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OFFREZ-VOUS UN TOUR DU MONDE À 360° AVEC
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, UNE IRRÉSISTIBLE ENVIE DE CONNAÎTRE LE MONDE
ÉDITO
L
e paradoxe de l’homme pré historique est qu’il devient… homme d’actualité. Neandertal ou Sapiens ne sauraient être aujourd’hui réduits à l’image de quelques ossements ou frag ments de silex destinés à enri chir les galeries des musées ou réservés à des chercheurs qui grattent les sols des déserts ou explorent des cavernes obscures. Les décou vertes sur la préhistoire se succèdent à un rythme vertigineux. Des connaissances répu tées acquises sont remises en cause par de nouvelles hypothèses explicatives. Des sites préhistoriques sont rénovés, des musées ouverts. Les médias font leur une avec des crânes, des squelettes ou des peintures rupestres, lorsqu’elles «révolutionnent» le récit de nos origines, ou – c’est hélas le cas aussi – lorsque les sites sont pillés ou van dalisés. En deux mots, la préhistoire conti nue de faire l’Histoire. L’homme ancien n’est jamais apparu aussi… nouveau. La raison de cette vivacité tient, en partie, à l’utilisation des technologies. Grâce notam ment à l’étude de l’ADN et à l’imagerie médi cale, la paléoanthropologie, cette discipline dont l’énoncé même sent la poussière, prend un coup de jeune. Des clichés sinistres volent en éclat, ceux des chevelus préhistoriques, brutes souffrant de la faim et luttant contre des animaux féroces. Homo erectus connais sait le loisir, pratiquait l’artisanat, utilisait l’expression artistique. Il s’est peu à peu forgé un langage cohérent, des symboles, une culture, un imaginaire. Et a commencé à se
Derek Hudson
L’homme ancien, toujours nouveau poser la question de savoir ce qu’était vrai ment un homme. Ce fut là, il y a 1,9 million d’années, le moment décisif, celui qui le sépara du monde animal. Et, finalement, le moment qui continue de faire de nos ancêtres des êtres si proches de nous. Récemment, à Vienne, en Autriche, le musée des Arts appliqués avait invité des artistes contemporains à réfléchir sur l’iden tité de l’être humain confronté aux progrès techniques d’aujourd’hui : l’intelligence arti ficielle, la robotique, la bionique… La ma chine vatelle remplacer l’homme ? Quelle est la part d’humain qui va subsister ? L’une des artistes, Mariechen Danz, avait choisi de symboliser ce débat par la trace d’une main imprimée sur un rocher. Une main de même taille et de même forme que celles que l’on peut admirer, peintes, sur la pierre des grottes préhistoriques. Face aux murs des cavernes, il y a plu sieurs millénaires, ou face à nos ordinateurs et nos robots «intelligents» au XXIe siècle, c’est la même question qui est renvoyée aux hommes : qui sommesnous ? K
ERIC MEYER, RÉDACTEUR EN CHEF
@EricMeyer_Geo
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Une image loin de la réalité préhistorique. Pour les premiers hommes, la chasse au mammouth était rare, car bien trop dangereuse.
Collection Dagli Orti/Aurimage
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www.geo.fr
SOMMAIRE 22
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panorama
Ça bouge dans la préhistoire Vestiges exhumés, nouvelles interprétations… Les récentes découvertes nous renseignent sur l’identité et le quotidien des hominidés. Et bouleversent, parfois, notre savoir.
l’événement
au maroc, les traces du plus vieil Homo sapiens En 2017, cette découverte a bouleversé nos connaissances. Retrouvés à l’ouest de Marrakech, des restes humains ont fait reculer de 100 000 ans l’apparition de notre espèce : elle serait désormais âgée de 300 000 ans. Un choc.
les migrations
le long voyage des premiers hommes Comment et pourquoi nos ancêtres ont-ils quitté l’Afrique, berceau de l’humanité, pour découvrir le monde ? Retour sur un périple qui a débuté il y a près de 2 millions d’années.
l’évolution
ils sont les stars de la préhistoire Ils s’appellent Lucy, Toumaï ou Homo naledi. Leurs visages reconstitués par les scientifiques nous fascinent et nous émeuvent. Car ils sont nos lointains ancêtres ou des cousins surgis de la nuit des temps.
les conditions de vie
etait-ce l’enfer ou le paradis ? La faim, le froid et les prédateurs… On a longtemps cru l’homme préhistorique plongé dans les affres de la survie. Une image, depuis, largement remise en cause.
les Femmes
eve, lucy et les autres Déesses vénérées ou épouses dominées. Depuis quarante ans, le regard des anthropologues change sur un sexe qui ne fut pas si faible que cela.
la vie quotidienne
vous ne savez rien de cro-magnon ! Plutôt que le mammouth, CroMagnon préférait chasser le petit gibier… Retour sur six clichés concernant nos lointains ancêtres.
le «cousin»
comment l’homme de neandertal a pris sa revanche Longtemps relégué au rang de brute épaisse au profil simiesque, le contemporain d’Homo sapiens est aujourd’hui reconsidéré.
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la recherche
l’eglise face à l’énigme des origines Prêtres, ils se sont pris de passion pour la préhistoire. Mais, en ce XIXe siècle, cela signifiait remettre en cause l’existence même de la création de l’humanité par Dieu.
humeur
Sapiens : l’espèce humaine au banc des accusés Auteur d’un récent best-seller sur la préhistoire, Yuval Noah Harari fait le procès de l’homme. Son verdict : il est coupable. Vraiment ?
pour en savoir plus
Une sélection de livres et de DVD sur la préhistoire.
l’art
ce qu’ils ont voulu dire Peintures rupestres, statuettes… L’art paléolithique témoigne d’une maîtrise technique avancée et dévoile les croyances et la vie quotidienne des premiers hommes.
le guide
région par région, 100 joyaux de la France préhistorique Musées, grottes, parcs… GEO Histoire vous entraîne sur les traces de nos ancêtres. Autant d’idées pour transformer une balade touristique en un fabuleux voyage dans le temps.
Patrick Kovarik/AFP
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Le paléoanthropologue français JeanJacques Hublin est à l’origine, avec un autre scientifique d’origine marocaine, de la découverte du plus ancien Homo sapiens du monde, daté de 300 000 ans.
108 le patrimoine
lascaux : de l’ombre à la réalité augmentée Menacée par la surfréquentation touristique, la caverne a dû être fermée en 1963. Aujourd’hui, une réplique high-tech restitue toute la féerie et l’émotion du lieu.
116 l’entretien
«l’incroyable force de l’humanité, c’est son imaginaire» Deux célèbres scientifiques, Boris Cyrulnik et Pascal Picq, confrontent leur connaissance sur les hommes de la préhistoire.
l’actu de l’histoire 122 récit
le tueur invisible de 1918 Alors que la Grande Guerre touche à sa fin, une pandémie mortelle, la grippe espagnole, provoque une hécatombe sur tous les continents. Elle fera plus de morts que la mitraille et les obus.
132 à lire, à voir
Un livre sur l’histoire du journal Détective, une biographie sur Louis XVII, un documentaire sur les nazis et le cinéma, etc.
Ce numéro GEO Histoire est vendu seul à 6,90 € ou accompagné du DVD Les Premiers Européens, un documentaire de Axel Clévenot, pour 4,90 € de plus.
En couverture : Homo erectus reconstitué par la paléoplasticienne Elisabeth Daynès. Crédit photo : S. Entressangle, E. Daynès/Look at Sciences. Diffusion : ce numéro comporte trois cartes jetées abonnement pour les kiosques en France, en Suisse et en Belgique, et un flyer «NGE Expo», posé sur la quatrième de couverture, pour une sélection d’abonnés.
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PANORAMA
Julien Faure
C’est en plein cœur du Parc national du Mercantour que se trouve la Vallée des Merveilles, accessible par les sentiers de randonnée. Plus de 30 000 gravures, datant de 3 200 à 1 700 ans avant notre ère, sont répertoriées sur une zone de 14 km2. Figures à cornes, sorciers et couronnes dites «christiques» (comme à droite de ce rocher)… Certains chercheurs y ont vu le signe que les hommes de l’âge du bronze avaient développé un sentiment mystique. D’autres considèrent même que ce site serait le berceau de la pensée religieuse européenne.
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ça bouge dans
la préhistoire Vestiges exhumés, nouvelles interprétations… Les récentes découvertes nous renseignent sur l’identité et le quotidien des premiers hominidés. Et bouleversent, parfois, nos savoirs.
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Javier Trueba/MSF/SPL/Cosmos
PANORAMA
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Les fouilles révèlent le vrai régime alimentaire des pré-néandertaliens Sous le soleil de Castille, un groupe de scientifiques fouille un gisement situé à Atapuerca, en Espagne. C’est sur ce site découvert en 1976 qu’ont été trouvés les premiers restes d’Homo antecessor, le plus ancien représentant du genre Homo en Europe occidentale, remontant à 1,2 million d’années. En 2016, l’analyse d’une dent a conclu que ces hominidés consommaient de la viande et des végétaux, mais aussi que ces aliments étaient crus. Une preuve supplémentaire que le feu et la cuisson sont apparus plus tardivement, il y a 500 000 ans.
Homo naledi, un cousin retrouvé dans les profondeurs
Robert Clarck/National Geographic
Voilà une aventure que n’aurait pas reniée Indiana Jones… En octobre 2013, l’anthropologue américain Lee Berger (à droite) reçoit un appel d’un spéléologue qui lui signale l’existence d’une chambre pleine d’ossements dans la grotte de Rising Star, en Afrique du Sud. Problème : il faut franchir plusieurs passages étroits, dont un boyau de moins de 25 centimètres de hauteur. Des chercheurs de petit gabarit sont sélectionnés. Ils ramèneront l’une des trouvailles les plus stupéfiantes de ces dernières années : les fossiles d’Homo naledi, «cousin» de Sapiens, en plus petit et moins robuste, qui aurait vécu il y a 250 000 ans.
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Alon Skuy/The Times/Gallo Images/Getty Images
PANORAMA
La chambre de Bruniquel remet en cause notre vision de Neandertal
Etienne Fabre-SSAC/CNRS Photothèque
A 50 mètres de profondeur, ce technicien installe un dispositif de mesure du champ magnétique dans la grotte de Bruniquel, composée de stalagmites brisées et minutieusement agencées. Jusqu’ici, Chauvet détenait le titre de doyenne française avec ses 36 000 ans. Depuis 2016, elle a été (largement !) supplantée par cette grotte du Tarn-et-Garonne qui daterait de 176 000 ans. Grâce à cette découverte exceptionnelle, on sait dorénavant que, bien avant Sapiens, Neandertal s’était lui aussi approprié le monde souterrain.
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PANORAMA
Sur ces plaques de schiste, des gravures datant de 14 5OO ans... Le «rocher de l’impératrice», situé près de Plougastel-Daoulas (Finistère), cachait de bien jolis secrets : 45 plaquettes de schiste décorées, de 15 à 30 centimètres de long, vieilles de 14 500 ans (fin du Paléolithique supérieur). Découvert en 1987, le site avait été mis «sous surveillance», faute de moyens.Trente ans après, ces merveilles sont désormais rendues publiques. Parmi elles, on trouve des chevaux, mais aussi un stupéfiant «auroch rayonnant», comme hérissé de rayons solaires (à gauche). Sur l’autre face, une autre tête d’auroch, mais sans auréole (à droite). De quoi interpeller les archéologues : on pensait jusque-là que le Paléolithique supérieur avait vu l’abandon de l’art figuratif naturaliste au profit de formes géométriques plus abstraites.
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N. Naudinot pour les photos et C. Baudier pour les croquis. Université Côte d’Azur, CNRS-CEPAM
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Javier Trueba/MSF/SPL/Cosmos
Ces traces de mains ont été laissées par des femmes En Patagonie argentine, la Cueva de las Manos renferme un ensemble exceptionnel d’art rupestre. Des centaines de mains «négatives» (obtenues par projection de pigments sur la paroi) ont été peintes ici il y a 10 000 ans, ce qui en fait l’une des plus anciennes formes d’expression des peuples sud-américains. En 2013, l’anthropologue américain Dean Snow a conclu que 75 % des mains pariétales étaient celles de femmes. L’art ne serait donc pas l’apanage des hommes dans la préhistoire.…
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HO/AFP
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PANORAMA
Ces peintures rupestres se cachaient à 3OO mètres sous la surface L’Espagne, qui compte déjà une impressionnante collection de sites archéologiques, vient d’ajouter un nouveau trésor de premier plan à son palmarès. En 2016, plus de 70 gravures ont été découvertes dans la grotte d’Atxurra (Pays basque) à 300 mètres de profondeur : des chevaux, des bisons, des boucs et des cerfs, datant d’environ 13 000 ans, à la fin du Paléolithique supérieur. Fait inédit : des striures sous certains animaux pourraient évoquer des flèches et donc des scènes de chasse. Les fouilles y sont toujours en cours de réalisation, tandis que des reconstitutions en 3D sont prévues pour le grand public.
PANORAMA
A Foissac, des statuettes et des amulettes parmi les stalactites
Pascal Pavani/AFP
C’est l’un des rares sites ouverts au public. Au cœur d’un impressionnant réseau de plusieurs kilomètres, la grotte de Foissac (Aveyron) abritait de précieux objets (sépultures, céramiques…) datant du Chalcolithique (environ 2 500 ans avant notre ère). Parfois, les eaux souterraines font remonter à la surface de nouveaux vestiges, comme une statuette gravée avec un silex dans un os de bison ou d’auroch, repêchée en 2016. Etonnant : alors que l’art de la période privilégiait les figures animales, il s’agit là d’une représentation humaine.
