi d’aryanisation» les spolie. Et leur exode d’Allemagne s’accélère. Mais pas assez au goût des nazis. Adolf Eichmann, chef du «bureau juif» du service de renseignement du parti (SD), estime que les pogroms sont la meilleure solution pour accélérer leur émigration. L’Anschluss, rattachant l’Autriche à l’Allemagne, lui permet de mettre son idée en application à Vienne, en mars 1938. Fort de cet exemple, Goebbels obtient d’Hitler de «nettoyer» Berlin. Dans la foulée, la Nuit de cristal, ordonnée par le Führer, organisée par Goebbels (qui tentera ensuite de faire croire à une insurrection spontanée de la population allemande), sera le dernier pogrom. Entre les 9 et 10 novembre 1938, sur l’ensemble du territoire du Reich, des synagogues sont brûlées, des magasins saccagés, des hommes, femmes et enfants molestés, parfois assassinés.
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Le 30 janvier 1939, pour le sixième anniversaire de sa prise de pouvoir, Hitler s’adresse au Reichstag : «Je veux être à nouveau prophète. Si la juiverie financière internationale, en Europe et à l’extérieur, devait parvenir à plonger une fois de plus les nations dans une guerre mondiale, il en résulterait non pas la bolchevisation de la terre et donc la victoire de la juiverie, mais au contraire l’anéantissement de la race juive en Europe !» Dans la logique de sa conception eugéniste, en septembre, il autorise son médecin personnel, Karl Brandt, à lancer un programme secret d’euthanasie des malades mentaux. L’opération dite «T4» va faire 90 000 victimes. Et permettre de tester des méthodes de meurtre collectif, tel le monoxyde de carbone. L’occupation de la Pologne place
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Ces hommes et ces enfants juifs vont rejoindre l’Amérique du Sud. En 1935, date de cette photo, les nazis prévoyaient de se débarrasser des non aryens en les déportant vers le Brésil.
3 millions de juifs sous le joug nazi. La violence s’abat sur eux avec une ampleur inédite. Les planificateurs SS ont carte blanche, la vision du Führer pour balise. Heinrich Himmler, nommé «commissaire du Reich pour la consolidation de la germanité», ordonne que tous les juifs soient regroupés dans le «dépotoir» du Gouvernement général, la partie de la Pologne annexée par l’Allemagne. Hans Frank, son responsable régional nazi (Gauleiter), écrit en novembre : «Plus il y aura de morts, mieux ce sera.» Les juifs sont parqués dans des ghettos. Ceux au cœur de Lodz (163 000 personnes) et de Varsovie (380 000) sont murés. Le SS Reinhard Heydrich, adjoint d’Himmler, suggère d’y déclencher une épidémie. Himmler, lui, veut rassembler dans la «réserve» polonaise tous les juifs d’Europe avant de les déporter outre-mer. Les services d’Eichmann mettent au point des plans détaillés pour en transporter 4 millions à Madagascar. L’Angleterre ayant la maîtrise des mers, le projet est finalement abandonné. Les groupes d’intervention (Einsatzgruppen) de Heydrich ont déjà fait 60 000 victimes en Pologne. Quatre détachements spéciaux accompagnent la pénétration en Union soviétique. L’historien Ian Kershaw a recensé leurs exactions : le 3 juillet 1941, à Lusk, dans l’est de la Pologne, ils fusillent 1 160 hommes juifs ; 2 514 autres le 6, à Kaunas, en Lituanie ; 12 000 en Baltique en août. En septembre, 33 771 juifs sont massacrés en deux jours à Babi Yar, près de Kiev. Les quatre mois suivants 500 000 sont assassinés. L’ensemble, resté dans l’Histoire sous le nom de «Shoah par balles», fera 1,5 million de victimes. Le front Est a aussi ouvert une nouvelle perspective : déporter les juifs en Sibérie où, soumis au travail forcé, ils mourront à coup sûr de
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froid, de faim ou d’épuisement. Aux juifs d’Europe, le plan général pour l’Est préparé par Himmler prévoit d’ajouter 5 millions de juifs soviétiques. Mais le front russe s’enlise. Et l’entrée dans le conflit des Etats-Unis, nouvelle preuve selon Hitler du complot de la «juiverie», inaugure la guerre mondiale. Sa prophétie doit s’accomplir.
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Divers documents secrets font allusion à l’ordre du Führer de déclencher la destruction des juifs, mais aucune note manuscrite n’a existé. Hitler a défini les objectifs, d’autres se sont chargés d’organiser, de planifier, d’exécuter. Ce fut l’affaire d’Himmler et Heydrich. En septembre 1941, selon l’historien allemand Eberhard Jäckel, Himmler a des conversations cruciales avec Hitler, puis annonce que le Führer a décidé de déporter à l’Est tous les juifs d’Europe occupée, pour les faire exécuter. Le 21 octobre, le Führer a, devant des proches, cette tirade : «En exterminant cette peste, nous rendrons à l’humanité un service dont nos soldats ne peuvent avoir la moindre idée.» Goebbels résume : «Pour ce qui concerne la question juive, le Führer est déterminé à faire table rase.» Pendant toute l’année 1941, en Pologne, les Einzatsgruppen ont raflé les juifs avant de les mitrailler. Des tueries efficaces mais qui démoralisent les meurtriers. On signale dépressions nerveuses et alcoolisme. Himmler, lui-même éclaboussé de sang près de Minsk, a été pris de nausée. Il veut des méthodes propres. Ses services se hâtent de les mettre au point. A la fin de l’année, l’extermination par gaz commence, à Chelmno en Pologne. Les victimes, des juifs et des Tziganes, sont asphyxiées au monoxyde de carbone à l’arrière de
fourgons hermétiques. Les responsables du programme d’euthanasie des handicapés T4 sont ensuite dépêchés en Pologne orientale, près de Lublin, pour mettre sur pied le premier centre de mise à mort, Belzec. Le gaz testé, les camps sortant de terre, tout est prêt pour que soit perpétré le plus grand crime contre l’humanité. Reste à le planifier… Le 20 janvier 1942, Heydrich convie quinze des plus hauts fonctionnaires du III Reich (Hitler lui-même n’y participe pas) à une réunion dans une villa près du lac Wannsee, à l’ouest de Berlin. L’objectif de cette conférence est de mettre au point l’organisation technique, administrative et économique de l’entreprise de destruction des juifs d’Europe. Heydrich explique que le continent va être ratissé, que les juifs seront expédiés dans des ghettos, puis dans des camps de travail «ce qui permettra sans doute une diminution naturelle de leur nombre», préciset-il. Pour l’historien américain spécialiste de l’Holocauste, Christopher Browing, il ne fait aucun doute que tous les participants à cette conférence de Wannsee savent ce qu’on attend d’eux. «Ce ne sont pas des gens incultes incapables de comprendre ce qu’on leur dit […], des non-initiés ou des personnes délicates», écrit-il. La «Solution finale» sera mise en œuvre dans le Gouvernement général. En mars 1942, les premiers trains arrivent aux camps de Belzec, Sobibor et Treblinka. Puis, à l’été, c’est au tour d’Auschwitz, alors que les rafles se multiplient de Paris à Salonique. En 1943, un sixième camp s’ouvre à Majdanek. Himmler déclare à des cadres SS : «C’est une page glorieuse de l’Histoire qui n’a jamais été écrite et ne le sera jamais.» En 1945, les trois quarts des juifs d’Europe occupée – 5 à 6 millions d’individus dont 1,5 million d’enfants – ont été assassinés. Hitler n’a visité aucun camp, mais il a joué dans le génocide un rôle décisif. A la fin de la guerre, il tonne encore que les juifs furent les instigateurs des bombardements sur l’Allemagne. Son testament, écrit dans le bunker, en fait les responsables de tous les malheurs du monde depuis 1914. Il conclut : «On sera éternellement reconnaissant au national-socialisme de ce que j’ai éliminé les juifs d’Allemagne et d’Europe centrale.» La haine des juifs l’aura habitée jusqu’à la fin. �
Jusqu’à son dernier souffle, le dictateur s’en prendra aux juifs i
BALTHAZAR GIBIAT
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FOCUS
La fortune cachée du Führer
D
ans l’ancien stalag de Fallingbostel, en mai 1945, des soldats britanniques, chargés de traquer les nazis en fuite après la débâcle du Reich, observent un détenu. Ils sont intrigués par la forme inhabituelle de sa veste. Vérification faite, les épaulettes d’Heinz Lorenz, secrétaire de Joseph Goebbels, dissimulaient le testament qu’Hitler avait rédigé le 29 avril 1945, avant son suicide. Heinz Lorenz était chargé de le mettre en lieu sûr. Dans ses dernières volontés, Hitler demande que ses biens soient légués à sa famille, aux parents d’Eva Braun, ainsi qu’au parti, en précisant que «si celui-ci n’existait plus, à l’Etat allemand». Adolf Hitler a toujours prétendu être un homme modeste et désintéressé. Il existe de nombreux enregistrements où on l’entend tenir des discours comme celui-ci : «Vous pouvez me voir comme l’homme qui n’appartient à aucune classe. Je n’ai rien que ma relation avec le peuple allemand.» Tout au long des années de lutte pour prendre le pouvoir, de 1920 à 1933, Joseph Goebbels entretiendra cette image d’un humble serviteur de la nation que les biens matériels laissent indifférent. Mais Hitler n’était pas aussi pauvre que la propagande s’ingéniait à le faire croire. En 1925, d’après son dossier fiscal qu’a pu consulter le journaliste économique allemand Wolfgang Zdral, il bénéficie, par trimestre, de 11 000 marks de revenu. Il s’agit des droits d’auteur de Mein Kampf, le livre qu’il a écrit durant sa captivité, après le putsch de novembre 1923. Pourtant, cela
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Le dictateur, qui se prétendait désintéressé, avait toutefois élaboré un système d’enrichissement personnel. Révélations.