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AU MAROC, les traces du
En 2017, cette découverte a bouleversé nos connaissances. Retrouvés à l’ouest de Marrakech, des restes humains ont fait reculer de 100 000 ans l’apparition de notre espèce : elle serait désormais âgée de 300 000 ans. Un choc. PAR ISABELLE SPAAK (TEXTE)
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L’ÉVÉNEMENT
plus vieil Homo sapiens
Shannon McPherron/MPI EVA Leipzig, License : CC-BY-SA2.0
A 100 km à l’ouest de Marrakech, le site de Jebel Irhoud, découvert en 1961, abritait des outils et des restes humains. De nouvelles recherches menées par les équipes du professeur JeanJacques Hublin ont pu prouver que des ossements étaient ceux d’Homo sapiens primitifs.
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L’ÉVÉNEMENT
Marc Steinmetz/Visum
Aubaine pour les chercheurs : le site marocain présentait de nombreuses traces d’utilisation du feu. Les pointes de silex brûlées ont permis de révéler l’âge des fossiles grâce à la thermoluminescence, qui mesure les électrons piégés dans les minéraux quand ceux-ci ont été chauffés.
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En plus des restes humains, les archéologues ont retrouvé des outils en silex
Aucun doute n’est possible : l’analyse des données morphologiques de la face d’«Irhoud 10», l’un des cinq individus retrouvés sur le site marocain, montre qu’il n’est ni un Homo erectus ni un néandertalien. La mandibule, le menton et la face le relient à un Sapiens de type primitif.
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C
inq individus, trois adultes, un adolescent et un enfant de 7 à 8 ans. Ils sont peu nombreux mais ils bouleversent les connaissances sur l’histoire des premiers hommes. Non seulement leurs ossements découverts à Jebel Irhoud (Maroc) déplaceraient nos origines vers le nord-ouest du continent africain, alors que l’on pensait le berceau de notre humanité situé en Afrique de l’Est. Mais, avec leurs 300 000 ans, ils dépasseraient de loin les plus anciens fossiles d’Homo sapiens connus – les uns datés autour de 200 000 ans provenaient de Kibish, en Ethiopie ; un autre, de 160 000 ans, trouvé à Herto, également en Ethiopie. Ajoutés à cela, sur le même site, enfouis avec les humains, des restes d’animaux et des outils connus dans d’autres régions d’Afrique. La preuve de la dispersion de l’espèce sur tout le continent vers la même période. A l’origine de ces découvertes majeures, publiées le 8 juin 2107 dans la revue Nature, une équipe internationale dirigée par le Pr Jean-Jacques Hublin, du Collège de France et de l’Institut MaxPlanck d’anthropologie évolutionniste, (à Leipzig, en Allemagne), et par le Pr Abdelouahed Ben-Ncer, de l’Institut national d’archéologie et du patrimoine de Rabat (Maroc). Pour GEO Histoire, le paléoanthropologue français revient sur les conséquences de cette découverte. Jusqu’à présent, on situait les origines de l’homme moderne en Afrique de l’Est, il y a 200 000 ans. En étudiant le site de Jebel Irhoud, au Maroc, vous avez découvert qu’elles remontent à beaucoup plus loin encore. Comment avez-vous été amené à vous intéresser à ce lieu ? C’est en effet en Ethiopie, bien loin du Maroc, qu’on situait jusque-là les origines de notre espèce. Situé entre Marrakech et l’océan Atlantique, Jebel Irhoud avait
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Patrick Kovarik/AFP
L’ÉVÉNEMENT
Professeur à l’Institut Max-Planck (Leipzig) et au Collège de France, Jean-Jacques Hublin a mobilisé archéologues, chimistes et généticiens pour percer le secret de l’homme de Jebel Irhoud.
été une mine. Parmi les vingt-deux restes humains provenant du site, six avaient été exhumés entre 1961 et 1969. Le premier crâne, par des ouvriers de l’exploitation minière. En 1979, j’ai pu étudier une petite mandibule d’enfant. Celle-ci présentait une combinaison bizarre, qui ne collait pas avec ce que l’on savait alors de l’évolution humaine en Afrique. A cette époque, l’origine africaine des hommes modernes commençait à s’imposer. Pour les fossiles de Jebel Irhoud, les spécialistes avaient proposé des âges très récents, 40 000, 80 000 ans… Certains sont allés jusqu’à 160 000 ans, mais pas plus. Pourtant, la morphologie du crâne et de cette mandibule n’avait pas de sens si l’on s’en tenait à ces époques. Vous avez initié une nouvelle campagne de fouilles à Jebel Irhoud à partir de 2004. Et de nouvelles datations ont été réalisées. Comment ? En effet, seize ossements supplémentaires ont été exhumés depuis, ainsi que de nombreux éclats de silex brûlés. La datation par thermoluminescence sur ces bouts de silex et la résonance de spin électronique [une technique qui exploite la propriété quantique des électrons] appliquée à la petite mandibule d’enfant ont révélé la même ancienneté, c’est-à-dire 300 000 ans. L’âge et la nature même de ces restes nous obligent donc à reconsidérer les recherches sur l’origine de notre espèce. Elles ne vont certes pas tout remettre en cause. Mais concernant l’âge et le berceau d’Homo sapiens, elles vont nous obliger à réécrire nos manuels.
Ces squelettes confirment-ils l’origine panafricaine de l’humanité ? La morphologie des fossiles de Jebel Irhoud se rapproche d’un fragment de crâne de 260 000 ans (intermédiaire entre Erectus et Sapiens) trouvé à Florisbad, en Afrique du Sud, et d’un des fossiles éthiopiens d’Omo kibish. Il s’agit donc aujourd’hui de revisiter l’évolution de l’espèce à l’échelle de tout le continent africain, et de ne plus la limiter à un changement relativement rapide dans un «jardin d’Eden» situé quelque part en Afrique subsaharienne. Malheureusement, l’Afrique est encore peu explorée. On connaît plus de choses sur l’évolution de Neandertal en Europe que sur celle de notre espèce en Afrique. On aimerait bien savoir ce qui se passait avant 300 000 ans et pourquoi les ancêtres de l’homme moderne ont essaimé partout sur le continent africain. On sait qu’à partir de 120 000 ans, Homo sapiens est sorti d’Afrique pour peupler le Proche-Orient, l’Eurasie et remplacer le néandertalien. Mais avant, que s’est-il passé ? Peut-on parler de rupture dans l’évolution de l’humanité ? Assimiler Homo sapiens uniquement à des individus comme vous et moi apparus «tout fait» il y a 200 000 ans relève du fantasme. Tout comme l’idée, fausse, d’une rupture dans l’évolution de
Ci-contre : Philipp Gunz/MPI EVA Leipzig, License : CC-BY-SA2.0. A droite : Sarah Freidline/MPI EVA Leipzig
«Cette découverte nous oblige à réécrire tous nos manuels...»
Face réduite et gracile, denture «moderne»… Nos ancêtres marocains nous ressemblaient déjà beaucoup.
l’humanité. Nos recherches prouvent le contraire. On assiste plutôt à une évolution progressive sur plus de 300 000 ans, qui se déroule à l’échelle de toute l’Afrique. Les apparentes «ruptures» correspondent à des lacunes dans la documentation fossile, des périodes parfois assez longues pour lesquelles nous n’avons aucune trace. A quoi ressemblait cet Homo sapiens marocain que vous avez identifié ? Il possédait certaines caractéristiques de la face et de la denture semblables aux nôtres. Les individus de Jebel Irhoud sont génétiquement «modernes» : ils appartiennent à notre lignée. Le plus frappant, c’est la forme oblongue de leur boîte crânienne, qui contenait un cerveau allongé et un cervelet plus petit que chez l’homme actuel. Ces particularités rappellent d’autres hommes archaïques. L’évolution de notre espèce s’illustre essentiellement par une évolution du cerveau, une accumulation de mutations, qui s’est sans doute poursuivie jusqu’à une époque récente.
Comment ce Sapiens se déplaçait-il ? Les échanges étaient modulés par un grand «shaker environnemental». Il y a 300 000 ans, l’Afrique était entièrement verte, le Sahara n’existait pas, ce qui a certainement facilité les contacts entre groupes humains. A d’autres époques, lorsque l’aridité cloisonnait le continent, les populations évoluaient au contraire dans un isolement relatif. Mais il est certain que les outillages de pierre du «Middle Stone Age» présents sur le site de Jebel Irhoud et qui se retrouvent en Afrique de l’Est et du Sud témoignent des contacts à grande distance. Les populations anciennes de l’Afrique ont échangé des innovations, des techniques, des gènes…
A partir de ces vingt-deux ossements, comment avez-vous pu déterminer qu’ils provenaient de cinq individus ? Nous sommes en possession d’une mandibule adulte, d’une mandibule d’un enfant de 8 ans, de restes dentaires épars, de fragments de fémur, de bassin, d’os du bras, de vertèbres et de trois crânes, dont deux avec une face. A partir de ce décompte, on peut calculer «un nombre minimum d’individus». Le résultat abouti à cinq corps distincts. Parmi les deux crânes avec une face, l’un possède un relief suborbital particulièrement robuste. Je suis tenté de penser qu’il s’agit d’un homme. L’autre, trouvé en 2007, présente un relief suborbital très faible. Peut-être celui d’une femme. Nous l’avons baptisé Zahira, ce qui signifie espoir en arabe. Mais il nous faudrait davantage de restes de bassin pour déterminer avec plus de certitude la présence d’hommes et de femmes. Est-il possible que ce soit une famille ? Possible. Le plus troublant est la présence de ces restes à un même niveau. Un même événement a probablement causé leur mort. Un homme, deux femmes, un adolescent, une petite fille ? Tout est envisageable. Malheureusement, nous n’avons pas d’informations génétiques sur ces individus. Comment retrouver un lien de parenté ? Nous avons essayé d’extraire de l’ADN fossile de ces restes. Mais les ossements sont trop vieux et l’endroit où ils ont été retrouvés est soumis à des températures bien trop chaudes. L’ADN peut résister un certain temps en milieu froid ou tempéré, mais sous des chaleurs extrêmes sa dégradation est rapide. Ce genre de données n’est disponible que pour des périodes récentes en Afrique. Avez-vous exploré la totalité du site ? Il reste une partie du gisement que nous allons fouiller, avec l’espoir de découvrir d’autres restes humains. Ces hommes de Jebel Irhoud m’ont obsédé depuis si longtemps. Je suis très content de les avoir enfin rendus célèbres. A la suite de notre publication, la photographie de la mandibule d’adulte «Irhoud 11» a fait la une du New York Times sur quatre colonnes. Rarement un os humain a eu droit à tant d’égards. K PROPOS RECUEILLIS PAR ISABELLE SPAAK
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Le long voyage des premiers hommes Comment et pourquoi nos ancêtres ont-ils quitté l’Afrique, berceau de l’humanité, pour découvrir le monde ? Retour sur un périple qui a débuté il y a près de 2 millions d’années. PAR JeAn-BAPtiste Michel (teXte)
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les migrations
Très vite, la nécessité et l’envie de découvrir de nouveaux territoires ont entraîné Homo ergaster, ancêtre d’Homo Sapiens, à mettre le pied hors du continent africain.
1971Yes/Getty Images
une conquête pas à pas
LA SORTIE D’AFRIQUE
A l’est, les steppes ouvrent l’accès aux plaines de l’Asie. Là-bas, l’homme y trouve de nouvelles conditions climatiques moins rudes.
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Les plus anciens Sapiens connus hors d’Afrique ont été retrouvés en Géorgie
LES MIGRATIONS
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’où venons-nous ? Comment nos lointains ancêtres ont-ils pu traverser les continents et braver les conditions climatiques les plus rudes ? La question des origines n’en finit pas de questionner. Une chose est sûre : il y a environ 10 millions d’années, les premiers hominidés sont apparus en Afrique, et il a fallu attendre au moins 4 millions d’années pour qu’ils se dressent sur leurs jambes. C’est là, au cœur de la savane, qu’Homo erectus s’est développé, qu’il a fondé les premières communautés, qu’il a appris à s’aventurer dans ce milieu ouvert, à aller toujours plus loin… Jusqu’à sortir pour la première fois de son «éden» originel. On estime à 1,9 million d’années le moment où, pour la première
fois, il a quitté l’Afrique. La preuve de ce premier voyage ? Le plus vieux reste humain a été trouvé en… Chine, un fragment de mâchoire provenant de la grotte de Longgupo, datant de 1,8 million d’années. Ce premier homme, avec sa machoire saillante, ses os épais, son bourrelet sus-orbitaire, mais déjà si proche de l’homme moderne par la taille de son corps et les proportions de ses membres, était donc déjà un aventurier et a conduit au moins deux grandes migrations de l’Afrique vers l’Europe et l’Asie.
Avant Sapiens, et après Erectus, l’homme de Neandertal était lui aussi un voyageur : on a retrouvé sa trace de l’Europe à l’Oural.
Mauricio Anton/SPL/Cosmos
Patrick Glaize/Boreales/Gamma
Le voyage de Sapiens a débuté il y a plus de 100 000 ans
Mais la migration qui intéresse le plus les chercheurs est la troisième et dernière vague, celle de son successeur, Homo sapiens. Notre ancêtre direct est apparu il y a 200 000 ans dans l’Est africain – ou 300 000 ans au Maghreb, selon les récentes découvertes menées par le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin (voir article page 22)… Pour son long périple, il a pris la route de son prédécesseur, ce «couloir obligé» qui, depuis l’Ethiopie, lui a fait contourner le Sahara – alors tantôt une savane verdoyante, tantôt un désert aride –, en longeant la mer Rouge, puis a remonté la côte est de la Médi terranée jusqu’au Proche-Orient. C’est là, en Galilée, à Qafzeh, qu’ont été retrouvés en 1933 des fragments fossilisés d’Homo sapiens. L’examen de ces restes – sept individus adultes et huit enfants – prouve que leur voyage avait commencé il y a plus de 100 000 ans. Dans quel but ? L’hypothèse d’une pression démographique qui aurait contraint certains d’entre eux à chercher ailleurs d’autres ressources est peu crédible. L’Afrique était vaste, la population humaine peu nombreuse. On suppose plutôt que ces hommes se sont déplacés lentement, à raison de quelques kilomètres par génération, modifiant leur territoire de chasse en fonction de la taille de la communauté et des migrations animales.