n’empêche pas Adolf Hitler de se décrire comme un écrivain désargenté : «Je restreins mes besoins personnels au point de ne pas fumer et de ne jamais boire d’alcool, prétend-il dans un courrier adressé à l’administration des impôts. Je ne mange que dans les auberges les plus modestes. La voiture n’est pour moi qu’un moyen de transport.» Le véhicule en question, acheté en 1925, est une Mercedes d’une valeur de 20 000 marks, et le futur dictateur a engagé un chauffeur. A cette époque, des adhérents du parti nazi se posent des questions sur son train de vie. Ils s’étonnent que Franz Xaver Schwarz, le trésorier du mouvement, donne du cash à Hitler chaque fois que celui-ci en réclame en frappant du poing sur la table. En 1933, il gagne quarante fois le salaire d’un ouvrier allemand
D’où vient cet argent ? Des cotisations des adhérents qui varient entre 1 et 5 marks, de la vente de brochures et d’insignes divers, des entrées aux réunions politiques (payantes chez les nazis) et de quêtes de soutien. S’ajoutent à cette somme les dons d’industriels allemands et de la bourgeoisie munichoise. Des bienfaiteurs étrangers, comme l’Américain Henry Ford, alimentent aussi les caisses des fascistes. L’historien américain Henry Ashby Turner a cependant tordu le cou à l’idée reçue que la prise de pouvoir d’Hitler avait été financée par les grands patrons de l’industrie. Ses travaux ont démontré, que à l’exception de quelques rares cas, ce sont surtout les dirigeants de petites et moyennes entre-
prises qui ont subventionné le parti hitlérien, surtout à partir de 1929, plus enclins à soutenir le Führer qui promettait de les sortir de la crise. Au moment où des millions d’Allemands s’enfoncent dans le chômage et la misère, Hitler, qui se définit comme «un homme politique à titre honorifique» et ne déclare aux impôts aucun revenu émanant du parti, acquiert un appartement à Berlin. Son accession à la Chancellerie, en 1933, va lui permettre de s’enrichir dans des proportions que personne ne soupçonnera. Un film d’archives montre Hitler dans l’usine Siemens de Berlin. Debout sur une estrade, il harangue les ouvriers en ces termes : «Je viens du même endroit que vous. J’étais parmi vous. J’ai fait mon devoir […] et je peux le dire, en ayant faim. J’y suis arrivé pas à pas. Au fond de moi, je suis resté ce que j’étais alors.» Les ouvriers sont loin de se douter qu’Hitler gagne alors quarante fois leur salaire. Il touche toujours des droits d’auteur pour Mein Kampf, dont les ventes ont suivi son ascension. Il perçoit aussi des royalties sur les clichés qu’Heinrich Hoffman, son photographe attitré, réalise de lui et qui sont commercialisés sous forme de cartes postales, d’affiches, de portraits encadrés. Il perçoit même de l’argent sur la vente de timbres à son effigie ! Enfin, en tant que chancelier, il touche un salaire de 30 000 marks et une indemnité de 18 000 marks. Toujours sans payer le moindre pfennig d’impôt. Dans le dossier d’imposition du contribuable Adolf Hitler conservé aux Archives de l’Etat de Bavière, à Munich, le journaliste
La construction du Kehlsteinhaus (nid d’aigle), un centre de conférence à quelques kilomètres du Berghof, engloutit 30 millions de marks. La Seconde Guerre mondiale, qu’il déclenche en 1939, est pour le dictateur un nouveau moyen de s’enrichir. Dès l’année suivante, il charge Alfred Rosenberg, responsable des biens confisqués aux juifs, d’organiser la spoliation. Il accapare des milliers d’œuvres d’art, parfois en un simulacre de vente pour donner à ces vols un vernis de légitimité. Et l’argent liquide circule sans aucun contrôle. Dans ses Mémoires, Rochus Misch, garde du corps dévoué au Führer, se souvient avoir été envoyé, un jour de 1941, à la poste centrale de Berlin. «Au guichet, on m’a dirigé vers une petite pièce dérobée de l’établissement pour me remettre une valise remplie de billets. Elle contenait 100 000 marks», écrit-il.
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Les milliards de marks qu’il a accumulés ne valent plus rien
Wolfgang Zdral a découvert qu’en 1934, le Führer a fait l’objet d’une procédure de redressement. L’administration lui a adressé un rappel de 400 000 marks… dont il ne s’est jamais acquitté, grâce à l’intervention du directeur du fisc. Mieux : le même directeur s’est fendu d’un courrier pour que toute poursuite soit abandonnée et que le Führer soit définitivement exempté d’impôts. A partir de 1933, Hitler puise largement dans les caisses de l’Etat. En juin, il achète comptant le Berghof, une maison dans les Alpes bavaroises, où il aime se ressourcer depuis les années 1920. Les fonds publics financent les travaux pharaoniques qu’il engage pour transformer la villa en QG de trente pièces.
LA CLAIRVOYANCE D’UN SATIRISTE
En juillet 1932, le peintre et photographe allemand John Heartfield dénonçait déjà la cupidité d’Hitler avec ce collage titré : «Adolf le surhomme. Il avale de l’or et crache de la camelote.»
Fonds secrets, caisses noires, archives des finances du parti nazi inexistantes ou détruites… il est difficile d’estimer les sommes amassées par le Führer, qui, même dans son testament, a tenté de cacher l’étendue de sa fortune. Les rapports établis par les enquêteurs des forces d’occupation font cependant état de plusieurs dizaines de millions d’euros. Le Berghof a été évalué à 172 millions d’euros. Hitler possédait, en outre, 8 500 tableaux destinés à être, un jour, exposés au Führermuseum, un gigantesque musée qu’il souhaitait faire construire à Linz, où il avait passé une partie de son enfance. Tous ses biens furent confisqués par les Alliés, puis remis au gouvernement de Bavière. Une fortune qui fondra lors de la réforme monétaire de 1948, le mark perdant toute valeur. Quant aux œuvres d’art du Führer, les deux tiers ont été considérés comme légalement acquis et ont été confiés à l’Etat allemand. Cris Whetton, auteur de Hitler’s Fortune (Pen and Sword, 2005, non traduit) estime que le patrimoine du dictateur s’élevait à 4,5 milliards d’euros actuels. Celui qui prétendait être un homme modeste dévoué à la cause du peuple était en fait un fraudeur fiscal, un pilleur d’argent public, un voleur et un spoliateur. Il était aussi, à l’époque, le chef d’Etat le plus riche d’Europe. � CYRIL GUINET
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LA CHUTE Dans une rue de Londres, des Anglais laissent éclater leur joie après l’annonce de la mort d’Hitler, le 30 avril 1945. Depuis l’entrée des Soviétiques dans Berlin, toute l’Europe attendait l’annonce de la fin du Reich.
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Les 15 derniers jours du dictateur
Le 16 avril 1945, Hitler se réfugie dans son bunker. Le 30, il se tire une balle dans la tête. Entre ces deux dates, le Führer alterne larmes et colères, fête son anniversaire, se marie, destitue ses généraux ou les condamne à mort. Et continue
SPPS/Rue des Archives
à se prendre pour le maître du monde.
LA CHUTE
16 avril 1945
La déchéance du Führer
Il est 3 heures du matin lorsque, depuis les rives de l’Oder, à 40 kilomètres à l’est de Berlin, une gigantesque colonne s’ébranle dans la nuit : 2,5 millions de soldats soviétiques, équipés de dizaines de milliers de pièces d’artillerie, marchent sur la capitale du Reich. Face au rouleau compresseur russe, l’armée allemande n’est plus que l’ombre d’ellemême : des unités dispersées, épuisées et souséquipées. Hitler dirige les opérations depuis Berlin où il a pris ses quartiers en janvier. Pour fuir les bombes des alliés qui s’abattent en permanence sur la ville, il s’est réfugié dans le bunker situé à plus de 10 mètres sous le sol de la nouvelle chancellerie, construite par l’architecte Albert Speer en 1938. Le Führerbunker de Hitler comprend une vingtaine de pièces sommairement meublées, dont ses propres appartements, ceux de ses principaux collaborateurs et une salle de conférence. Des ampoules nues éclairent des murs de béton et plongent ces «catacombes», comme les appellent parfois leurs occupants, dans une atmosphère irréelle, froide et démoralisante. L’apparence d’Hitler lui-même contribue au sentiment de malaise qui s’empare de ceux qui s’enfoncent dans ces lieux. Ces ultimes compagnons le décrivent livide, boursouflé, agité de tremblements et l’allure négligée. « Son apparence physique était terrifiante. Le torse projeté en avant, traînant ses jambes derrière lui, il allait péniblement, lourdement, de son logement à la salle de conférence du bunker. Il avait perdu le sens de l’équilibre […] Souvent, un filet de salive coulait aux commissures de sa bouche», déclare un officier de l’état-major cité par l’historien Joachim Fest dans Les Derniers Jours d’Hitler (éd. Tempus, 2003).
de détails aussi insignifiants que l’emplacement d’une pièce d’artillerie. Malgré leur agacement, les dignitaires affichent un masque de placidité. Hitler conclut son exposé en faisant part de son intention de rester à Berlin jusqu’au bout et les laisse libres de partir. Il ne s’attendait sans doute pas à ce qui allait suivre : c’est une véritable hémorragie des cadres et officiers de la Wehrmacht, plus de 2 000 laissez-passer vont être délivrés en deux heures.
21 avril
Ordre, contrordre et… désordre
Les occupants du bunker sont réveillés en sursaut par des tirs d’artillerie. Furieux, Hitler appelle le général Koller de la Luftwaffe et lui donne
Le 20 avril 1945, Adolf Hitler remet la croix de fer à des orphelins des Jeunesses hitlériennes avant de retourner dans son bunker.
20 avril
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Süddeutsche Zeitung/Rue des Archives
Sauve-qui-peut à la chancellerie
La rumeur du front résonne jusqu’au cœur de Berlin, les Soviétiques sont à 30 kilomètres de la capitale. Dans les salons de la chancellerie, les hauts dignitaires du régime, parmi lesquels Joseph Goebbels, Heinrich Himmler, Albert Speer ou encore Hermann Göring, sont rassemblés pour célébrer l’anniversaire des 56 ans du Führer. Dans une phase d’exaltation, le dictateur expose une stratégie de prise en tenaille de l’Armée rouge. La plupart des dignitaires présents n’ont cependant qu’une idée en tête : fuir la capitale menacée d’encerclement. Comme s’il voulait jouer avec leurs nerfs, Hitler se lance dans une description détaillée de sa tactique, allant même jusqu’à discuter
présents n’ose contredire le Führer, tous sont conscients de l’absurdité de ces ordres : la 9 armée est complètement disloquée. Hitler est en train de commander des divisions fantômes.
22 avril
Il éclate en larmes
En début de journée, Hilter démet de ses fonctions le général Reymann, commandant de la place de Berlin, pour manque de détermination. Il le remplace par Ernst Kaether. Mais l’efficacité de ce dernier n’ayant pas été à la hauteur des espoirs, le Führer le rétrograde au grade de colonel… le soir même ! De son côté, le général Weidling qui se bat d’arrache-pied au sud-est de la capitale, à quelques kilomètres des premières lignes, apprend par radio qu’il est condamné à mort. Curieux de connaître les causes de cette sentence, comme il le racontera plus tard, il se rend avec aplomb au bunker. Il rencontre Hitler qui lui fait un exposé délirant de la situation. Selon ce dernier, l’Armée rouge
UA/Rue des Archives
10 minutes pour détruire le canon longue portée qui, selon le Führer, pilonne Berlin depuis les rives de l’Oder. Renseignement pris, il s’avère que le canon est un moyen calibre situé à 12 kilomètres à peine : les lignes allemandes ont été enfoncées et les Soviétiques marchent sur la ville. Cette nouvelle plonge Hitler dans la confusion la plus totale : il multiplie les ordres contradictoires, s’emporte contre quiconque passe à sa portée pour le moindre prétexte et menace de pendre tous les généraux de la Luftwaffe. Plutôt que de suivre la logique qui voudrait que les unités se replient pour venir défendre la capitale, il ordonne le déclenchement d’une contreoffensive. Prenant un petit drapeau intitulé «groupe Steiner» sur la carte d’état-major, il décrète que, avec la 9 armée, cette formation, menée par le général Waffen-SS Felix Steiner en qui le maître du Reich a toute confiance, sera le pilier de l’attaque. Comme toujours, cette décision est assortie de menaces de mort contre quiconque ne respectera pas les ordres. Or, si aucun des généraux
Ce cube de béton était la sortie de secours du Führerbunker, donnant sur les jardins de la chancellerie. L’abri possédait deux autres issues.
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serait «durement éprouvée» au sud, voire anéantie, par des unités du groupe Steiner. La progression des Soviétiques aurait été aussi stoppée au nord. Hébété par ces propos, Weidling n’est pourtant pas au bout de ses surprises : on le nomme commandant du périmètre de Berlin. Ce à quoi il répond : «J’aurais nettement préféré que vous ordonniez de me fusiller.» Vers 15 heures, dans la salle de conférence, Hitler accueille sans broncher les nouvelles faisant état des percées soviétiques le long du front. Puis, après un silence, il s’enquiert du groupe Steiner. Gênés, les généraux sont bien obligés d’annoncer au Führer que l’offensive décisive n’a pas eu lieu. D’abord stupéfait, Hitler entre dans une colère inouïe. Il laisse exploser sa rage, insultant tour à tour les membres de son état-major qu’il accuse d’être des traîtres, des ratés ou encore des lâches. Les joues inondées de larmes, il hurle : «La guerre est perdue ! Mais si vous vous imaginez, messieurs, que j’abandonnerai Berlin, vous vous trompez lourdement. Je préfèrerais me tirer une balle dans la tête !» La scène s’éternise, il est incapable de se dominer. L’ensemble des occupants du bunker, sous le choc, est rassemblé dans le couloir derrière la porte de la salle de conférence. Puis, abattu, dans un murmure, il dit : «Faites comme il vous plaira ! Je ne donne plus aucun ordre.» A 20 heures, livide et chancelant, Hitler regagne ses appartements. Dans la soirée, il demande à son aide de camp de brûler l’ensemble de ses papiers personnels. La nouvelle des menaces de suicide du Führer se répand comme une traînée de poudre.
23 avril
La trahison de Göring
Le plus grand laissez-aller règne dans le bunker. Le sol est jonché de mégots, de bouteilles vides... C’est à peine si les soldats débraillés se lèvent pour saluer au passage d’Hitler. Celui-ci, hagard, semble indifférent à tout ce qui l’entoure. Mais en début d’après-midi, l’arrivée d’un télégramme provoque une nouvelle crise. Göring, commandant en chef de la Luftwaffe voudrait savoir si, en cas de disparition du dictateur, il est censé prendre la succession, comme cela avait été prévu par un décret de 1941. Une réponse est souhaitée avant 21 heures. Alimentée par Goebbels qui considère qu’il s’agit-là d’un coup d’Etat, la colère du Führer monte en puissance jusqu’à ce que, selon plusieurs témoins, il se mette à pleurer comme un enfant. Il fait diffuser un message radio accusant Göring de haute trahison et retombe dans l’apathie. Avant de s’exciter à nouveau et de lancer un ordre d’arrestation immédiat.
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25 avril
Fantasmes et chimères
Hitler convoque le général Ritter von Greim, adjoint de Göring, et l’aviatrice Hanna Reitsch à Berlin. En tentant de protéger l’avion de ces deux dignitaires, des dizaines de chasseurs allemands sont abattus par les Soviétiques. Toutes les voies d’accès depuis l’aéroport étant aux mains de l’Armée rouge, ils tentent un périlleux atterrissage à proximité de la chancellerie, sur la voie est-ouest conçue par Albert Speer quelques années auparavant. Pendant la manœuvre, von Greim est gravement blessé à la cuisse par un obus, et c’est sur une civière qu’il arrive au bunker. Hitler organise une cérémonie et le nomme commandant en chef de la Luftwaffe. Pourquoi le Führer ne s’est-il pas contenté d’envoyer un télégramme ? Mystère. Toujours est-il que, ragaillardi par cette visite, le dictateur tient un discours enthousiaste à propos de Berlin où, estime-t-il, la situation est moins désespérée qu’il n’y paraît. Or, comme le note l’historien Joachim Fest, «plus de la moitié des bâtiments du centre de Berlin avaient été détruits par l’aviation».
DPA/Picture Alliance/Leemage
LA CHUTE
28 avril
Un mariage et deux testaments
Fin avril 1945, après d’âpres combats, l’Armée rouge progresse dans les rues de Berlin jonchées de cadavres. Au premier plan, un soldat allemand tué.