GEO HISTOIRE 33
les migrations
Ils auraient navigué le long de la côte sud de l’Asie
Un aventurier, un dompteur de montagnes… et un navigateur ? En effet, une autre hypothèse pour la «sortie d’Afrique» intrigue les préhistoriens : Sapiens aurait pu utiliser la route passant par l’extrémité de la mer Rouge, dans la zone du détroit de Bab el-Mendeb, entre la corne de l’Afrique et la péninsule Arabique. Une population maîtrisant la navigation littorale se serait ainsi rapidement répandue le long de la côte sud de l’Asie jusqu’en Indonésie. La géographie de cette région, en ce temps où le niveau de la mer était plus bas qu’aujourd’hui, aurait sans doute grandement facilité l’arrivée des hommes. L’Asie du Sud-Est était alors divisée en deux grandes terres, la plate-forme de la Sonde, qui unissait la péninsule malaise, Sumatra, Java, Bornéo et, à une centaine de kilomètres de navigation plus au sud, la plate-forme du Sahul, qui rattachait la NouvelleGuinée, l’Australie et la Tasmanie. Certitude : c’est par la mer, il y a 60 000 ans, qu’Homo sapiens est arrivé en Australie, comme l’atteste un squelette trouvé au bord du lac Mungo. Des études géologiques ont également prouvé la disparition, il y a 50 000 ans (10 000 ans après l’arrivée de l’homme), de
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grandes espèces de mammifères marsupiaux et d’oiseaux. Sans doute la conséquence de la présence des Homo sapiens, premiers hommes «modernes». La première étape est terminée. La seconde aura lieu plus tard, il y a 30 000 ans, lorsque l’homme part à la «conquête» de l’Amérique, alors reliée à la Sibérie, à l’extrême est de l’Asie. On pense qu’il a pu arriver par la mer à bord d’embarcations faites de troncs d’arbres en longeant les côtes de la Sibérie et de l’Alaska à des périodes plus tempérées, durant lesquelles l’actuel détroit de Behring était immergé. Les fouilles menées dans l’abri rupestre de Santa Elina, dans le Mato Grosso, au Brésil, font ainsi remonter la présence humaine à 25 000 ans sur le continent américain. Il lui reste encore alors quelques territoires à explorer, et pas des moindres : il y a 13 000 ans, ayant encore perfectionné sa technique pour affronter les environnements les plus hostiles, l’homme moderne atteint l’océan Arctique et, peu après, à l’autre bout de la terre, touche la pointe extrême de l’Amérique du Sud. Beaucoup plus tard – il y a seulement 1 000 ans – seront colonisées les îles les plus reculées du Pacifique. La conquête de la Terre est alors terminée… Que retenir de ce long cheminement de l’homme moderne ? D’abord que Sapiens n’était pas seul et a rencontré de nombreux «cousins» au cours de son voyage. S’il appartient bien à une lignée d’hominidés apparus en Afrique il y a 10 millions d’années, il ne s’est pas épanoui au terme d’une évolution linéaire et continue. Il serait plutôt le seul rescapé d’un buissonnement d’espèce», comme l’écrit Jean-Jacques Hublin (Quand d’autres hommes peuplaient la Terre, Flammarion, 2008). Tels les paranthropes, premiers représentants Homo, proches encore des australopithèques, disparus sans descendance il y a 1 million d’années, alors même que d’autres espèces Homo se côtoyaient et allaient prospérer longtemps. Sans
Dernière grande étape, la pointe de l’Amérique du Sud est atteinte il y a 1O OOO ans Patrick Glaize/Boreales/Gamma
Nombre de ces voyageurs ont très bien pu passer d’Afrique en Eurasie sans même s’en apercevoir. Ils ont gagné l’Europe, se sont heurtés à la barrière des Alpes et au froid, se sont fixés sur les pourtours de la Méditerranée, de l’Espagne à la Grèce. Et même l’envie de dompter les montagnes les a gagnés … Des traces d’Homo sapiens retrouvées à l’intérieur et au nord du continent prouvent en effet qu’ils ont franchi l’obstacle des Alpes et se sont adaptés à des contrées plus rudes. L’Europe de l’Est et l’Asie continentale, avec leurs immenses espaces, leurs plaines et leurs steppes, ont certainement dû paraître plus accueillantes à ces hommes issus des savanes africaines.
les hasards et les nécessités qui ont poussé l’une des branches à se développer vers Sapiens, la Terre aurait très bien pu rester peuplée de chimpanzés ou porter une tout autre forme d’humanité… C’est ainsi qu’il y a 28 000 ans disparaissait l’homme de Neandertal, cousin et ultime concurrent de Sapiens en Eurasie. Non que la supériorité de ce dernier ait été écrasante, puisque les deux espèces ont coexisté pendant des siècles, «autant que le temps écoulé depuis l’édification des
pyramides jusqu’à nos jours», précise Jean-Jacques Hublin. Brusque refroidissement du climat, raréfaction des territoires habitables, infériorité culturelle et physique de Neandertal, chute de la démographie qui a entraîné cette population sous son seuil de renouvellement… Les causes de son extinction restent encore mystérieuses, tout comme la domination de Sapiens. Comment ce dernier a t-il supplanté les espèces d’hominidés pour «contrôler la planète» ? La question passionne
le public, qui a fait un triomphe à Sapiens, une brève histoire de l’humanité (éd. Albin Michel, 2015), le livre-phénomène de l’historien israëlien Yuval Noah Harari. Au regard de l’évolution, nous appartenons donc à une espèce très jeune. Et si l’on considère qu’un territoire grand comme la France actuelle n’a été pendant des millénaires peuplé que d’une quinzaine de milliers d’individus, on se dit que l’histoire humaine relève vraiment du miracle ! L Jean-Baptiste Michel
pas d’obstacle infranchissable
Les montagnes ne les arrêtent pas : on a trouvé des traces d’occupation d’Ergaster et de Sapiens à Vallonnet, dans les Alpes maritimes.
P. Plailly, E. Daynes/Look at Sciences
L’ÉVOLUTION
Dans l’atelier parisien de la paléoplasticienne Elisabeth Daynès, australopithèques, Homo erectus, Homo abilis et chasseurscueilleurs sont réunis pour une improbable photo de famille.
36 GEO HISTOIRE
Ils s’appellent Lucy, Toumaï ou encore Homo naledi. Leurs visages reconstitués par les scientifiques nous fascinent et nous émeuvent. Car ils sont nos lointains ancêtres ou des cousins surgis de la nuit des temps.
Ils sont les stars de la préhistoire PAR VALÉRIE KUBIAK (TEXTE)
Stéphane Compoint/Bureau 233
Identité : Sahelanthropus tchadensis. Il est plus connu sous le nom de Toumaï qui signifie «espoir de vie» en langue goran (une des langues parlées au Tchad). Découverte : le 19 juillet 2001, dans le désert du Djourab, au nord du Tchad, par un membre de l’équipe de Michel Brunet dans le cadre de la Mission paléoanthropologique franco-tchadienne. Les pièces à conviction : un crâne presque complet, quelques fragments de mâchoires, quelques dents isolées, soit, à ce jour, les restes d’une douzaine d’individus différents.
Ce buste de Toumaï a été réalisé à partir de fossiles découverts dans la vallée du Rift, en Afrique de l’Est.
L’ h o m m e d e T o u m a ï 7 MILLIOnS D’AnnéeS
le plus vieil hominidé
B
ien malin celui qui, en croisant aujourd’hui Toumaï dans la forêt, y reconnaîtrait au premier coup d’œil un ancêtre. Avec sa petite stature (entre 1 et 1,20 mètre pour 35 kilos), son front étroit et incliné, le fort bourrelet au-dessus de son orbite et sa petite capacité crânienne (350 cm3 contre 1 350 cm3 pour l’homme moderne), il pourrait très bien passer pour un chimpanzé aux yeux d’un
néophyte. Pourtant, en y regardant d’un peu plus près, sa face haute et peu projetée en avant, sa boîte crânienne allongée, ses petites canines émoussées et un émail dentaire plus épais que chez les grands singes prouvent que Toumaï est bien un pré-humain. Il se pourrait même que ce petit être se soit essayé à marcher sur ses deux jambes. Chez les bipèdes, en effet, l’articulation du crâne et de la première vertèbre (le trou occipital) est décalée vers l’avant, un signe déjà présent chez cet hominidé. Finalement, cette drôle de créature, qui était loin de ressembler à un homme, ne ressemblait déjà plus à un singe. «Pour être tout à fait précis, Toumaï ne ressemble à personne», résume son découvreur Michel Brunet. Son arrivée dans notre généalogie fit, en tout cas, l’effet d’une bombe. Jusqu’en 1994, les fossiles les plus anciens que les scientifiques avaient trouvés ne dépassaient pas 3,6 millions d’années. Ils estimaient alors que la séparation entre les chimpanzés et les hominidés avait eu lieu il y a 5 ou 6 millions d’années. Avec ses 7 millions d’années, l’homme de Toumaï a renversé ces hypothèses. Il fait de Lucy, l’australopithèque (3,2 millions d’années), une petite jeune à l’échelle de l’évolution. Il détrône aussi Orrorin le Kenyan qui, en 2000, avait décroché le record du plus vieil ancêtre connu de l’homme avec 6 millions d’années. Ce petit trouble-fête a aussi enterré la séduisante théorie de «l’East Side Story» développée par Yves Coppens. Selon le paléontologue, la lignée humaine aurait émergé à l’est de la vallée du Rift suite à des changements climatiques et à la disparition de la forêt au bénéfice d’une savane arborée. Les contemporains de Lucy se seraient alors redressés pour mieux apercevoir les dangers dans ce paysage. Mais voilà que, 3,4 millions d’années plus tôt, à 2 500 kilomètres à l’ouest du Rift, en pleine forêt, un singe s’était déjà levé. Qui était-il ? Un ancêtre de Lucy et des australopithèques ou le représentant d’une branche disparue sans laisser de descendants ?
L
l’évolution
Lucy
TOmbéE DE SOn ArbrE lle est touchante, notre aïeule, avec son petit visage prognathe, ses bras étonnamment longs et sa petite carrure de 1,10 mètre pour 25 kilos. Outre sa capacité crânienne de 400 cm3, proche
Pat Sullivan/AP/Sipa
E
3,2 MiLLionS D’AnnéES
de celle du chimpanzé, elle partage avec ce primate la structure des bras et des épaules ainsi que les doigts courbes. Ce qui laisse penser que cette petite femelle passait le plus clair de son temps accrochée aux branches des arbres. Pourtant, son bassin court et évasé, son fémur incliné, indiquent qu’elle ne s’interdisait pas à l’occasion quelques virées dans la savane. Ce n’était pourtant probablement pas une bonne marcheuse : la forme de ses hanches laisse penser qu’elle se déplaçait avec un drôle de dandinement pas tout à fait humain. Lucy appartient à l’espèce des Australopithecus afarensis qui ont peuplé l’Afrique entre 4,1 millions et 2,9 millions d’années par rapport à aujourd’hui. Depuis, une centaine de représentants de cette espèce ont été retrouvés en Ethio-
Cette reconsti tution de Lucy a été dévoilée au musée des Sciences naturelles de Houston (Texas), en août 2007.
pie dont, en 2003, la petite Selam, âgée de 3 ans au moment de sa mort. Si Lucy garde une place importante dans notre imaginaire d’Homo sapiens, c’est que durant pendant des années elle a été considérée comme notre grand-mère à tous. Les paléoanthropologues s’accordent aujourd’hui sur le fait qu’elle serait plutôt une cousine éloignée, une espèce d’hominidé parmi les dizaines d’autres qui peuplèrent la Terre. Il faut dire que notre petite star s’est fait voler la vedette : Orrorin, par exemple, qui vivait au Kenya il y a 6 millions d’années, avait probablement une démarche plus proche de la nôtre que celle de Lucy. Un malheur n’arrivant jamais seul, les résultats de son autopsie, menée en 2016 par l’équipe de l’anthropologue américain John Kappelman, jettent un voile d’ombre sur le destin de cette mascotte. Des fractures à l’humérus du bras droit ainsi que de nombreux traumatismes du bassin suggèrent une chute mortelle de plus de 13 mètres. La pauvre Lucy n’a pas seulement dégringolé de quelques degrés dans notre arbre généalogique, elle semble bien être tombée de son arbre au sens propre !
L
Identité : elle fut baptisée Lucy par les paléoanthropologues qui, le soir, sous leur tente, écoutaient la chanson Lucy in the Sky with Diamonds des Beatles en nettoyant ses ossements. Les Ethiopiens l’appellent Dinqnesh, ce qui signifie «Tu es merveilleuse». Découverte : le 24 novembre 1974 à Hadar, en Ethiopie, par une équipe internationale dirigée par l’Américain Donald Johanson et les Français Maurice Taïeb et Yves Coppens. Les pièces à conviction : on a retrouvé les fragments de 52 ossements constituant un squelette complet à 40 %.
GEO HISTOIRE 39
l’évolution
Le garçon du Turkana
1,6 MiLLioN D’aNNéES
uN GéANT voyAGEuR
L
’équipe de Richard Leakey avait, en 1984, toutes les raisons d’être fière de ce beau spécimen. Non seulement il s’agissait du squelette d’hominidé le plus complet jamais identifié, mais sa stature
(1,60 mètre pour 48 kilos) était celle d’un géant par rapport aux autres. A titre de comparaison, l’australopithèque Lucy ne lui arrive pas à la taille. Autre surprise, au moment de sa
mort, cet hominidé avait encore les cartilages qui permettent la croissance des os. Autrement dit, il n’avait pas fini de grandir. Les archéologues estimèrent son âge entre 11 et 15 ans et supposèrent qu’il aurait atteint une taille adulte de 1,85 mètre. En 2010, une étude plus précise de sa dentition a montré qu’il n’était âgé que de 8 ans ! Mais il est désormais admis que cette espèce avait une croissance plus rapide que la nôtre, et que ce garçon avait presque atteint sa taille adulte. Sa capacité crânienne est de 880 cm3 et aurait probablement évolué vers 900 cm3 s’il était devenu adulte (la nôtre est en moyenne de 1 350 cm3). Son squelette est semblable au nôtre, avec de longues jambes, des épaules et un bassin étroits. Cette allure longiligne indique qu’il avait cessé de grimper aux arbres et était capable de marcher, voire de courir, sur de longues distances. Le garçon du Turkana serait un représentant d’Homo ergaster («l’homme artisan») présent en Afrique entre 1,9 et Elisabeth Daynès a réalisé ce mannequin du garçon de Turkana d’après un moulage du crâne découvert au Kenya.
1 million d’années avant aujourd’hui. Grâce à son aptitude à la marche, il fut S. Entressangle, E. Daynes/Loook at Sciences
Identité : fossile KNM-WT 1500. Plus connu sous le nom de garçon de Nariokotome ou garçon du Turkana. Découverte : en 1984, à Nariokotome, près du lac Turkana, au Kenya, par une équipe dirigée par Richard Leakey. Les pièces à conviction : le crâne complet, les dents et au moins 80 morceaux du squelette appartenant à un seul individu.
le premier à quitter le continent. Selon certains scientifiques, il aurait évolué vers une espèce distincte, Homo erectus, en arrivant en Asie. Pour d’autres chercheurs, Homo ergaster ne serait pas une espèce indépendante mais simplement le plus ancien représentant d’Homo erectus. Le débat n’est pas tranché… L
DEA/Leemage
Identité : d’abord baptisé Sinanthropus pekinensis, il est désormais identifié comme Homo erectus pekinensis. Découverte : en 1926, dans les grottes de Zhoukoudian, près de Pékin, en Chine, par deux archéologues, le Canadien Davidson Black et le Chinois WenChung-Pei, et par le paléontologue et prêtre français Pierre Teilhard de Chardin. Dans les dix années suivantes, des restes appartenant à une quarantaine d’individus furent mis au jour. Les pièces à conviction : cinq calottes crâniennes presque complètes, des fragments de mandibule, quelques dents, mais peu d’ossements pour le reste du squelette.
Ce buste de l’homme de Pékin fut réalisé en 1937 par le paléoanthropologue allemand Franz Weidenreich.
L’ h o m m e d e P é k i n 750 000 AnS
le conquérant de l’asie
C
et hominidé-là commence vraiment à nous ressembler. C’est le premier dont la capacité crânienne dépasse les 1 000 cm3. Si son squelette est plus massif, sa stature reste proche de la nôtre : 1,50 à 1,65 mètre pour 45 à 55 kilos, avec des jambes longues et des bras courts. L’homme de Pékin est un Homo erectus, une espèce partie d’Afrique pour conquérir le monde. Son pro-
gnathisme est moins marqué que celui de ses ancêtres africains, même s’il présente toujours le front fuyant et une forte mâchoire. Les nombreux restes d’animaux trouvés sur le site suggèrent qu’il pratiquait la chasse. En novembre 1941, pour protéger ce trésor de l’occupant japonais, les scientifiques chinois emballèrent les ossements pour les expédier aux Etats-Unis. Les caisses furent chargées dans un train, à destination du port de Qinhuangdao, dans le nord du pays. Un mois plus tard, l’aviation japonaise bombardait Pearl Harbor et la guerre enflammait la région. Les caisses, perdues durant les combats, ne furent jamais retrouvées. Il ne restait de cet ancêtre pékinois que quelques moulages de plâtre. Jusqu’à un récent rebondissement. En 2011, en rangeant de vieux cartons oubliés dans les caves du musée de l’Evolution de Uppsala, des biologistes suédois ont retrouvé quatre dents, dont une canine, appartenant à notre Homo erectus chinois !
L
GEO HISTOIRE 41
L’ h o m m e de Tautavel UN LOINTAIN COMPATRIOTE
560 000 ANS
P
ar son allure générale, il rappelle l’homme de Neandertal, qui a vécu sur le même territoire il y a 200 000 à 30 000 ans : 1,65 mètre pour 45 à 55 kilos, de capacité crânienne plutôt honnête
avec 1 150 cm3, un front plat et fuyant, des arcades sourcilières proéminentes, la mâchoire avancée et des pommettes saillantes. Rien n’indique qu’il maîtrisait le feu, mais les restes de chevaux et de rennes trouvés à ses côtés montrent qu’il était un bon chasseur. Grâce à des spécimens du même type retrouvés à Petralona en Grèce, à Sima de los Huesos en Espagne ou à Heidelberg en Allemagne, les chercheurs ont cru pouvoir retracer la généalogie de l’homme de Tautavel : il s’agirait de l’espèce Homo heidelbergensis présente en Europe
Cette statue de l’homme de Tautavel brandissant sa lance est installée à l’entrée de la grotte où ses ossements ont été découvert en 1971.
entre 600 000 et 200 000 ans avant aujourd’hui. Cette espèce descendrait elle-même d’Homo antecessor (une branche issue de l’Homo ergaster africain), qui vécut en Europe méridionale entre 1,2 million d’années et 700 000 ans avant notre époque. Ce gaillard râblé serait-il l’ancêtre commun de Neandertal et d’Homo sapiens ? Les choses ne sont pas si simples. Une étude menée en 2013 par l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste, à Leipzig, en Allemagne, sème le doute. Des restes d’ADN retrouvés sur les fossiles de Sima de los Huesos suggèrent que l’Homo heidelbergensis serait plus proche génétiquement de l’homme de Denisova, une autre espèce, distincte mais contemporaine de Neandertal et de Sapiens, qui aurait vécu en Sibérie il y a 50 000 ou 30 000 ans. L’ancêtre commun de Neandertal et de Sapiens serait plutôt l’Homo rhodesiensis, venu d’Afrique du Sud.
Explorer Archives/Keystone-France
I : fossile Arago 21, plus connu comme l’homme de Tautavel. D : le 22 juillet 1971, par le préhistorien français Henry de Lumley, dans la Caune de l’Arago, à Tautavel (Pyrénées-Orientales). L : le crâne incomplet d’un homme d’une vingtaine d’années et 120 fragments de squelettes. Depuis, le site ne cesse de révéler d’autres trésors.
TETIERE L’ÉVOLUTION TOURNE
Homo naledi
ENTRE 236 000 ET 335 000 ANS
IL BOUSCULE NOS CERTITUDES
D
rôle de petite créature que ce Naledi ! Avec son 1,50 mètre pour 45 kilos, son cerveau de la taille d’une orange, ses phalanges incurvées, sa large cage thoracique et ses épaules faites pour s’accrocher aux branches, il pourrait facilement passer pour un australopithèque. Pourtant, son crâne, sa mâchoire, sa dentition, ses longues jambes et la forme de ses pieds sont
bien ceux d’un homme moderne. Cet hominidé pose bien des énigmes aux chercheurs. En premier lieu : où le situer sur l’arbre généalo-
gique ? S’agit-il d’un chaînon manquant entre les australopithèques (comme Lucy) et les premiers Homo ? Dix laboratoires ont été mobilisés pour dater les fossiles retrouvés à Rising Star, en Afrique du Sud. On sait aujourd’hui que Naledi aurait vécu entre 236 000 et 335 000 ans avant aujourd’hui. Il aurait même pu croiser les premiers Homo sapiens. Autre surprise, la présence d’autant de restes intacts dans un seul lieu laisse penser qu’ils ont été déposés par d’autres membres de la «tribu». Nous sommes donc probablement en présence de rites funéraires très anciens. Jusqu’alors ces pratiques n’avaient été constatées que chez Sapiens et Neandertal il y a environ 100 000 ans. Ce petit homme nous met face aux racines les plus profondes jamais découvertes de nos pratiques culturelles.
Ce crâne est celui de Neo, un représentant de l’espèce Homo naledi, trouvé dans une grotte sud-africaine.
Chine nouvelle/Sipa
I : Homo naledi. Naledi signifie «étoile» en sesotho, une des langues parlées en Afrique du Sud. D : en 2013, dans une grotte difficilement accessible (à 30 mètres sous la surface du sol) de Rising Star à une trentaine de kilomètres de Johannesburg en Afrique du Sud. L : 1 550 os appartenant à quinze individus, enfants et adultes, sont mis au jour en 2014. En 2017, ce sont 130 restes appartenant à trois individus, deux adultes et un enfant d’environ 5 ans.
GEO HISTOIRE 43
S. Entressangle, E. Daynes/Loook at Sciences
tetiere l’évolution tourne
Identité : Homo floresiensis, plus familièrement surnommé le «Hobbit» en référence aux personnages imaginés par l’écrivain J. R. R. Tolkien. Découverte : en 2003, des ossements ont été retrouvés enfouis dans la grotte de Liang Bua sur l’île de Florès, à l’est de Java, en Indonésie. Les pièces à conviction : le crâne et le squelette d’une femme, baptisée Eddu. D’autres restes appartenant à neuf autres individus ont depuis été mis au jour.
Cette chasseuse Homo floresiensis a été réalisée d’après des ossements trouvés en Indonésie.
L’ h o m m e d e F l o r è s 60 000 anS
un nAIn trèS IngénIEux
C
e bipède était petit, entre 1 et 1,10 mètre pour un poids de 16 à 28 kilos. Il avait de grands pieds plats (environ la moitié de la taille de son fémur) qui devaient lui donner une démarche un peu pataude. Sa boîte crânienne (380 cm3) contenait un cerveau de la taille de celui d’un chimpanzé. Mais, c’est bien connu, la taille ne fait pas tout, et ce «Hobbit» était loin d’être un imbécile. Il
maîtrisait le feu et la fabrication d’outils de pierre. D’après les fouilles, ses techniques étaient suffisamment élaborées pour être imitées par la suite par Homo sapiens. Il aurait donc été leur professeur ! Mais d’où viennent ces mystérieux petits bonshommes ? La communauté scientifique les a d’abord considérés comme des Homo sapiens dégénérés, sortes de «nains crétins» appauvris par l’isolement et la consanguinité. Mais la nouvelle datation remet en cause ces théories : Homo sapiens ne peut pas être l’ancêtre de l’homme de Florès. Ce qui est largement confirmé par la découverte, en 2014, d’autres restes d’hominidés, à 70 kilomètres de la grotte, vieux de 700 000 ans et encore plus petits. Il s’agirait en réalité des descendants d’Homo erectus arrivés sur l’île il y a un million d’années et victimes du phénomène de nanisme insulaire. Il a été démontré, en effet, que de nombreuses espèces vertébrées s’adaptent au manque de ressources alimentaires en réduisant leur taille. A en juger par les fossiles retrouvés sur l’île, notre mini homme chassait même des mini éléphants ! Mais voilà qu’en avril 2017, l’anthropologue australienne Debbie Argue a invalidé cette filiation. En comparant le crâne et les mandibules de l’homme de Florès à ceux d’autres espèces, elle en a déduit que sa mâchoire est plus primitive que celle de l’Homo erectus. Son origine serait donc plus lointaine, au moins 1,75 million d’années. S’agirait-il d’une migration d’Afrique jusqu’alors inconnue ? Le «Hobbit indonésien» n’a pas fini de faire parler de lui.
44 GEO HISTOIRE
L
l’évolution
La généalogie des hominidés Nous appartenons à une lignée dont les origines remontent à 7 millions d’années. Mais, régulièrement, de nouvelles découvertes bousculent les schémas des paléontologues.
L
Sahelanthropus tchadensis (Toumaï)
7 Millions d’années
Ardipithecus kadabba
6 Ma
Orrorin tugenensis (Orrorin)
5 Ma
Ardipithecus ramidus 4 Ma
Australopithecus anamensis
Australopithecus afarensis (Lucy)
Australopithecus Kenyanthropus bahrelgjazali platyops (Abel)
’homme ne descend pas du singe ! La réalité est bien plus complexe. Notre ancêtre le plus lointain pourrait être, selon certains chercheurs, Sahelanthropus tchadensis, alias Toumaï (7 millions d’années), Orrorin tugenensis (6 millions d’années) ou Ardipithecus kaddaba (5,8 millions d’années). Dans cette généalogie si difficile à reconstituer, seuls les liens avec la famille des paranthropes semblent certains. Les connexions entre les australopithèques et les Homo, et même celles entre les différents Homo sont toujours sujettes à polémiques. Quant à nous, Sapiens, nous pourrions descendre de l’Africain Erectus.
Australopithecus africanus 3 Ma
Homo habilis
2 Ma
1 Ma
Homo Homo antecessor heidelbergensis Homo neanderthalensis Homo (homme de Neandertal) nadeli
Australopithecus garhi
Australopithecus aethiopithecus
Homo rudolfensis Homo Australopithecus Homo robustus erectus ergaster
Australopithecus boisei
Ardipithèques Australopithèques
Homo sapiens (Cro-Magnon)
Homo
Homo fioresiensis
Aujourd’hui
paranthropes Autres hominidés
L e s p é r iode s de L a p r é h istoi r e e n e u rop e 1,2 Ma 1 Ma avant aujourd’hui
800 000
500 000
300 000
i n f é r i e u r (1,2 Ma à 300 000 ans) Maîtrise Biface du feu percuteur
Acheuléen
150 000
100 000
50 000
pA L é o L i T h i Q u e m o y e n (300 000 à 40 000 ans) Racloir (outil en Première pierre) sépulture
40 000
30 000
20 000
10 000
9 000
8 000
épipALéoLiThiQue MéSoLiThiQue (12 000 à 8 000 ans) S u p é r i e u r (40 000 à 12 000 ans)
7 000
6 000
NéoLiThiQue (8 000 À 4 000 ans) Début de la sédentarisation
Moustérien
Châtelperronien (40 000 à 35 000) Aurignacien (38 000 à 29 000)
Azilien et Laborien (12 000 à 10 000) Magdalénien (16 000 à 12 000) Solutréen (22 000 à 19 000) Badegoulien (19 000 à 16 000) Gravettien
(29 000 à 22 000)
GEO HISTOIRE 45
LES CONDITIONS DE VIE
Etait-ce l’enfer ou le paradis ?