Une dépêche confirme qu’Himmler a entamé des négociations avec les Occidentaux en vue d’une capitulation inconditionnelle. Pour Hitler, c’est un coup de poignard dans le dos. Le maître de la SS incarnait, à ses yeux, la droiture et la loyauté. Déboussolé, le dictateur arpente les couloirs en accusant Himmler de tous les maux. En attendant, c’est Fegelein, forcément informé de ces démarches, qui va payer la trahison. Sans autre forme de procès, il est fusillé dans les jardins de la chancellerie. Puis Hitler évoque à nouveau son suicide. Il ordonne qu’on brûle son cadavre avant l’arrivée des soldats russes, de peur que sa dépouille ne soit exhibée. Puis il fait distribuer des pilules de cyanures aux femmes pour qu’elles puissent se donner la mort le moment venu. Plus tard dans la nuit, le Führer fait quérir un officier d’état civil pour épouser Eva Braun. Les deux fiancés déclarent être de race aryenne et n’être porteurs d’aucune maladie héréditaire, avant d’aller boire du champagne avec leurs témoins, Goebbels et Bormann. Après la cérémonie, il quitte ses invités pour aller dicter un testament politique et un testament personnel à Fraudl Junge, sa secrétaire particulière. L’amiral Dönitz est désigné comme son successeur à la tête de l’Etat et de l’armée.
29 avril Toujours exalté, Hitler continue à rêver d’écraser l’Armée rouge avec des groupes de combats qui n’existent que dans son imagination. Mais entre le bunker, dont les murs commencent à tomber par plaques entières sous la violence des déflagrations, et les zones de combats, les liens se distendent. Sur le terrain, les généraux cherchent à sauver leurs unités à bout de force et commencent à se rebeller contre les ordres absurdes du Führer.
27 avril
Une évasion au bunker
L’officier de la Waffen SS Hermann Fegelein a déserté le bunker depuis la veille. Cet homme réputé sans scrupule est l’agent de liaison entre Hitler et Himmler, mais aussi le beau-frère d’Eva Braun. Un commando le récupère dans son appartement berlinois, ivre mort et prêt à fuir. Malgré les protestations d’Eva Braun, qui selon la rumeur n’était pas insensible au charme de son beaufrère, Hitler décide de le faire passer en cours martiale. L’état d’ébriété de Fegelein est si avancé que son procès est reporté au lendemain.
L’ultime adieu aux fidèles
Berlin n’est plus qu’un champ de ruines. En ce dimanche ensoleillé, les combats de rue font rage autour de la chancellerie. Hitler semble calme. Il appelle son maître-chien et fait empoisonner sa chienne Blondi, celle-là même dont il disait qu’elle était la seule à lui être restée fidèle dans ce monde de traîtres. A 10 h 30, la nouvelle tombe : Mussolini et sa maîtresse ont été arrêtés, exécutés, et leurs cadavres ont été livrés à la foule. Cette information plombe davantage l’ambiance de fin du monde qui règne dans le bunker. Hitler a interdit qu’on se couche sans son autorisation, alors on passe le temps à boire des verres de schnaps, en discutant à voix basse de la meilleure façon de mettre fin à ses jours. Dans la nuit, le Führer prend une dernière fois la parole devant la vingtaine de personnes encore présentes dans l’abri souterrain. Enfin, dans un silence feutré, juste couvert par le ronronnement des moteurs qui alimentent le blockhaus en électricité, il prend congé de ses plus proches collaborateurs, dont Joseph Goebbels qui a été rejoint par son épouse Magda et leurs six enfants.
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Jewgeni Chaldej/Ullstein Bild/Voller Ernst/Roger-Viollet
Dans un bassin proche du bunker, en mai 1945, des soldats soviétiques pensent avoir découvert le corps sans vie d’Hitler. Il s’agit en réalité de Gustav Weler, un sosie du dictateur.
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CON T ROV E RS E S
DES RUMEURS AUTOUR D’UN CADAVRE
L
a disparition du corps d’Adolf Hitler n’a cessé d’alimenter les rumeurs. Dès le mois de mai 1945, les Soviétiques ont exhibé pas moins de trois corps en prétendant à chaque fois qu’il s’agissait de celui du dictateur. Mais ces falsifications furent vite déjouées. Staline, quant à lui, était persuadé que le Führer n’était pas mort. Après avoir imaginé qu'il s’était enfui en sous-marin au Japon, il soupçonna sa présence en Argentine ou encore dans l’Espagne franquiste. Chacune de ces nouvelles théories était assortie de «preuves»… jamais vérifiées. La presse occi-
dentale se fit, elle aussi, l’écho de ces prétendues fuites : on aurait vu Hitler à Dublin, travesti en femme. Autre hypothèse : il serait mort dans un avion au-dessus de la Baltique… Au-delà de ces fantasmes plus ou moins farfelus, la version officielle fait état de recherches précises, même si les faits sont loin d’être avérés. Dès 1945, une commission d’enquête de l’Armée rouge aurait fouillé les jardins de la chancellerie et
récupéré les restes calcinés du dictateur, d’Eva Braun et des époux Goebbels. Selon les services secrets soviétiques, l’identité d’Hitler fut confirmée grâce à sa dentition et notamment à un bridge authentifié par l’assistant de son dentiste. Une caisse contenant les dépouilles fut enterrée en 1946 sur un terrain militaire secret en Allemagne de l’Est près de Magdebourg. En 1970, la direction du Politburo (bureau politique) du Parti communiste soviétique décida de faire disparaître cette sépulture afin d’éviter qu'elle ne se transforme en lieu de culte néonazi. Seul
LA CHUTE
un morceau de crâne et un fragment de mâchoire furent conservés dans les archives d’Etat russe. Le reste de crâne a été montré au public, pour la première fois en 2000 à l’occasion du 55e anniversaire de la victoire contre le régime nazi, dans le cadre d’une exposition à Moscou intitulée «L’agonie du III Reich : le châtiment». Mais, en 2009, nouveau rebondissement : des tests ADN effectués au laboratoire de génétique de l’université du Connecticut sur des échantillons de ce crâne démontrèrent que le fragment d’os appartenait à une femme âgée de 20 à 40 ans, et que ce ne pouvait pas être Eva Braun. En effet, ce reste de crâne conservé par les Russes présentait un impact de balle, et l'épouse du Führer, selon les témoignages, n’est pas morte d’un coup de feu. Ces dernières révélations relancent ainsi le mystère sur la mort d’Hitler. V. K
30 avril, 7 heures Le piège se referme
Les Soviétiques ne sont plus qu’à 300 mètres de la tanière du dictateur. Eva Braun se rend à la porte du bunker pour voir le soleil une dernière fois. Hitler, qui veut la suivre, en est empêché par une salve de tirs. Il s’en retourne, voûté, sans avoir vu la lumière.
30 avril, 14 heures
Les derniers mots du chancelier
Comme un symbole, l’aigle impérial du Reich, tenant dans ses serres la croix gammée nazie, gît, brisée, aux pieds de deux soldats russes.
Le dictateur prend son dernier repas avec ses deux secrétaires et sa cuisinière, Constance Manziarly. Eva est absente. Il semble maître de lui. A la fin du repas, il prend congé sur ces mots : «Le moment est venu. C’est la fin.» Les ultimes instants du Führer sont connus grâce aux témoignages de ses assistantes, de son garde du corps et d’Albert Speer. Pendant qu’Hitler se retire dans ses appartements, la beuverie bat son plein à l’étage supérieur. Des rires et les échos d’une musique se répandent dans les quartiers les plus reculés de l’abri. Outrés, les officiers montent pour faire taire les fêtards, mais ceux-ci sont bien trop avinés pour s’en préoccuper.
30 avril, 15 h 30
«Le Führer est mort !»
Un coup de feu résonne. Günsche, l’aide de camp du Führer, se précipite dans le bureau et découvre Hitler affalé dans son canapé, les yeux grands ouverts : il s’est tiré une balle dans la tête. Eva Braun gît près de lui. Le pistolet qui lui était destiné n’a pas servi, elle s’est empoisonnée. Günsche se rend dans la salle commune, et au gardeà-vous, annonce : «Le Führer est mort !» Conformément aux dernières volontés du dictateur, les corps sont brûlés dans une fosse devant le bunker.
1er mai
DPA/Picture Alliance/Leemage
La fin du III Reich
Dans les jardins de la chancellerie, Magda et Joseph Goebbels se suicident d’une balle après avoir empoisonné leurs six enfants. Ce n’est que dans la soirée que les Berlinois sont informés par haut-parleur de la mort d’Adolf Hitler. Le général Weidling demande l’arrêt immédiat de toute résistance. C’est le signal de la reddition. Le III Reich a cessé d’exister. Il a sombré en laissant derrière lui d’incommensurables destructions à travers toute l’Europe et en emportant dans son sillage des millions de vies. � VALÉRIE KUBIAK
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POUR EN SAVOIR PLUS ESSAIS
Le plus étonnant
Qu’est devenu Luz Long, le sauteur en longueur allemand battu par le Noir américain Jesse Owens sous les yeux du Führer aux JO de Berlin en 1936, ? C’est son destin, glaçant, que ce livre raconte, avec celui de huit autres athlètes nazis. Les Champions d’Hitler, de Benoît Heimermann, éd. Stock, 18,50 €.