46 GEO HISTOIRE
(9 000 ans avant J.-C.). Agriculture, domestication des animaux, propriété privée, etc., auraient selon lui signé l’arrêt de mort de la «société d’abondance» et du «carpe diem» des origines… Alors, Sapiens vivait-il dans l’abondance et l’insouciance ou dans l’angoisse et la misère ? La réalité est sans doute entre les deux, car les conditions de vie ont grandement varié durant le seul Paléolithique supérieur (35 000 à 10 000 ans avant notre ère). Dans son Introduction à la préhistoire (sous-titre : A la recherche du paradis perdu, 1982, éd. Seuil), le chercheur français Gabriel Camps mettait ainsi en garde : «L’homme préhistorique est un concept aussi faux que celui du Français moyen.» Le climat changea par exemple fréquemment, alternant périodes de réchauffement et de glaciation. La végétation se transformait en conséquence, et avec elle les ressources disponibles et les modes de vie. Tout le génie de Cro-Magnon fut d’être capable de s’adapter. C’est déjà en profitant d’une amélioration du climat qu’Homo sapiens, à la recherche de meilleurs territoires de chasse, s’installa en Europe entre 42 000 et 37 000 ans avant notre ère. Le migrant apportait avec lui ses us et techniques, notamment une industrie de la pierre élaborée lui permettant de disposer d’un outillage diversifié (lames, grattoirs, burins, pointes) et parfaitement adapté à ses besoins. Son ancêtre Homo erectus s’était nourri des restes laissés par les prédateurs. Sapiens est lui un chasseur émérite. Les rennes sont les cibles favorites de ses sagaies. Cet animal est «à la fois le garde-manger, la boîte à outils et la boîte à bijoux», résume le préhistorien Gilles Delluc. Trop
On a retrouvé des traces de cités lacustres à Chalain et Clairvaux (Jura). Pour les hommes du Néolithique, les lacs constituaient un environnement accueillant, comme l’illustre cette peinture signée Hippolyte Couteau (1896).
De Agostini/Leemage
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u’ils soient grecs, sumériens ou amazoniens, les mythes les plus anciens évoquent tous un âge d’or de l’humanité précédant sa «chute». Ces récits fondateurs gardent-ils le souvenir d’une période bénie où l’homme trouvait sans efforts, dans une nature profuse, de quoi satisfaire tous ses besoins ? Les préhistoriens du XIXe siècle, darwiniens et positivistes, ont représenté a contrario l’évolution de notre espèce comme le progrès lent mais linéaire de l’état sauvage à la «civilisation». Ils nous ont légué un sombre tableau de nos lointains ancêtres, dépeints en pauvres hères tenaillés par la faim et traqués par les fauves. Mais, plus récemment, l’étude des dernières populations de chasseurscueilleurs nomades de la planète (des groupes d’Aborigènes d’Australie, d’Inuits du Groenland, de Sans du Kalahari…) a conduit les chercheurs à reconsidérer les conditions d’existence des hommes du Paléolithique. Première étape en 1974, avec la publication d’Age de pierre, âge d’abondance, de Marshall Sahlins (réédité cette année aux éditions Folio), livre retentissant qui insistait sur la performance économique des sociétés dites «primitives». Les chasseurs-cueilleurs, expliquait l’anthropologue américain, ne sont en rien des victimes du dénuement, incessamment à la limite de la survie. Ne produisant et ne consommant pas plus que nécessaire, ces experts de la gestion douce du milieu consacrent en réalité bien moins de temps que l’homme contemporain au travail, et jouissent donc de bien plus de «loisirs», autre mesure de la prospérité. Cette vision quelque peu idyllique a depuis été critiquée. Pourtant, dans son best-seller de 2015, Sapiens – Une brève histoire de l’humanité (éd. Albin Michel), l’historien Yuval Noah Harari s’appuie encore sur le livre fondateur de Sahlins pour expliquer que notre espèce a payé d’un prix très lourd la «révolution» néolithique
La faim, le froid, les prédateurs… On a longtemps cru l’homme préhistorique plongé dans les affres de la survie. Une image, depuis, remise en cause.
lourdes pour être transportées entières, les proies sont dépecées sur place. Les morceaux les plus riches en viande, rapportés au camp, nourriront le groupe pendant quelques jours. Mais avant d’abandonner la carcasse, on y a prélevé tout ce qui pourra servir : la peau pour construire les huttes, fabriquer les vêtements et les litières, les tendons pour lier et coudre, les os et les bois pour confectionner armes et outils… et même les dents, recyclées en colliers, comme le racontent Brigitte et Gilles Delluc dans La Vie des hommes à la préhistoire (éd. Ouest-France, 2016). La chasse est pratiquée en petits groupes. Son succès repose sur la collaboration. Les vivres, obtenus ensemble, sont équitablement partagés. Le temps est à une forme de collectivisme généralisé : «Les hommes n’auraient pu s’épanouir d’aussi remarquable manière si, au départ, nos ancêtres n’avaient vécu en étroite coopération. La clé de la transformation d’une créature sociale semblable au singe en animal cultivé vivant au sein d’une société hautement structurée et organisée est le partage : partage du travail et de la nourriture», écrivait ainsi le paléoanthropologue kenyan Richard E. Leakey dans Les Origines de l’homme (éd. Flammarion, 1979). Viande, poissons, graminées, tubercules… Homo Sapiens apprend à mieux se nourrir
La viande constitue la base de l’alimentation. En périodes froides, sa consommation augmente et celle des végétaux diminue. La cueillette complète le régime carné. Sapiens est omnivore et la nature offre un choix de menus qui s’élargira avec le réchauffement climatique : graminées (millet ou sorgho, peut-être parfois bouillies), légumineuses, tubercules, racines, fleurs, asperges sauvages, champignons, escargots, baies et fruits, miel… Peut-être aussi des oiseaux et leurs œufs, voire des insectes. Prélève-t-il le lait des femelles abattues comme le font les Inuits aujourd’hui ? Cro-Magnon mange aussi de plus en plus de poissons. Il a d’abord dû les attraper à la main dans les rivières, puis il a mis au point le harpon. En somme, il se nourrit de mieux en mieux. Sa ration énergétique, autour de 3 000 calories quotidiennes, couvre ses besoins en protides, glucides, lipides, sels minéraux et vitamines. Son alimentation, plus variée que celle de Neandertal, augmente sa résistance. Et garantit sa bonne santé. La vie est très courte, certes. Un humain sur dix seulement atteint les 40 ans. Mais on ne trouve pas sur les squelettes de traces de cancers ou d’affections liées à une quelconque carence nutritionnelle. L’approvisionnement n’étant pas constant, CroMagnon sait être prévoyant. Il anticipe la disette avec de petites réserves de viande et de poissons
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LES CONDITIONS DE VIE
Ni gâchis ni surexploitation. Les territoires de chasse sont gérés de manière naturelle séchés ou fumés, ou creuse des fosses alimentaires dans le sol (attestées dans de nombreux sites d’Europe centrale). Il stocke aussi un peu de matières premières : nucléus, bois, os, peaux… Mais jamais en grande quantité, car il se déplace souvent. Nomade, il choisit soigneusement la localisation de ses habitats, en fonction de la proximité de points d’eau, de végétaux, de bois de chauffe, de pierres à tailler, et de gibier bien sûr. Abri naturel, entrée de grotte ou pied de falaise avec un surplomb protègent du froid et des prédateurs à la mauvaise saison. Et au printemps, le groupe se met en marche pour suivre les troupeaux qui migrent, emportant le peu de matériel accumulé (outils, armes, huttes). Ni gâchis ni surexploitation. Les territoires de chasse sont ponctuellement abandonnés et réinvestis, en fonction de leur épuisement naturel. Le site mis au jour à Pincevent (Seine-et-Marne) est exemplaire. On y trouve ainsi un camp d’hiver installé sur les hauteurs et un autre au bord d’une rivière traversée, à l’époque, par les rennes et remontée par les saumons.
La découverte de peintures pariétales à Altamira (Espagne), en 1879, ou dans la grotte de Lascaux (ici représentée), en 1940, a laissé perplexe les chercheurs : l’homme préhistorique était donc capable de consacrer du temps à des «loisirs».
Le nomadisme permet la circulation d’objets et de matières premières. Il n’y a bien sûr pas de commerce au Paléolithique. Pas de surproduction, pas de monnaie. En revanche, il existe certainement un système d’échanges, une forme de troc. L’importance du don dans les sociétés traditionnelles a été soulignée depuis les travaux du «père de l’anthropologie», Marcel Mauss (1872-1950). Rappelons que ce don n’est pas toujours gratuit. Selon les cas, il peut impliquer une contrepartie précise et obligatoire. Le nomadisme encourage également le partage des expériences et des techniques entre différents groupes. Ces échanges se développant, les clans, qui comptent probablement de 20 à 30 membres – s’il y en avait eu moins, il n’y aurait pas assez de chasseurs pour assurer la subsistance ; et s’ils avaient été plus nombreux, les conflits auraient risqué de se multiplier –, se fédèrent peu à peu en larges communautés. Deux innovations majeures apparaissent : le propulseur et l’aiguille à chas
Ces «tribus» de plusieurs centaines de personnes prospèrent, n’exploitant toujours qu’une partie de la biomasse, inférieure à celle qu’elles auraient pu prélever sans dommage pour le renouvellement des espèces. La très faible démographie (peutêtre 30 000 Homo sapiens sur le continent il y a 30 000 ans) empêche globalement la pénurie de gibier. «En cas d’abondance exceptionnelle, mais aussi en temps de pénurie, le mécanisme régulateur unique était la simple scission sans que celleci conduise à la dispersion individuelle à laquelle l’homme, être social, ne peut se résoudre», selon Gabriel Camps. Quant à son homologue américain, Marshall Sahlins, il soutient la thèse iconoclaste et inspirée du marxisme que les chasseurs-cueilleurs
pratiquaient volontairement une économie de sous-production. Ils pouvaient produire plus mais s’y refusaient car un surcroît de production aurait menacé la stabilité des structures sociales. Il s’agissait donc d’un choix «politique», ayant pour corollaire le rejet de l’agriculture et de la sédentarisation. Mais qu’en est-il vraiment ? La seule certitude que l’on puisse avoir, c’est que l’homme du Paléolithique se contentait d’une «économie de ponction», prélevant son besoin immédiat, sans chercher à augmenter le rendement. Dans cette économie de subsistance, il n’intervenait pas sur la nature pour produire quelque nourriture que ce soit, ne faisant qu’y prélever des ressources non modifiées. Homo sapiens était-il pour autant rétif au changement ? Sans doute pas. Le Solutréen (-20 000 à -17 000 ans) apporta en effet deux innovations majeures : le propulseur pour lancer les sagaies plus loin et plus fort (jusqu’à 70 mètres de distance) et l’aiguille à chas, pour coudre hermétiquement les peaux et ainsi réaliser des tentes, des vêtements ou des outres en cuir, récipients à multi-usages. Les conditions de vie s’améliorèrent. Dans le sud de la France, au climat plus hospitalier, l’essor démographique débuta. Certains campements hébergeaient des centaines d’individus. L’accueillante vallée de la Vézère devint un lieu de vie privilégié. Trouver à s’alimenter n’était plus un problème fondamental de survie. L’homme put développer de plus en plus des activités non productives, l’art pariétal notamment. A l’origine, les sociétés paléolithiques ne connaissaient pas la division du travail, hormis sans doute un partage des tâches entre hommes et femmes. Mais à la fin de cette période, on trouve souvent sur les sites des habitats des couches de pierres, sortes de bancs de travail, entourées de matières premières et de déchets de taille. Dans ces ateliers, où certains outils furent produits en série, officiaient certainement des spécialistes, nourris par le reste de la tribu en échange de leur savoirfaire. Peut-être les prémices d’une différenciation, l’apparition de premières stratifications sociales. Dans Avant l’Histoire – L’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac (éd. Gallimard, 2012), l’anthropologue français Alain Testart soutient que l’apparition d’un équipement de chasse individuel (arc et flèches) à l’extrême fin du Paléolithique marqua la première étape essentielle vers la fin des communautés de coopération et de partage. A la même période, on constate l’apparition du stockage sur une large échelle, symptôme d’un début de thésaurisation lié à l’abandon des grandes chasses collectives. Le grand bouleversement néolithique était en marche. Homo sapiens s’apprêtait à quitter son «jardin d’Eden». L BALTHAZAR GIBIAT
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S. Entressangle, E. Daynes/Lookatsciences
LES FEMMES
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Eve, Lucy et les autres
Déesses vénérées ou épouses dominées ? Depuis cinquante ans, le regard des anthropologues change sur un sexe qui ne fut pas si faible que ça.