Le plus terrifiant
Les expertises psychiatriques des dirigeants du III Reich jugés à Nuremberg montrent qu’ils n’étaient pas psychopathes mais normaux. Spécialiste du nazisme, Johann Chapoutot nous entraîne dans un univers mental effrayant. La Loi du sang. Penser et agir en nazi, de Johann Chapoutot, éd. Gallimard, 25 €.
Le plus documenté
Pour mieux construire son mythe, Adolf Hitler a détruit les témoignages (correspondance, photographies) de sa jeunesse. L’auteur retrace l’itinéraire réel de celui qui plongea le monde dans le chaos. Malheureux le pays qui a besoin d’un héros, de Lionel Richard, éd. Autrement, 21 €.
Le plus dérangeant
L’auteure, consultante pour l’US Holocaust Memorial Museum, a fouillé les archives et comptes rendus de procès d’après-guerre pour révéler un phénomène méconnu : celui des femmes, secrétaires, infirmières, institutrices, qui se sont portées volontaires pour rejoindre les rangs des bourreaux. Les Furies d’Hitler. Comment les femmes allemandes ont participé à la Shoah, de Wendy Lower, éd. Tallandier, 20,90 €.
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LA SÉLECTION DE CYRIL GUINET
T É MOIG N AG E S
A N A LY S E
LA BIO RÉFÉRENCE
L
’historien britannique Ian Kershaw a consacré sa vie à essayer de comprendre comment Adolf Hitler, un marginal semi-clochard, a pu se hisser jusqu’au sommet du pouvoir. Et comment des millions de personnes ont pu le suivre dans sa folie meurtrière, tels les enfants envoûtés par le joueur de flûte d’Hamelin.
Le résultat de ce travail colossal, il l’a publié en deux tomes : 1889-1936 : Hubris, puis 1936-1945 : Nemesis. Deux ouvrages que Flammarion vient de rééditer en un seul volume, Hitler, 1889-1945. Limpide, éclairant, indispensable. Si vous ne devez en lire qu’un, c’est bien celui-ci. Hitler, 1889-1945, de Ian Kershaw, éd. Flammarion, 29 €.
EXPO
LA FRANCE COMPLICE
D
ans le cadre des comm é m o ra t i o n s d u 70 anniversaire de la libération de la France, cette exposition explore les différentes formes qu’a pu prendre la collaboration : idéologique, politique, policière, économique, culturelle, médiatique. Inédits pour la plupart, quelque 300 documents resti-
tuent l’atmosphère de ces années noires. La visite se conclut par un film où les deux commissaires de l’exposition, Denis Peschanski et Thomas Fontaine, reviennent sur l’ampleur que prit la collaboration au sein de la société française. La Collaboration (1940-1945), Archives nationales, Hôtel de Soubise, Paris 4 (jusqu’au 2 mars).
DVD
LE 7E ART DÉVOYÉ
E
ntre 1933 et 1945, des centaines de reporters ont été enrôlés dans les Propaganda Kompanien, pour le ministère de la Propagande nazie de Joseph Goebbels. La réalisatrice Véronique Lhorme retrace le parcours de quatre d’entre eux qui filmèrent les grandes messes du Reich, les jeux Olympiques de
1936, et la guerre, bien sûr. Des interviews (celle du cameraman attitré d’Hitler) et des analyses d’historiens comme Marc Ferro éclairent ce documentaire indispensable pour comprendre comment les nazis ont utilisé le cinéma pour manipuler les foules. Propaganda Kompanien, reporters du III Reich, Studiocanal, 90 min., 11,90 €.
Le plus naïf
Cette jeune Munichoise voulait être danseuse mais des études de secrétariat la menèrent à devenir l’assistante d’Hitler. Elle travailla dans son intimité jusqu’au suicide du Führer dans son bunker. «Hormis cela, ma vie n’a rien d’extraordinaire», écrit-elle. Dans la tanière du loup. Les confessions de la secrétaire d’Hitler, de Traudl Junge, éd. JC Lattès, 10,50 €.
Le plus «inside»
Ne cherchant ni à se justifier ni à amoindrir sa responsabilité, Albert Speer affirme : «Je n’ai pas seulement voulu raconter, mais aussi comprendre.» Les Mémoires de l’architecte en chef du III Reich dévoilent le fonctionnement de l’appareil d’Etat de l’intérieur. Au cœur du Troisième Reich, d’Albert Speer, éd. Fayard, 16,20 €.
Le plus fidèle
Témoin des petites et grandes heures du dirigeant nazi, son garde du corps, dernier soldat allemand à quitter le bunker après la mort du Führer, raconte l’Allemagne tourmentée d’avant-guerre et sa vie quotidienne avec Hitler. J’étais le garde du corps d’Hitler-1940-1945, de Rochus Mish, éd. Livre de Poche, 6,10 €.
Le plus émouvant
En 1933, lorsque Adolf Hitler, s’installe dans l’immeuble en face de chez lui, Edgar, 5 ans, fils d’un éditeur juif, voit son destin basculer. Il assiste à la déchéance de ses parents, qui perdent leurs droits de citoyens. Une plume légère pour raconter une histoire terrible. Hitler mon voisin. Souvenirs d’un enfant juif, d’Edgar Feuchtwanger, éd. Michel Lafon, 18,50 €.
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Comment sont conçus les guides de voyage ? Les coulisses de — interview Le guide de voyage est un élément indispensable pour des vacances réussies. Mine d’informations passionnantes, il sert de référence avant, pendant et après le séjour. Mais vous êtes-vous déjà demandé comment était élaboré un tel guide ? Virginie Maubourguet, responsable de la collection GEOGuide, répond à 3 questions. GEO : QUI PARTICIPE À LA RÉALISATION D’UN GUIDE DE VOYAGE ? Virginie Maubourguet : Toute une équipe est mobilisée pour que les globe-trotters aient entre les mains un guide de qualité. Tout d’abord des auteurs-voyageurs (entre 2 et 10, selon la destination), aidés d’un correspondant local qui leur prépare le terrain en présélectionnant des adresses. Nous faisons également appel à un conseiller scientifique, spécialiste de la destination, qui relit, corrige et précise toutes les parties culturelles. Un cartographe réalise cartes et plans du guide. Enfin, l’éditeur joue le rôle de chef d’orchestre de l’ouvrage en coordonnant l’équipe.
QUELS SONT LES ÉTAPES ET LE TEMPS NÉCESSAIRES À L’ÉLABORATION D’UN GUIDE ? Il faut compter un an entre la décision de réaliser un guide et la publication du guide en question. Chaque étape a son importance. La phase de préparation est dédiée, entre autres, à l’élaboration du synopsis du guide, des plans de route des auteurs… Puis arrivent les missions sur le terrain (4 semaines en moyenne par auteur) : du lever au coucher et sur un rythme effréné, les auteurs se doivent d’être constamment à l’affut de la moindre information utile aux futurs voyageurs ! Cette phase terminée, ils s’attèlent à la rédaction des textes. Commence alors le travail éditorial avec la lecture et la correction des textes, les échanges avec les différents protagonistes, le choix de la couverture…
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Sur le flanc sud de la cathédrale, l’architecte Eugène Viollet-le-Duc s’est représenté sous les traits de saint Thomas. Tournant le dos à Paris, satisfait, il contemple son œuvre.
LE CAHIER DE L’HISTOIRE VIOLLET-LE-DUC L’homme qui sauva Notre-Dame de Paris p. 120 BEAU LIVRE Dans le sillage des Lumières, le point de vue des peintres p. 132 FILM Les Croix de bois, la mémoire des poilus p. 133
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ermet / La Collectio Gilles M n
R ÉCIT Spécialiste de l’art médiéval Eugène Violletle-Duc, ici à 20 ans, fut le chef de file du mouvement néogothique. Pour lui, il s’agissait de revisiter l’histoire et l’archéologie à travers la création artistique.
L’HOMME QUI SAUVA NOTRE-DAME DE PARIS Au milieu du XIXe siècle, la cathédrale était si abîmée qu’on songea à la raser. Un jeune architecte, Eugène Violletle-Duc, releva le défi de la restaurer Mieux : il en fit son chef-d’œuvre ! PAR LÉO PAJON
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Le raffinement dans le détail Le jeune architecte a réalisé, en 1843, cette élévation de la façade principale qui accompagnait son projet de réhabilitation. On aperçoit la flèche, qu’il proposait déjà de rétablir.
Ministère de la Culture. Médiathèque du Patrimoine / RMN - Grand Palais
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Gilles Mermet / La Collection x 2
Il ajoute des éléments inspirés par le Moyen Age
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Une main virtuose au service d’un rêve C’est dans l’atelier du peintre David que Viollet-le-Duc a développé son don pour le dessin. A gauche, ses croquis de la flèche. En disposant les apôtres le long des rampants, il accentue l’effet d’élévation. A droite, en haut, une des gargouilles, devenues emblématiques de Notre-Dame. Dessous, un plan du chœur où il propose une restitution des grilles. Il sera attaqué par ses pairs à cause de ces parties «réinventées».
Ministère de la Culture. Médiathèque du Patrimoine / RMN - Grand Palais x 2
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Un budget colossal… et 20 ans de travaux
n beau jour de 1820, un vieux domestique entre dans Notre-Dame de Paris en tenant par la main un garçon de 6 ans. Ce jour-là, une foule compacte circule dans les travées de la cathédrale, obligeant l’homme à prendre le garçonnet dans ses bras. Le regard de l’enfant court alors sur les vitraux : le soleil filtre à travers la rosace sud, une pièce spectaculaire du XIIIe siècle de 13 mètres de diamètre, qui semble s’embraser dans la lumière. Soudain, le grand orgue rugit. Pour le petit garçon, c’est comme si les vitraux se mettaient à chanter, que les panneaux, ensorcelés, vibraient de sons graves et aigus. Le domestique tente de le rassurer, mais rien n’y fait : le jeune Eugène Viollet-le-Duc, comme il le racontera dans ses Mémoires, est saisi d’une telle terreur qu’il faut le conduire aussitôt vers la sortie. 1844. Vingt-quatre ans plus tard, un trentenaire en redingote, à la barbe sombre et fournie, les cheveux bouclés plaqués sur son large front, fait face à l’édifice. Eugène Viollet-le-Duc n’est plus un petit garçon. Et il ne se laisse plus impressionner par la majesté de Notre-Dame. Au contraire, cette fois, c’est plutôt le mauvais état général de la cathédrale construite il y a plus de cinq siècles, entre 1163 à 1345, qui lui saute aux yeux. De toute évidence, le temps et les hommes ont sévèrement malmené le vaisseau de pierre.
Le siècle précédent, notamment, n’a pas été tendre avec le monument. Sous Louis XV, les chanoines ont fait détruire les vitraux du Moyen Age, jugés trop sombres, remplacés par du verre blanc. Le trumeau, ce pilier central soutenant le portail du Jugement dernier, a été amputé par JacquesGermain Soufflot, alors architecte en chef de NotreDame, pour faciliter le passage des processions. Durant la Révolution, des sculptures sur la façade ont tout bonnement été décapitées : les sansculottes avaient confondu les monarques bibliques avec les rois de France ! Les grandes statues des trois portails ont été pulvérisées, la flèche sur le toit, anéantie, le trésor de la cathédrale, pillé. Tout objet en métal précieux ou en bronze a été envoyé à la fonte. En 1804, Notre-Dame est dans un tel état de décrépitude que, pour accueillir le sacre de Napoléon, il faut construire à la hâte un portique en bois, carton et stuc. On blanchit également les murs à la chaux et on dissimule les parties les plus abîmées sous des draperies de soie et de velours. Lors de la révolution de 1830, la cathédrale subit de nouveaux assauts. Les émeutiers détruisent les vitraux et dégradent le monument en incendiant
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Bridgeman Art
En 1857, le jeune architecte se retrouve seul aux commandes du chantier
Un architecte orfèvre Le reliquaire de la Sainte Couronne d’épines, qui appartient au trésor de Notre-Dame, a été réalisé d’après un dessin de Viollet-le-Duc.
DRAC Ile-de-France / Pascal Lemaître
l’archevêché voisin. De démolitions en saccages, Notre-Dame n’est plus que l’ombre d’elle-même, à tel point que les autorités parisiennes envisagent alors sa destruction pure et simple. C’est un formidable engouement populaire pour la cathédrale qui va stopper les pelles et les pioches des démolisseurs. «A l’origine de ce mouvement, on trouve la revue Annales archéologiques créée par l’archéologue français Didron, explique JeanMichel Leniaud, spécialiste de l’architecture des XIX et XXe siècles. Le périodique fédère aussi bien des ecclésiastiques que des laïcs. On y trouve des passionnés d’histoire de l’art, des médiévistes, des architectes, des savants…» Ces militants dénoncent les actes de vandalisme et les restaurations ratées dont sont victimes les monuments. Ces croisés du patrimoine ont un allié de taille : Victor Hugo, très lié à Didron. Son roman Notre-Dame de Paris, publié en 1831, connaît un succès immédiat et permet de sensibiliser l’opinion. Hugo, lyrique, ressuscite la gloire du monument médiéval. Notre-Dame devient, sous sa plume, «une vaste symphonie en pierre», «une création […] puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité». La parution du roman accélère la prise de conscience : la restauration de l’édifice est fondamentale et urgente. En théorie, la mission incombe à un certain Etienne-Hippolyte Godde, architecte en charge des églises de Paris. Mais sous la pression du clan des Annales, qui considère que Le roman qui Godde est un incapable, ce a tout changé dernier est écarté et un Le succès populaire concours organisé pour de Notre-Dame de Paris, de Victor désigner un projet de resHugo, a permis tauration. L’une des trois de sensibiliser équipes en lice retient parl’opinion sur la ticulièrement l’attention : nécessité de saucelle de Jean-Baptiste-Anver la cathédrale. Ici, la couverture toine Lassus, un architecte d’une édition connu pour avoir déjà tradatant de 1877. vaillé sur plusieurs édifices religieux de la capitale, et d’Eugène Viollet-le-Duc, un quasi-inconnu. Certes, ce fonctionnaire des Monuments historiques a su, à seulement 26 ans, sauver la basilique de Vézelay, que beaucoup annonçaient condamnée. Mais Vézelay reste loin de la capitale, où tout se décide. Et cet autodidacte n’a pas suivi les cours de l’Ecole des beaux-arts. Son apprentissage à lui s’est déroulé sur les routes d’Italie, qu’il a parcourues de la Sicile à Venise, carnet de dessin à la main. A l’appui de leur projet, Lassus et Viollet-le-Duc proposent une sorte de charte déontologique, une profession de foi. Les auteurs s’engagent, lors de la restauration, à faire preuve «d’une religieuse discrétion», d’une «abnégation complète», bref à sacrifier leur ego pour relever la
cathédrale originelle. Et ce sont eux qui seront finalement désignés, le 11 mars 1844, pour venir au chevet de la vieille dame de pierre. La restauration de Notre-Dame propulse soudain le jeune homme sur le devant de la scène. «C’est un chantier énorme, le plus en vue du pays, et un dossier éminemment politique : à la fois sous la jumelle de l’opinion parisienne, de la critique parlementaire et de la sphère gouvernementale», précise Jean-Michel Leniaud. Afin de mieux diriger les opérations, il s’aménage un bureau dans la tour sud
Le budget est colossal. En 1845, les crédits votés par les chambres s’élèvent très précisément à 1 973 882,67 francs pour la réfection de Notre-Dame et à 664 491,83 francs pour la reconstruction de la sacristie incendiée. Mais les fonds se révèlent rapidement insuffisants. Après une interruption de huit ans, les travaux reprennent en 1859 grâce à une dotation supplémentaire de 3 millions de francs. Au total, c’est l’équivalent de plus de 14 millions d’euros qui sont dépensés. Seul cette fois, car Lassus est décédé durant l’interruption du chantier en 1857, Viollet-le-Duc se remet à la tâche avec une énergie folle. Son journal des travaux révèle une présence constante sur le chantier. Il a installé son bureau dans la tour sud de la façade de la cathédrale. Dans ce décor sobre – parquet et papier peint gris – chauffé par un poêle à bois, le jeune architecte dessine et consigne
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Ministère de la Culture. Médiathèque du Patrimoine / RMN - Grand Palais
Un vaisseau de pierre ressuscité Viollet-le-Duc a rétabli la statuaire dans son aspect du XIIIe siècle et redonné son lustre à la rosace sud qui l’avait tant impressionné quand il était enfant.
R ÉCIT la vie du chantier, enseveli sous la paperasse : devis, factures, rapports… des milliers de documents sont signés ou visés par les responsables. Mais le plus souvent, on le voit s’affairer aux côtés des ouvriers et des artisans. Travailleur insatiable, il dessine les échafaudages (une tâche théoriquement réservée aux charpentiers), vérifie la préparation des mortiers et des enduits, prend parfois le pinceau pour fignoler des décorations. Le «patron» est proche de ses employés, qu’il forme et défend le cas échéant. Il veille, par exemple, à ce qu’ils restent rémunérés lorsqu’ils sont arrêtés, victimes d’un accident du travail. Mais c’est aussi un homme à poigne qui n’hésite pas, lorsque des grèves perturbent les travaux de Notre-Dame, à faire appel à une main-d’œuvre militaire.