Il y a 18 000 ans
RENCONTRE AVEC LA MATRIARCHE DE LASCAUX Ces mannequins d’un réalisme sai sissant sont l’œuvre de la paléo plasticienne Elisa beth Daynès. En 2015, elle s’est basée sur les der nières recherches pour reproduire la vie dans la grotte de Lascaux. On y découvre qu’au Paléolithique supé rieur (entre 40 000 et 12 000 ans avant aujourd’hui) la femme de CroMa gnon prenait soin de son apparence, cousait ses vête ments et fabriquait même des bijoux.
les femmes
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ù sont passées les femmes de la préhistoire ? Elles semblent avoir disparu de l’imaginaire collectif, comme reléguées à un statut d’auxiliaires. Durant des décennies, les chercheurs ne s’y sont guère intéressés. On les a confinées dans leur caverne, accaparées par leur progéniture, attendant discrètement le retour de leurs guerriers, qu’ils soient Homo habilis, hergaster, erectus, neanderthalensis ou sapiens. Sans songer qu’elles aussi pouvaient s’occuper de la tribu, aider à la chasse ou participer aux activités artistiques… Comment expliquer cette absence de considération ? Pourquoi les historiens ont-ils opposé un homme préhistorique fort et triomphant à une femme frêle et dominée, alors qu’aucune preuve tangible ne permet de différencier des tâches et des fonctions selon le sexe ? Il faut revenir à la fin du XIXe siècle, au moment de l’essor des premières études préhistoriques, pour comprendre que les chercheurs ont calqué le modèle patriarcal de leur époque sur leur vision des premiers hommes (et femmes !). Un cadre de pensée encore prégnant dans les années 1950, lorsque Sherwood Washburn pousse à l’extrême le modèle androcentré de «l’homme chasseur». Selon cet anthropologue de l’université de Chicago, la chasse, forcément masculine, serait la clé de voûte de l’émergence de la société. Poussé par son instinct de prédateur, l’homme aurait développé sa bipédie. Pour pouvoir terrasser le plus beau gibier, il serait passé maître dans l’art de tailler des outils. La chasse aurait permis de renforcer la sociabilité au sein du groupe, grâce aux ruses et stratégies collectives. La viande aurait servi de bien d’échange, favorisant les premiers réseaux entre tribus. L’hominisation tout entière reposerait ainsi sur les épaules musclées du chasseur. La preuve : on se souvient
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Jusqu’aux années 197O, la femme est absente du récit de nos origines du squelette de Cro-Magnon, retrouvé en 1868 en Dordogne. Beaucoup moins de sa «femme», retrouvée dans la même grotte, le crâne fendu (on sait dorénavant que cette blessure au crâne n’est pas due à un coup de gourdin mais à celui de la pioche d’un ouvrier maladroit). Changement de perspective dans les années 1970. Le scénario de la suprématie masculine est alors battu en brèche par une nouvelle génération d’anthropologues, parfois élèves de Washburn, mais imprégnées du féminisme qui se développe alors aux Etats-Unis. A ce Man, the Hunter (l’homme chasseur), Adrienne Zihlman, Nancy Tanner ou encore Sally Slocum opposent Woman, the Gatherer, jouant sur le double sens du terme, à la fois «collectrice» et «rassembleuse». Ces chercheuses américaines vont s’emparer des travaux ethnologiques menés notamment sur les Kung San, peuple de chasseurs-cueilleurs de Namibie et du Bostawana. Elles vont en conclure que les activités féminines sont essentielles à la survie du groupe, et défendent une vision de la femme pourvoyeuse de nourriture et pilier de son clan. La découverte de Lucy replace la femme au cœur des origines
Marija Gimbutas, anthropologue lituanienne, diffuse, elle, la thèse d’une femme matriarche respectée, prenant les traits d’une déesse-mère à part entière. «Des modèles tout aussi spéculatifs que le premier, tempère Claudine Cohen, directrice d’études à l’EHESS et auteure de Femmes de la Préhistoire (éd. Belin, 2016).
24 000 ans
Changement de sexe pour la dame du Cavillon On a longtemps cru que la sépulture trouvée en 1870 près de Vintimille, en Italie, était celle d’un homme. Un homme qui, d’après les dernières analyses, serait une «dame», parée pour son voyage dans l’au-delà d’une coiffe ornée de coquillages et de canines de cerf.
Mais, même s’il a choqué, ce renversement a permis d’attirer l’attention sur la moitié oubliée de l’humanité.» D’autant qu’en ce début des années 1970 un événement médiatique au retentissement sans précédent va accentuer cette réhabilitation. En Ethiopie, une équipe de chercheurs franco-américains découvre le fossile d’une bipède de 3,2 millions d’années. Son nom : Lucy. La lointaine australopithèque a instantanément été promue «grand-mère de l’Humanité». «Il semble aujourd’hui que, dans notre imaginaire, elle se soit superposée à l’Eve de la Bible, estime la chercheuse. Un mythe considérablement renouvelé, car, pour la première fois, “l’ancêtre”, ce héros de nos origines, était incarné par une femme.» Peu importe que des fossiles plus vieux aient été mis au jour depuis, et peu importe aussi que rien ne prouvât alors que Lucy ne fût pas Lucien. Si, aujourd’hui, l’ADN permet de confirmer que Lucy était bien une femme, en 1974, les scientifiques s’en sont tenus à deux critères : le bassin, plus large pour faciliter l’accouchement, et la gracilité, Lucy ne mesurant que 1,05 mètre. Or il n’existait aucun squelette permettant d’établir une comparaison. Mais après tout, rien ne dit que les femelles d’alors aient été plus frêles.
Collection Dagli Orti/Avrimages
Un squelette arborant un collier serait forcément féminin !
«Supposer que les femmes étaient plus fines et plus petites relève là encore d’une vision déformée, influencée par nos représentations actuelles, précise Claudine Cohen.» Plusieurs fossiles ont ainsi changé de sexe. C’est le cas de la Dame rouge, découverte en 1823 au Pays de Galles par William Buckland. Pour ce pionnier de la paléontologie, cela ne faisait aucun doute : le squelette était celui d’une femme, non pour des raisons anatomiques, mais parce qu’il portait un collier. On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un homme du Paléolithique
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fabrication disparues, a prouvé que la production d’outils requérait plus d’agilité et d’ingéniosité que de force brute. Des qualités a priori équitablement réparties entre les sexes. Cueillette, chasse, artisanat… Et si les premières femmes s’étaient aussi essayées à l’art ? L’indice de Manning – rapport entre la longueur de l’index et celle de l’annulaire de la main droite, différent selon le sexe – permet de répondre à la question. L’Américain Dean Snow a ainsi pu conclure que les empreintes de mains sur les parois des grottes du Pech Merle, dans le Lot, vieilles de 25 000 ans, étaient celles de femmes. Idem pour celles retrouvées dans la Cueva de las Manos (la grotte des Mains), en Patagonie argentine, dont au moins trois quarts seraient féminines.
S. Plailly, E. Daynes/Lookatsciences
Au Paléolithique, contraception et avortement existaient déjà
supérieur. C’est l’inverse pour l’homme de Menton, retrouvé à Grimaldi (France) en 1872. Entouré d’offrandes – donc estimé –, il ne pouvait être que mâle. Jusqu’à ce que la science le rebaptise… dame du Cavillon. Ce n’est là que le début d’une longue liste de préjugés à réviser. Pour y parvenir, la préhistoire puise dans les sciences sociales, dont l’ethnoarchéologie. Cette discipline, qui étudie le mode de vie des peuples premiers, actuels ou disparus, pour éclairer celui des hominidés, tend à démontrer que le sexe dit faible ne l’était pas tant que ça. L’analyse, par exemple, des Bushmen actuels, chasseurscueilleurs nomades d’Afrique du
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Sud, laisse présumer qu’au Paléolithique les femmes lourdement chargées parcouraient de longues distances pour la cueillette, activité qui pouvait fournir jusqu’à 75 % de la nourriture du groupe. Voilà de quoi ébranler le mythe de l’homme-chasseur unique pourvoyeur de protéines. Grâce aux travaux de l’archéologue américain Lewis Binford, qui a étudié des sites de dépeçage de gibier en Afrique et en Europe, on sait que Homo habilis et les néandertaliens recouraient au charognage. Là, nul besoin de force physique, et rien ne prouve que les femmes ne s’adonnaient pas à cette activité. L’archéologie expérimentale, qui reconstitue les techniques de
100 000 ans
«MADAME» NEANDERTAL ET SES ENFANTS Plus petite que sa cousine Sapiens, la femme de Neandertal (1,55 m en moyenne) a été ici reconstituée d’après le moulage du crâne de Saccopastore, découvert au Lazio, en Italie. Partage des tâches, rôles au sein de la tribu : rien ne permet d’affirmer que, au Paléolithique moyen, la femme était «dominée».
Une question demeure : comment mener toutes ces activités quand, en plus, il fallait s’occuper d’une nombreuse progéniture ? «Les chasseurs-cueilleurs, loin de favoriser la fécondité des femmes, s’efforçaient plutôt de la limiter», observe Claudine Cohen. Une longue période d’allaitement – ce qui a pour effet d’inhiber l’ovulation –, l’usage de plantes contraceptives ou abortives, voire le recours à l’infanticide, permettant d’espacer les naissances. Fait capital : pour élever leurs enfants, les femmes ont sans doute bénéficié de l’aide de leur mère. C’est ce que l’anthropologue américaine Karen Hawkes appela en 1998 la «révolution des grands-mères». Les femmes vivent au-delà de la ménopause, contrairement à de nombreux mammifères. Quel avantage ce trait biologique at-il pu apporter ? Peut-être la possibilité, pour les femmes plus âgées, d’assister leurs filles dans l’éducation et la croissance des enfants. Grâce à ce relais, les femmes n’étaient plus accaparées exclusivement par leur rôle de mère et pouvaient participer
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activement à la vie du groupe. Et si c’était la femme qui avait été au cœur de la constitution des premières normes sociales? C’est en tout cas le point de vue de nombreux anthropologues. Contrairement à la sexualité animale, rythmée par les périodes de chaleurs, celle des humaines est moins «contrainte». Au sein de la communauté, les rapports pouvaient donc avoir lieu n’importe où, avec n’importe qui. «Cette sexualité envahissante serait devenue une menace pour la cohésion du groupe, explique Claudine Cohen. Elle aurait alors obligé les individus à normer leurs comportements.» Et donc à introduire des règles et des interdits culturels, comme l’inceste, réputé comme étant la base de toute société humaine. Elle serait également la source de ce que Charles Darwin appelle la sélection sexuelle. Les femmes, maîtresses de leur cycle, auraient jadis choisi leur partenaire. Ironie de l’Histoire : cet avantage se serait retourné contre elles.
S TAT U E T T E S
DÉESSES-MÈRES OU SEX-SYMBOLS ?
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Fesses et seins hypertrophiés, tête en forme de phallus… Découverte en 1922 en Haute-Garonne, la Vénus de Lespugue (qui daterait de 25 000 ans) n’en finit pas d’intriguer.
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Les traces de violence s’accentuent au Néolithique
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es seins proéminents, un ventre et des fesses tout en rondeurs, des membres et un visage à peine esquissés, les rares fois où la tête apparaît. Voilà le portraitrobot de ces Vénus de pierre, d’ivoire ou d’os façonnées depuis le Paléolithique supérieur et découvertes à partir de la fin du XIX siècle, du littoral atlantique jusqu’à la vallée du Don, en Russie. Qu’elles aient horrifié par leurs formes exubérantes, comme la plantureuse Vénus de Willendorf, ou fasciné par leur modernité, comme l’une des Vénus de Grimaldi toute entière inscrite dans un losange, elles n’ont cessé de nourrir les interprétations. Seraient-elles de fidèles portraits des femmes de jadis ? Ou des figurines pornographiques, signes de la débauche supposée des sociétés préhistoriques ? Des représentations d’une déessemère, des amulettes de fécondité ou de protection pour l’accouchement ? Les hypothèses actuelles, dans la lignée des pistes explorées par l’archéologue André Leroy-Gourhan, s’accordent à les tenir pour des œuvres complexes, reflets d’un système de pensée élaboré. Car ces créatures se révèlent souvent bien plus ambiguës qu’il n’y paraît. C’est le cas de la Vénus de Lespugue : tête en bas, elle fait apparaître une deuxième femme, et, de profil, un phallus. Une anamorphose qui témoignerait d’une perception de la différence des sexes bien moins duale que la nôtre.
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En effet, à force de sélectionner des géniteurs forts, ces derniers auraient fini par prendre le pouvoir. C’est en tout cas ce que l’on observe à la fin de la préhistoire, au Néolithique, au moment où l’homme commence à se sédentariser. Ainsi, les ossements de cette époque témoignent de violences subies davantage par les femmes. «Les squelettes féminins gardent aussi les traces de pathologies, de privations, de sous-nutrition, détaille Claudine Cohen. Le statut des femmes était donc moins favorable qu’au Paléolithique où, nomades, elles avaient moins d’enfants. C’est peut-être là qu’a commencé le dimorphisme sexuel plus accentué.» Un écart encore mesurable : en France, les hommes sont en moyenne 12 centimètres plus grands que les femmes. LAURE DUBESSET-CHATELAIN
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LA VIE QUOTIDIENNE
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Vous ne savez rien
de Cro-Magnon ! Plutôt que le mammouth, Cro-Magnon préférait chasser le petit gibier… De même, il ne grognait pas mais utilisait déjà un langage… Retour sur six clichés concernant nos lointains ancêtres. PAR ANNE DAUBRÉE (TEXTE) )
Sur ce diorama du musée d’Anthropologie du Mexique, des Homo sapiens coordonnent leur attaque pour abattre un mammouth. Même si l’on sait que la viande de ce pachyderme était déjà consommée il y a 1,8 million d’années, les premiers hommes privilégiaient, par prudence, le gibier plus petit.
LA PAROLE
Non, il ne s’exprimait pas par borborygmes
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e soir, autour du feu, les hommes de CroMagnon racontaient-ils leurs exploits de chasse ? «Ils avaient le même corps et le même cerveau que nous. Il n’y a aucune raison qu’ils n’aient pas disposé d’un langage élaboré qui leur permettait de rendre compte de ce qu’ils voyaient, de transmettre des techniques et des messages symboliques», estime Brigitte Delluc, préhistorienne, co-auteure, avec Gilles Delluc, de La Vie des hommes de la préhistoire (2012, éd. Ouest-France). Un tailleur de silex pouvait enseigner comment obtenir la lame la plus fine possible, les chasseurs, se concerter sur la tactique du lendemain, ou, les femmes, mettre en garde les enfants contre les dangers des courants violents du fleuve. Peut-être un membre important du groupe prononçait-il quelques mots lors des rituels d’inhumation… En tout cas, «on ne peut pas imaginer qu’il n’y avait pas de discours devant les dessins dans les grottes. En effet, ce sont tous des symboles, et non des représentations du réel, comme le couple cheval-bovin présent de manière récurrente dans les différents sites», soutient Brigitte Delluc. Si «Cro-Magnon» (en référence aux squelettes retrouvés dans le site de Cro-Magnon, en Dordogne, en 1868) utilisait un langage sophistiqué, c’était le fruit d’une longue évolution : l’homme de Neandertal et, avant lui, Homo Erectus étaient dotés d’un appareil phonatoire capable de produire une palette de sons assez large. Et les ethnologues en sont convaincus, jamais ces hommes ne seraient parvenus à fabriquer leurs huttes sophistiquées sans coordonner leur travail ni expliquer comment le faire à l’aide de mots simples. Puis, avec Cro-Magnon, premier homme à pratiquer un art figuratif symbolique, l’idiome s’est complexifié pour exprimer des concepts abstraits. Les origines du langage, où capacités cognitives, développement d’outils techniques, socialisation et expression artistique sont en jeu, questionnent depuis toujours les archéologues. Plusieurs tentatives d’explications ont été faites. Au XIX siècle, on pensait que les hommes auraient imité les cris des animaux. Cette théorie, dite du«pooh-pooh», a été abandonnée. D’autres ont suivi, et à leur tour ont été rejetées. En 2011, Quentin Atkinson, linguiste néozélandais, a émis l’hypothèse selon laquelle les langues actuelles descendent d’un seul et même langage initialement utilisé par des Sapiens, en Afrique. Une thèse controversée… «On ne saura jamais tout. C’est pour cela que la période reste fascinante», conclut Brigitte Delluc.