La façon dont cet architecte aborde la réfection de l’édifice est du jamais-vu, comme le souligne Christine Lancestremère, du commissariat de l’exposition que la Cité de l’architecture consacre à Viollet-le-Duc. «C’est l’un des premiers de sa génération à travailler réellement dans une optique de restauration historique, explique-t-elle. Il sait presque tout des matériaux, des techniques de construction, du style du Moyen Age, et il parfait ses connaissances en se basant sur des dessins anciens, en étudiant profondément le monument et en analysant les secrets que dévoilent les travaux. Il consignera d’ailleurs ses observations dans son épais Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XI au XIVe siècle. Viollet-le-Duc reprend aussi des techniques de travail médiévales. En ce milieu de XIXe siècle, la révolution industrielle et le boom ferroviaire permettent d’acheminer sur les sites des matériaux produits ailleurs. Viollet-leDuc, lui, exige que certains artisans installent leurs ateliers au pied de la cathédrale, comme aux siècles précédents. Les pierres, par exemple, arrivent en gros blocs sur le chantier et sont façonnées sur place. Il est entouré d’une quinzaine de sculpteurs, de verriers, d’orfèvres, de menuisiers… Excellent pédagogue, le jeune architecte leur enseigne des savoir-faire médiévaux. Il se voit ainsi entouré de collaborateurs chevronnés, fidèles, et qui finissent par penser exactement comme leur patron. Ce sont eux qui le remplacent lorsqu’il s’absente pour visiter d’autres chantiers, écrire, ou satisfaire aux exigences de la vie mondaine. L’intervention de Viollet-le-Duc est un formidable bain de jouvence pour Notre-Dame. Les pierres abîmées sont remplacées. Toutes les statues de la façade, y compris celles de la galerie des rois, sont rétablies dans leur aspect du XIIIe siècle. La rose méridionale, qui avait tant impressionné l’architecte enfant, est restaurée. La sacristie, surtout, est entièrement reconstruite dans le style
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Gaston Paris / Roger-Viollet
Il s’entoure de collaborateurs et d’employés dévoués et n’hésite pas à casser les grèves
Au final, il est accusé de s’être approprié Notre-Dame
du XIIIe siècle, non sans mal : il faut au préalable creuser à 9 mètres pour poser les fondations. Pourtant, quelques voix s’élèvent pour critiquer cette restauration. Certains la jugent trop rigoriste. On reproche à Viollet-le-Duc, dans une sorte de processus de «purification», de détruire des éléments existants, au prétexte qu’ils ne seraient pas de l’époque médiévale. L’architecte se défend et explique dans son Dictionnaire raisonné (dix volumes, publiés entre 1854 et 1868) en quoi sa philosophie de travail a évolué durant le chantier : «Restaurer un édifice n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné.» Certains de ses choix sont remis en cause. Comme ce Christ qu’il fait apparaître en façade, pour combler le vide au-dessus du trumeau central, sculpture hybride d’un Jésus observé à Amiens (bénissant la foule) et d’un autre à Chartres (tenant un livre). D’autres critiques, enfin, font remarquer que Viollet-le-Duc, contrairement aux grands principes affichés lors du concours, s’approprie l’architecture de Notre-Dame. Et qu’il n’hésite pas, à l’occasion, à inventer des éléments qui n’ont jamais existé. Ainsi, pour remplacer les tuyaux de plomb installés au XVIIIe siècle, Viollet-le-Duc dessine et fait sculpter des gargouilles. Ces créatures fantas-
tiques, qui trônent aujourd’hui au-dessus de l’édifice et contemplent Paris du haut de la façade, sont tout droit sorties de son imagination. Il fait également remplacer la flèche initiale, en bois, par une nouvelle flèche nettement plus grande (elle s’élève à 93 mètres depuis le sol), en chêne, recouverte de plomb, d’un poids de 750 tonnes. A la base de la flèche, une plaque célèbre le «Grand Architecte de l’Univers»
CAPA / MMF - Fonds G. D.
«Cette flèche est un chef-d’œuvre, tempère JeanMichel Leniaud. Et le fait de disposer les apôtres autour, le long des quatre rampants, stimule l’effet ascensionnel. Cela fait de Notre-Dame une sorte de pyramide en mouvement.» L’un de ces apôtres a un air familier. Saint Thomas, sur le flanc sud, est le seul à ne pas regarder Paris. Tourné vers la flèche, il prend les traits… de Viollet-le-Duc lui-même ! L’architecte s’est fait représenter vêtu d’une toge médiévale, contemplant son œuvre. Dans sa main droite, la règle des compagnons porte une inscription latine signifiant «Eugène Emmanuel Violletle-Duc a édifié cette flèche». On le reconnaît aussi sur l’une des statues de pierre de la galerie des rois en façade. Plus troublant, à l’achèvement des travaux de la flèche, une plaque en fer est vissée à la base du pilier la soutenant. A l’abri des regards, elle est très peu connue des visiteurs et des Parisiens… et comporte des symboles maçonniques : l’équerre et le compas se croiUn saint Thomas sant, ainsi qu’un acronyme à la qui a ses traits gloire du «Grand Architecte de Parmi les statues l’Univers». Cette plaque n’a pas des apôtres instalpu être posée sans l’accord de lées sur le toit, à gauche, une seule, Viollet-le-Duc, ce qui peut laiscontemple la flèche ser penser qu’il était francde l’édifice : elle maçon, comme son artisanreprésente Violletcharpentier, Auguste Bellu, le-Duc ! Sur le chargé de la réalisation de la parvis, la Vierge à l’Enfant attend de flèche. Les travaux prennent fin retrouver sa place. le 3 janvier 1865. Eugène Viollet-le-Duc aura consacré vingt ans de sa vie à ce chantier. Ses travaux archéologiques et ses doctrines en matière de restauration ont révolutionné l’architecture. Pour autant, nombre de ses pairs refusent de le reconnaître comme l’un des leurs. Quant au bilan très critique du travail de Viollet-le-Duc, il perdurera jusqu’après sa mort, le 17 septembre 1879. Alors qu’on lui a longtemps reproché ses anachronismes, ses mutilations, voire de s’être approprié Notre-Dame, on loue aujourd’hui le travail du créateur qui, en cherchant à exalter l’architecture du Moyen Age, a fait de Notre-Dame de Paris l’un des plus beaux édifices de la capitale. � LÉO PAJON Viollet-le-Duc, les visions d’un architecte, Cité de l’architecture et du patrimoine, www.citechaillot.fr (jusqu’au 9 mars).
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L I V R E E
PETITES GENS, GRANDE PEINTURE Dans le sillage des Lumières, les artistes se sont enfin intéressés à «tous les hommes». Et à toutes leurs failles…
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eux enfants dévorent un melon et du raisin. Les traits sont gauches, les pieds, crasseux. Leurs guenilles témoignent d’une existence misérable… Pour illustrer le préambule de son remarquable ouvrage sur la peinture des Lumières, Tzvetan Todorov a choisi un tableau de l’Espagnol Bartolomé Esteban Murillo, Deux garçons mangeant des fruits. On est loin des portraits officiels et des fresques religieuses qui ont marqué le Moyen Age et la Renaissance. Avec les Lumières, l’art s’échappait des palais et des cathédrales pour se confronter à la réalité sociale. Historien des idées, Todorov décrit une révolution, celle d’une peinture qui s’est intéressée à «tous les hommes» : les enfants et les
vieillards, les autochtones et les étrangers, voire les marginaux comme les fous, les criminels et les prostituées. Représenter tous les hommes implique aussi de représenter «le tout de l’homme», et donc l’amour physique, les actes de cruauté et de violence, les bassesses du quotidien. En se frottant à la réalité humaine, le peintre devenait moraliste, voire reporter d’image. Ainsi, dans ce beau livre, illustré par une centaine de tableaux, dessins et gravures en couleurs, Todorov consacre-t-il de longs chapitres au Français Antoine Watteau, témoin des fêtes galantes du XVIII siècle, à l’Italien Alessandro Magnasco qui représentait d’impressionnantes scènes de torture, et aussi à William Hogarth, précurseur des grands
caricaturistes. Dans La Brigue des votes (1754), le peintre anglais s’inspirait des élections législatives pour dénoncer corruption, intimidations, ententes… Avec un trait mordant et moqueur, Hogarth se faisait le défenseur du peuple contre ceux qui les manipulaient, quitte à s’aliéner précisément ceux qui pouvaient lui acheter ses tableaux ! A travers ces artistes révolutionnaires, c’est l’éveil d’une conscience politique que dévoile Todorov : une peinture qui entrait en résonance avec les mouvements sociaux et intellectuels. Et qui elle-même allait imprégner et enrichir � l’esprit de son temps. FRÉDÉRIC GRANIER
La Peinture des Lumières, de Tzvetan Todorov, éd. Seuil, 216 pages, 45 €.
Soane’s Museum / Bridgeman Images
Dans La Brigue des votes, l’Anglais William Hogarth dénonce la corruption des parlementaires.
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DÉROUTE SOUS LES TROPIQUES
LA MÉMOIRE DES POILUS
BERTRAND MORANE
Les Croix de bois, de Raymond Bernard, Pathé, 20 €.