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Le musée de la Préhistoire des gorges du Verdon a recréé la vie quotidienne de Sapiens. Tissage, préparation des repas… Impossible de réaliser ces activités en groupe sans un langage élaboré, qui serait apparu il y a 40 000 ans.
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LA VIE QUOTIDIENNE
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LA VIE QUOTIDIENNE
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LA CHASSE
Un être sans défense ? Plutôt un chasseur aguerri
A
Paul Martin /MSF/Science photo Library/Cosmos
Deux hommes s’attaquent à un bison des steppes, une espèce disparue il y a 600 ans. Pour chasser, ils utilisent des sagaies avec des pointes en silex ou en bois de renne.
u campement, les hommes s’affairent à réparer les sagaies endommagées pendant la chasse, à fabriquer des pièges pour capturer les oiseaux… La survie du groupe est en jeu : la viande nourrit les hommes, fournissant jusqu’à 80 % de leur ration énergétique quotidienne durant les périodes froides. La fourrure, les os, les bois, les dents et les tendons de l’animal sont tout aussi utiles à l’homme pour se réchauffer, se vêtir, fabriquer des outils et des armes. Heureusement, dans les vastes territoires européens, le gros gibier est nombreux et constitue une ressource précieuse pour les petits groupes d’hommes dispersés qui le chassaient depuis le Paléolithique inférieur, il y a plus d’un million d’années. Les préhistoriens ont abandonné les théories faisant des néandertaliens des êtres se nourrissant exclusivement de carcasses (le charognage). Après eux, Cro-Magnon devient un prédateur redoutable, fin stratège équipé d’armes très efficaces. La taille du silex est améliorée, les lames sont plus fines, plus régulières, et peuvent atteindre 40 centimètres de long. Les armes de jet, grâce auxquelles il chasse à distance, évitant les dangereux corps-à-corps avec l’animal, sont améliorées, surtout la sagaie, que Cro-Magnon perfectionne progressivement de l’Aurignacien au Gravettien, entre 38 000 et 22 000 ans avant aujourd’hui. Après avoir amélioré les modes de fixation de la pointe en bois de cervidé sur la hampe de la sagaie, il équipe celle-ci d’un propulseur : cette baguette en os terminée d’un crochet a pour effet de démultiplier la vitesse et la force de pénétration de l’arme, et de blesser plus profondément la proie. L’efficacité de la sagaie, parfois longue de 2 mètres, est telle qu’elle est utilisée de l’Atlantique à la Sibérie par des hommes qui agissent en petits groupes. Depuis leur poste d’observation, ils laissent s’avancer les troupeaux d’animaux jusque dans l’étranglement d’une vallée ou jusqu’au gué d’un fleuve. On estime que les chasseurs de Solutré abattaient en masse les chevaux acculés au pied de la falaise, tandis que ceux de Pincevent achevaient les rennes qui traversaient la Seine. Des proies privilégiées par Cro-Magnon, qui chassait aussi les bouquetins dans les montagnes, ou des lièvres et des marmottes, quand les proies plus imposantes venaient à manquer. Mais, contrairement à l’image d’Epinal, il ne s’attaquait que très rarement au mammouth. Trop gros, trop dangereux, même pour ce chasseur aguerri… L
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L’HABITAT
Notre ancêtre n’habitait pas dans les grottes
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e soi-disant homme des cavernes n’y a jamais habité… Les Homo sapiens, nos ancêtres du Paléolithique supérieur (entre 40 000 et 12 000 ans avant aujourd’hui), communément appelés «hommes de Cro-Magnon», vivaient bien à la lumière du jour. Dédaignant les antres humides et obscurs, ce peuple de chasseurscueilleurs préférait établir ses campements là où le gibier abondait, y construisant des abris qu’il aménageait avec soin. On a ainsi retrouvé dans le Périgord des traces de campement près de parois rocheuses où était adossée une cabane. Au sol étaient creusées des cupules dans la pierre afin d’y caler des troncs d’arbres pour la charpente. Celle-ci était ensuite recouverte de peaux de rennes, et le sol, pavé de pierres ou de galets afin de rendre l’habitat moins humide. Cro-Magnon s’établissait aussi dans des vallées au climat favorable, à proximité d’un point d’eau, de gisements de silex, ou sur les promontoires
Jean-Pierre Bouchard/Keystone France
Sapiens occupait surtout des abris-sous-roche ou des tentes en peau, dont le sol était pavé de pierres et de galets.
épargnés par les crues, comme celui qui surplombe le Rhin d’une quarantaine de mètres, à Gönnersdorf, en Rhénanie. On y a décelé des tracés de tentes avec charpentes en troncs et peaux de bêtes, constituant autant de foyers délimités par des pierres. Là se déroulait la vie de la tribu, composée de vingt à trente individus : on y dormait, mangeait, on y fabriquait et réparait outils et armes, on y fumait la viande… Au campement retrouvé à Etiolles, dans l’Essonne, les tailleurs de silex travaillaient près du feu principal. «Il existait alors une division sexuelle du travail. Les femmes s’occupaient des enfants, de la cueillette et de la traque du petit gibier à proximité. Les hommes partaient à la chasse quelques heures ou quelques jours», explique Brigitte Delluc. Mais les campements étaient rarement permanents : ces semi-nomades suivaient les migrations saisonnières du gibier, notamment les troupeaux de rennes. Au Magdalénien (entre 16 000 et 12 000 ans avant aujourd’hui), les tribus des Pyrénées s’installaient sur des pâturages d’altitude durant l’été, avant de gagner le fond des vallées l’hiver. En saison froide, dans la vallée de la Seine, la crue du fleuve menaçait les onze tentes du campement de Pincevent, établies à proximité d’un gué. La tribu devait alors, peaux de rennes sur le dos, partir en direction des hauts plateaux, afin d’y rebâtir son campement avec des troncs trouvés sur place. Avant de regagner le fleuve, quelques mois plus tard… Seuls quelques sites au nord de l’Europe, comme à Mezirich, en Ukraine, attestent d’un mode de vie plus sédentaire, avec les traces d’imposantes cabanes construites avec les os, les crânes et les défenses prélevées sur plusieurs dizaines de mammouths.
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LA MO Il n’abandonnait pas
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arure riche de centaines de coquillages et lit d’ocre rouge pour un jeune homme inhumé dans la grotte des Arene Candide, en Italie. Pagnes ornés aussi de coquillages pour les deux enfants de la grotte de Grimaldi, proche de Menton… Preuves que non seulement Cro-Magnon enterrait ses morts mais qu’il suivait des rituels funéraires. On sait que les néandertaliens inhumaient déjà leurs défunts. Mais c’est au Paléolithique supérieur que cette pratique se généralise : une centaine de sépultures de cette époque ont été retrouvées – à Cro-Magnon, à La Madeleine et Pataud, en Dordogne… «Les femmes, les hommes, les enfants, même les nouveau-nés avaient droit à une sépulture. Tous les individus n’étaient pas enterrés, ou n’avaient pas droit à une inhumation de même qualité. Cela témoigne vraisemblablement d’une société hiérarchisée», analyse Brigitte Delluc. Le plus souvent, CroMagnon choisissait d’inhumer ses morts à proximité du campement. Il creusait des tombes individuelles ou collectives en pleine terre, avant de protéger certaines à l’aide de dalles ou même d’un petit tumulus, comme à Saint-Germain-la-
LES BIJOUX Il prenait soin de son apparence
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n en est sûr : l’homme qui a marché dans la caverne de Fontanet, dans les Pyrénées, était chaussé de mocassins de cuir, ses empreintes ayant laissé des traces sur le sol argileux… Il ne se contentait pas de jeter une peau de bête sur ses épaules pour se protéger du froid : Cro-Magnon avait aussi un certain sens de l’élégance. Ainsi, un homme inhumé à Sungir, en Russie, il y a 20 000 ans environ, portait chaussures, pantalon, veste et couvre-chef, le tout décoré d’un millier de perles en ivoire de mammouth. Variante : Cro-Magnon s’enveloppait aussi dans des sortes d’anoraks équipés de capuche, comme le suggère la statuette sculptée dans une dent de cheval et trouvée à Bédeilhac, en Ariège. «Cro-Magnon portait des vêtements ajustés, notamment en peau de renne, extrêmement chaude, et cousus, probablement avec des lanières de cuir. Il disposait de tous les outils nécessaires»,
La sépulture de Dolní Věstonice (République tchèque), date d’environ 25 000 ans. Elle renferme le squelette d’une jeune Sapiens.
ses défunts
Ces colliers, retrouvés près de vestiges mégalithiques du Midi de la France, dateraient de 5 700 ans avant aujourd’hui.
RMN-Grand Palais (Musée d’archéologie nationale)/Jean Sehormans
Rivière, en Gironde. En Dordogne, à Laugerie Basse, c’est l’abri naturel offert par un gros bloc détaché de la falaise qui a servi de tombe. Souvent, les cadavres étaient allongés sur le dos, bras le long du corps ou repliés contre la poitrine. Cas rare, en Dordogne, le site de Chancelade a livré une information déconcertante : dans une fosse de 67 centimètres de long, un Magdalénien gisait recroquevillé, une position qui n’a pu être obtenue qu’en ligotant le défunt. Dans la grotte de Placard, en Charente, et dans celle d’Isturitz, au pays Basque, des crânes isolés, séparés de leur corps post-mortem, ont été retrouvés, indiquant une inhumation en deux temps. Dans les tombes sont souvent présents parures, outils de travail, armes… «Certains estiment que l’ocre rouge, très présente aussi, représentait le sang, et donc, la vie. Cette argile a aussi des propriétés siccatives, qui permettent un séchage plus rapide du corps. La présence d’objets du quotidien signifie-t-elle que nos ancêtres croyaient en une vie après la mort ? Restons prudents», met en garde Brigitte Delluc. Mais cela atteste d’une croyance en un statut unique de l’homme face à la mort. D’autant qu’aucune sépulture d’animal n’a jamais été retrouvée.
explique Gilles Delluc. En effet, avec l’aiguille à chas, inventée il y a 18 000 ans, Cro-Magnon a complété sa boîte à couture, déjà dotée de poinçons en os et de perçoirs en silex, qui lui permettaient de confectionner ses vêtements. Mais pourquoi, dans la grotte de Gabillou, en Dordogne, un homme est-il représenté affublé d’une tête et d’une queue de bison ? «Des personnages sont parfois représentés vêtus d’une tenue qui pourrait être cultuelle», argumente Gilles Delluc. Quelles que soient ses motivations, Cro-Magnon s’habillait avec soin. Et parmi ses accessoires figuraient en bonne place les bijoux, dont il était l’inventeur. Dans les sépultures, des femmes mais aussi des hommes et des enfants étaient parés de colliers et de pendentifs réalisés avec des coquillages, des pierres et des bois de cervidés, percés d’orifices pour les suspendre. A Lascaux, Cro-Magnon a poussé son art du bijou jusqu’au «toc», puisqu’il a taillé la pierre en forme… de coquillages !
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LE DANGER
La mort violente n’était pas toujours la règle
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n 1908, on a retrouvé à Chancelade, dans le Périgord, le squelette d’un Sapiens de 15 ans, datant du Magdalénien (entre 16 000 et 12 000 ans avant aujourd’hui). Les chercheurs ont constaté la présence d’une blessure importante sur son crâne, que l’adolescent aurait subi lorsqu’il avait 10 ans. «Il a survécu plusieurs années après son accident, qui l’a certainement rendu incapable de se mouvoir, au moins temporairement. Il a donc fait l’objet d’une assistance, sinon médicale, du moins nutritionnelle», explique Gilles Delluc. De façon générale, le partage et l’entraide parmi les peuples de chasseurs-cueilleurs sont des pratiques aujourd’hui reconnues par les ethnologues», poursuit le chercheur. Ces peuplades dispersées, ayant des ressources suffisantes et aucun raison de se faire la guerre, les morts violentes sont rares. D’autres maux frappent CroMagnon, dont on connaît mal les compétences médicales. Les sépultures n’ont pas livré de traces convaincantes d’intervention chirurgicale et encore moins d’indices sur une utilisation éventuelle de plantes médicinales. «Ces chasseurs-cueilleurs étaient en bonne santé, car ils menaient une existence saine», résume Gilles Delluc. Une vie saine, mais courte. S’il dépassait le cap difficile des 2 ans, l’homme de CroMagnon parvenait le plus souvent à une quarantaine d’années. Les femmes étaient nombreuses à mourir en couches, comme en témoignent le squelette d’une adulte inhumée avec son nouveau-né, retrouvés dans l’abri Pataud (Aquitaine). Il est probable que nos ancêtres étaient sensibles aux maladies saisonnières, comme les pneumonies, potentiellement fatales, et qu’ils devaient souffrir de scolioses, luxations, arthrose, fractures… Autre point faible de CroMagnon : sa denture. Epargnée par les caries, elle ne l’est pas des infections gingivales, avec leur cortège de fistules et d’abcès, susceptibles de dégénérer en une septicémie mortelle. Il lui arrivait aussi de souffrir de maladies rares : le crâne d’un homme de 40 ans, de l’abri de CroMagnon, en Dordogne, présente des lésions osseuses provoquées par l’histiocytose. D’autres maux mystérieux ont longtemps intrigué les experts. Dans le même abri, on a retrouvé le crâne d’une femme présentant de nombreuses fractures. Après des décennies de recherches, on a finalement conclu qu’il s’agissait d’un malheureux coup de pioche donné par un ouvrier, en 1868, lors des fouilles sur le site…
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Au Paléolithique, contrairement à cette scène spectaculaire, il était plus fréquent de mourir d’une infection des gencives que dévoré par une bête féroce.