A
l’heure où l’on s’apprête à commémorer le bicentaire de la bataille de Waterloo, une autre défaite napoléonienne, par le biais d’un ouvrage passionnant, se rappelle à notre mémoire : la bataille de Vertières qui, en novembre 1803, marqua l’aboutissement sanglant de la guerre d’indépendance haïtienne. D’un côté, Jean-Jacques Dessalines et François Capois, dit Capois-laMort, nés esclaves, et commandants de l’armée «indigène» qui, au nom des idéaux révolutionnaires, souhaitaient libérer du joug français leur île encore dénommée Saint-Domingue. De l’autre, Donatien de Rochambeau, général de l’armée napoléonienne, retranché dans le
Costa/Leemage
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ous n’avons pas eu besoin de jouer, nous n’avons eu qu’à nous souvenir.» Ces mots sont ceux de Charles Vanel qui, comme Pierre Blanchar et la majorité des acteurs et des figurants des Croix de bois ont été soldats durant la guerre de 14-18. Le film de Raymond Bernard reprenait en 1932 la trame du célèbre roman de l’ancien combattant Roland Dorgelès. Dans la ferveur du début du conflit, un étudiant en droit s’engage dans l’armée afin de combattre les Allemands et se lie d’amitié avec ses camarades de tranchées, ouvriers, boulangers, cuisiniers dans le civil, unis sous la même bannière. Il finira par perdre ses idéaux face à l’absurdité de la guerre. Remasterisé par Pathé et agrémenté de nombreux suppléments, cette œuvre saisissante filmait la guerre à travers les yeux des soldats et avec un réalisme alors jamais retranscrit à l’écran. Et pour cause : le tournage fut réalisé en Champagne, théâtre de luttes acharnées, restée presque identique à ce qu’elle était en 1918. Il n’était pas rare pour les techniciens du film de déterrer des obus ou des cadavres. «Le plus bel hommage aux poilus français», titrait Le Matin à la sortie du film. Trois générations plus tard, si les scènes de bataille ont perdu de leur spectaculaire (Ford, Zanuck et Spielberg sont passés par là…), la puissance émotionnelle est restée. �
C’est sur l’île d’Haïti, en 1803, que Napoléon Bonaparte connut sa première grande défaite. fort de Vertières, doté d’une puissante artillerie, mais qui plia face aux quatre assauts meurtriers des rebelles. Deux mois plus tard, l’indépendance d’Haïti était proclamée. Spécialiste des Amériques noires, JeanPierre Le Glaunec revient sur la dureté du système colonial et sur une défaite française que l’historiographie a longtemps occultée. Première fissure dans le système esclavagiste, la bataille de Vertières ne mit pourtant pas fin à la violence : couronné «empereur d’Haïti» , Dessalines fit massacrer les 5 000 Blancs restés sur l’île après l’indépendance. F. G. L’Armée indigène - La défaite de Napoléon en Haïti, de Jean-Pierre Le Glaunec, éd. Lux, 280 pages, 18 €.
La bataille de Vertières opposa indépendantistes haïtiens et armée napoléonienne.
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A
LIRE, A VOIR
S O C I É T É S
L’HOMME DE RIO
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assemblé dans un ouvrage publié entre 1834 et 1839 et aujourd’hui luxueusement réédité, le travail de JeanBaptiste Debret, peintre jacobin à la cour du roi du Brésil, a longtemps fait figure de classique pour des générations de Brésiliens. Et demeure le plus juste et le plus fascinant témoignage d’une nation encore balbutiante. Artiste officiel du premier Empire, Jean-Baptiste Debret se trouva subitement en disgrâce, en 1815, après la déroute de Waterloo. Pour ce fidèle de Napoléon, marqué par le néoclassicisme
de l’épopée révolutionnaire, le salut allait se trouver de l’autre côté de l’océan, où il fut invité parmi une délégation afin de créer une Académie des beaux-arts à Rio de Janeiro, capitale du nouveau «vice-royaume» portugais. Debret y resta une quinzaine d’années, le temps de composer une étonnante série de dessins et d’aquarelles, bien loin d’une vision fantasmée d’un pays exotique. Car son regard est celui d’un ethnologue doublé d’un historien, saisis-
sant les combats entre «Indiens civilisés» et «sauvages», capturant le cortège du baptême de la princesse royale ou de nombreuses scènes de la vie quotidienne. Fascinant. F. G.
Avec Une dame brésilienne dans son intérieur, Debret dépeint la cohabitation entre Blancs et esclaves.
Voyage pittoresque et historique au Brésil de Jean-Baptiste Debret, éd. Imprimerie nationale, 640 pages, 99 €.
F I G U R E E
VIE ET MORT D’UNE INCOMPRISE Grâce à des témoignages d’époque mis en perspective, le portrait de la dernière reine de France se révèle plus complexe qu’on pensait. Et très émouvant.
M
arie-Antoinette continue de fasciner. Sans doute parce que, à travers son destin tragique, elle est devenue une icône que l’Histoire n’aura cessé de malmener. Futelle si frivole ? Egoïste ? Inconsciente de la réalité ? Il suffit de parcourir les pages passionnantes de ce gros livre pour se convaincre du contraire, et de son intérêt pour la chose politique. Passées ses années
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de jeunesse et l’étourdissement de vivre à la plus belle cour d’Europe, l’Autrichienne se révèle attentive, fidèle à son roi, et lucide dans le torrent cruel des événements. La méthode employée ici est efficace : sous la direction de l’historienne Evelyne Lever, on découvre MarieAntoinette à travers les rapports secrets, les souvenirs et les confidences de ses plus proches, voire de ses intimes.
Ici, Madame Campan, sa femme de chambre, là, un ambassadeur, plus loin des courtisans, des espions, son amant. Tous ont écrit sur ces moments arrachés à la trame de l’Histoire. C’est cette polyphonie de voix qui donne l’ampleur à son personnage. Les Tuileries, la fuite à Varennes, les derniers instants au Temple sont bouleversants… � JEAN-LUC COATALEM
Marie-Antoinette telle qu’ils l’ont vue, éd. Omnibus, 992 pages, 28 €.
Jean-Baptiste Debret
Réédition d’une œuvre indispensable pour comprendre, en images, les origines du Brésil.
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Parler de l’Histoire, avec l’excellence journalistique de GEO. Voilà le principe qui nous a guidé dans la réalisation de ce nouveau magazine. GEO HISTOIRE propose une fresque complète d’un grand moment de notre histoire.
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n le sait, la population de l’Inde (plus de 1,2 milliard d’habitants) est son grand atout, mais aussi son plus grand défi. Cette mosaïque de religions, d’ethnies, de castes, de langues et de coutumes, forme un tissu social complexe. Pour esquisser le tableau de cette société, notre album vous présente le destin de quatorze hommes et femmes de tous horizons : aristocrate, paysanne, cheminot, prêtre hindou, masseur ayurvédique, etc. L’un d’entre eux, Vitthal Sawant, jeune livreur de repas à Bombay, raconte son quotidien, les trajets à bicyclette dans la folle circulation, les quais de gare bondés et les délais ultraserrés : « Je fais environ 20 kilomètres à vélo par jour, pour aller chercher les gamelles, les livrer dans les bureaux et les rapporter vides. Nous ne nous sommes jamais trompés dans nos livraisons et nous en sommes fiers.» Au Pendjab, Gurdayal, lui, se plonge tous les matins dans les eaux du bassin entourant le Temple d’or d’Amritsar, où il travaille comme cuisinier en chef et consacre sa vie à la
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’un route à l’autre, on redécouvre dans ce guide les merveilles de notre pays. De nombreux parcours thématiques y sont sélectionnés : historiques, artistiques, gastronomiques, sportifs, etc. En suivant, par exemple, la route des villages perchés en Provence, le voyageur pourra profiter d’un pique-nique sous les cèdres majestueux de la forêt de Bonnieux ou encore naviguer en kayak sur la Sorgue. Fidèle à l’esprit de la collection, cet ouvrage propose des tableaux comparatifs de destinations, des photos, des cartes et des conseils pratiques. Routes de France, coll. GEOBook, 240 p., 22,50 €. Vendu en librairie et en grande surface.
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L’ABONNEMENT À GEO Pour vous abonner ou pour tout renseignement sur votre abonnement France et Dom Tom : Service abonnement GEO, 62066 Arras Cedex 9. Tél. : 0811 23 22 21 (prix d’une communication locale). Site Internet : www.prismashop.geo.fr Abonnement 6 numéros GEO Histoire (1 an) : 29 €. Abonnement 12 numéros GEO (1 an) + 6 numéros GEO Histoire (1 an) : 69,90 €. Belgique : Prisma/Edigroup-Bastion Tower Etage 20 Place du Champ de Mars 5 - 1050 Bruxelles. Tél. : (0032) 70 233 304. E-mail :
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RÉDACTION DE GEO HISTOIRE
religion sikh. Il dort sur un simple lit de corde, près d’une malle contenant tous ses biens : deux tenues et une couverture en laine. Mais ses maigres possessions lui suffisent. «Je ne demande qu’à passer ma vie auprès du gourou», confie-t-il. Outre ces passionnants portraits, qui donnent une idée concrète du quotidien des Indiens, ce livre consacre plusieurs chapitres à l’histoire du pays, sa culture, son patrimoine. Il s’achève par des conseils pratiques aux voyageurs. Une magnifique invitation à partir. Inde, ouvrage collectif, éd. Prisma/GEO, 370 p., 49,90€. Disponible en librairie.
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