Philipe Clément/Belpress/Andia
LA VIE QUOTIDIENNE
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Comment Longtemps relégué au rang de
l’homme de brute épaisse au profil simiesque,
Neandertal le contemporain d’Homo sapiens
a pris sa est aujourd’hui reconsidéré.
revanche
PRESQUE UN AIR DE FAMILLE Cette reconstitution d’un visage d’Homo neanderthalensis mâle a été réalisée d’après le moulage du crâne de Shanidar (Irak). Aujourd’hui, chaque Européen porte en lui 2 % à 4 % de gènes néandertaliens.
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S. Plailly, E. Daynes/Look at Sciences
LE «COUSIN»
LE «COUSIN»
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u cours de l’été 1856, dans une carrière de la vallée de Neander, près de Düsseldorf (Allemagne), des ouvriers tombent nez à nez avec un crâne à l’aspect étonnant. Bien que semblant être celui d’un homme, il possède, au-dessus des orbites, un étrange bourrelet osseux. Cette découverte, ainsi que des ossements retrouvés à proximité, est envoyée pour analyse au naturaliste Johann Carl Fuhlrott et à l’anthropologue Hermann Schaaffhausen. En 1857, les deux savants rendent leur conclusion : ce squelette incomplet et ce crâne ont bien appartenu à un être humain, mais d’une «conformation naturelle jusqu’ici inconnue». Leur hypothèse : il s’agirait d’un représentant de ces peuples primitifs du nord-ouest de l’Europe qui auraient précédé les Celtes et les Germains. A l’époque, cette interprétation fait scandale. Charles Darwin ne publiera L’Origine des espèces que deux ans plus tard, et l’idée qu’il ait pu exister un homme antédiluvien, antérieur à l’homme moderne, est considérée comme sacrilège. Des explications plus «convenables» sont proposées : le crâne serait celui d’un ours des cavernes, d’un primate ou d’un individu atteint de pathologies. Une des théories les plus en vue affirme même qu’il appartiendrait à un cosaque rescapé des guerres napoléoniennes : perclus de rhumatisme, le pauvre soldat aurait tant froncé les sourcils sous l’effet de la douleur qu’une excroissance osseuse aurait fini par se former au-dessus de ses yeux !
Mais à partir des années 1860, d’autres ossements sont exhumés, qui affichent les mêmes particularités physiologiques que ceux de la vallée de Neander, notamment en Belgique (deux squelettes en très bon état sont déterrés dans la grotte de Spy, près de Namur), en France, en Grande-Bretagne, en République tchèque. La communauté scientifique se rend à l’évidence : ces fossiles proviennent d’une même espèce d’hominidés qui peuplait l’Europe aux temps immémoriaux. Elle s’empresse toutefois d’insister sur son caractère primitif et en fait un maillon entre le singe et l’homme, plus proche du premier que du second.
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Models : Kennis & Kennis - Photos : The Gibraltar Museum
Cette vision d’un être primitif persista pendant des années
Des femmes de 1,55 mètre pour 7O kilos… Les reconstitutions dévoilent un être trapu, court et puissant
MÈRE ET FILS Les paléoplasticiens néerlandais Alfons et Andre Kennis ont reconstitué une femme, «Nana», et son petit garçon, «Flint», d’après deux squelettes retrouvés à Gibraltar en 1848 et 1926, datant de plus de 60 000 ans.
Après avoir hésité à le nommer Homo stupidus, on le baptise d’après la vallée où a été trouvé le premier spécimen : Homo neanderthalensis ou homme de Neandertal. Les représentations qu’on fait de lui, au début du XXe siècle, sont celles d’un être simiesque, aux traits grossiers, aux poils hirsutes, se tenant voûté et ressemblant vaguement à un gorille. Après avoir étudié en détail le premier squelette quasi complet d’un néandertalien, trouvé en 1908 dans une grotte de La Chapelle-aux-Saints (Corrèze), le paléontologue Marcellin Boule écrira : «Ce groupe humain si primitif au point de vue des caractères physiques devait aussi être très primitif au point de vue intellectuel.» Héritée d’une époque où les théories racialistes allaient bon train et où il était impensable que l’homme occidental soit associé de près ou de loin à un être jugé aussi inférieur, cette image de brute épaisse a longtemps collé à la peau de Neandertal. Dans une certaine mesure, elle continue de conditionner notre regard sur ce lointain représentant de l’espèce humaine. Dans le film La Guerre du feu (1981) de Jean-Jacques Annaud, la tribu des Kzamms, qui par son anatomie évoque les néandertaliens, se démarque de celle des Ivakas (plus proche physiquement d’Homo sapiens) par sa férocité et ses pratiques animales. «Malgré les nombreuses découvertes et les centaines d’études publiées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la vision de Neandertal comme un être primitif persista encore des années à travers de nombreux ouvrages scientifiques ou de vulgarisation», constate Marylène Patou-Mathis, préhistorienne, auteure de Neandertal, une autre humanité (éd. Tempus, 2010). Depuis les années 1960, la mise au jour de nouveaux sites de fouille et la multiplication de découvertes archéologiques majeures fondées sur des analyses nuancées invitent à poser un regard plus «humain» sur celui que l’on a injustement associé à un homme-singe. Bien qu’il soit extrêmement ardu de se faire une idée de la vie quotidienne de Neandertal, celui-ci n’ayant laissé des 250 000 ans de son passage sur Terre que des os (les siens et ceux des animaux qu’il chassait), des outils et des traces diffuses d’occupation du territoire (vestiges de feu, empreintes de pas…), tout semble indiquer que son mode de vie
était plus proche de celui d’Homo sapiens que ne l’ont d’abord imaginé ses découvreurs. Les progrès de l’imagerie 3D et de la paléogénétique ont permis, en premier lieu, de reconstituer son apparence physique avec plus de précision que les peintures caricaturales qui en étaient faites au début du siècle. Le portrait-robot de Neandertal dévoile ainsi un corps trapu, court, et puissant (90 kilos pour 1,65 mètre en moyenne pour les hommes, 70 kilos et 1,55 mètre pour les femmes), doté de membres athlétiques aux attaches solides, ainsi que d’une cage thoracique et d’un bassin bien plus large que chez Sapiens (on parle de «forme en tonneau» pour désigner le tronc de Neandertal). Neandertal devait être roux, pâle, avec des yeux clairs
La tête offre plusieurs caractères autapomorphes (c’est-à-dire spécifiques à l’espèce). Elle est taillée en longueur, comme un ballon de rugby, avec une saillie occipitale à l’arrière (le «chignon néandertalien»), et un fort prognathisme de la face. Les orbites des yeux sont circulaires, le nez large et saillant, et le menton absent. Quant au fameux bourrelet sus-orbitaire, il est particulièrement marqué chez Neandertal, mais n’est pas une spécificité. On le retrouve en effet chez d’autres espèces d’hominidés fossiles bien plus anciennes, comme Homo erectus, ou Homo heidelbergensis (ce dernier, qui vivait en Europe il y a 700 000 ans, est considéré par de nombreux paléontologues comme l’ancêtre direct de Neandertal). Certaines études ont essayé imaginer l’apparence de la peau et des cheveux de Neandertal. En 2010, le séquençage génétique de trois individus découverts dans la grotte d’El Sidrón (Espagne) ayant révélé, chez l’un d’entre eux, des mutations au niveau d’un gène, impliquées chez l’homme moderne dans la pigmentation de la peau, certains chercheurs ont postulé que Neandertal avait de grandes chances d’être roux, pâle et d’avoir des yeux clairs. Il ne s’agit là que d’hypothèses, l’aspect réel du derme et de la chevelure de Neandertal demeurant un casse-tête pour les paléoplasticiens. Une chose est sûre : malgré ces différences physiques plus ou moins marquées, un homme de Neandertal coiffé, rasé et habillé aurait toutes les chances de passer inaperçu en pre-
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nant les transports en commun ; c’est d’ailleurs la réflexion que développe la paléontologue Claudine Cohen dans son livre Un néandertalien dans le métro (éd. Seuil, 2007). Les particularités anatomiques de Neandertal avaient un but précis : lui permettre de survivre au froid. Alors que ses ancêtres sont probablement arrivés en Europe à la faveur d’une période de réchauffement ou d’un épisode interglaciaire, Homo neanderthalensis a vécu entre 350 000 et 24 000 ans avant aujourd’hui, soit durant le Pléistocène moyen et supérieur, une ère géologique marquée par d’intenses périodes de glaciation. Si son aire de répartition s’est étendue jusqu’au Proche-Orient, son habitat principal correspondait à la steppe à mammouths qui s’étendait de l’Atlantique jusqu’à l’Asie centrale, et où il est monté jusqu’à 50° de latitude Nord… Ce qui indique une résistance au grand froid hors du commun. Sa petite stature, son aspect trapu et ses membres courts peuvent être alors le signe d’une évolution anatomique liée au climat. «Au même titre que les Inuits ou les Lapons, chez qui l’on retrouve ces caractéristiques physiques, les néandertaliens étaient des hyperpolaires», détaille Silvana Condemi, paléoanthropologue et auteure de Neandertal, mon frère (éd. Flamarion, 2016), qui confirme qu’ils étaient capables d’affronter le grand froid.
hypothèse
enquête sur une disparition
Une intoxication alimentaire massive à l’arsenic ?
Les chercheurs ont émis de nombreuses hypothèses : un changement climatique majeur auquel il n’aurait pas su s’adapter ; l’apparition d’un virus ayant déclenché une pandémie à l’échelle du continent eurasiatique ; une intoxication alimentaire massive aux champignons vénéneux ou à l’arsenic. Des pistes ont aussi été envisagées autour d’une cohabitation préjudiciable avec Homo sapiens. Ce dernier, arrivé d’Afrique vers 45 000 ans avant aujourd’hui, a en effet dû côtoyer Neandertal. Lui a-t-il fait la guerre jusqu’à l’anéantir ? Etait-il vecteur de maladies inconnues qui l’auraient décimé ? Ses capacités cognitives étaientelles supérieures, lui donnant un avantage compétitif dans l’appropriation des ressources et la lutte pour la survie ? En l’état, aucune de ces hypothèses n’emporte la mise.
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Mais de récentes découvertes en paléogénétique, découlant du séquençage de l’ADN de plusieurs néandertaliens à partir de 2010, fournissent de nouvelles réponses. Dotées d’une démographie moins dynamique que celle de Sapiens, les populations néandertaliennes auraient tout bonnement été absorbées par ces dernières. Des hybridations entre les deux espèces auraient ainsi eu lieu, tournant à l’avantage d’Homo sapiens. Et ce d’autant que, selon certains scientifiques, les métis entre un homme néandertalien et une femme Sapiens auraient été stériles, l’inverse n’étant pas vrai. Les clans Sapiens se seraient enrichis de ces mélanges, contrairement aux néandertaliens qui auraient lentement périclité. Ces hybridations expliqueraient par ailleurs les découvertes de ces dernières années, affirmant que 1 % à 4 % du patrimoine génétique des Européens et des Asiatiques sont issus du génome néandertalien. Finalement, Homo neanderthalensis n’aurait pas entièrement disparu… mais continuerait de subsister dans notre ADN !
Il connaissait déjà les vertus thérapeutiques de certaines plantes
Ils maîtrisaient le feu et fabriquaient des outils complexes. Trop peu pour concurrencer Sapiens ?
Natural History Museum, London/SPL/Cosmos
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n 2006, une équipe internationale de paléoanthropologues chargée de fouiller la grotte de Gorham, à Gibraltar, un site connu pour ses nombreux campements néandertaliens, rend ses conclusions : les individus enfouis dans les couches stratigraphiques qu’ils ont étudiées ont trouvé la mort ici il y a environ 24 000 ans. Ce qui en fait les derniers représentants de l’espèce dont nous ayons à ce jour retrouvé la trace. En dehors de cet ultime refuge, tous les vestiges d’occupation néandertalienne découverts en Europe et au Proche-Orient cessent vers 40 000 avant aujourd’hui. Comment Homo neanderthalensis qui avait survécu 300 000 ans et résisté à trois périodes de glaciation a-t-il pu disparaître si brusquement ?
Outre sa morphologie, Neandertal a dû, pour survivre à un climat rigoureux, consommer beaucoup de protéines animales. L’analyse des comportements de subsistance montre qu’il ingurgitait d’énormes quantités de viande. Selon les périodes et selon les régions qu’il a colonisées, il a été confronté à différents animaux et proies potentielles. Mais il semble qu’il ait chassé les grands herbivores : chevaux sauvages, rhinocéros laineux, rennes, ovibos (bœuf musqué), bisons, mammouths, mégalocéros (le plus grand cervidé de tous les temps, dont les bois pouvaient atteindre 3,50 mètres d’envergure). Pour abattre ces colosses, qui opposaient une défense redoutable, Neandertal a développé des méthodes de chasse élaborées. Il a recouru à des armes, comme le prouve notamment une lance en if, à la pointe taillée et dur-
Library of Congress/Science - Photo : Library/AKG
LE «COUSIN»
cie au feu retrouvée plantée dans le thorax d’un éléphant tué il y a 125 000 ans près de Lehringen (Allemagne). Il a également élaboré des stratégies, traquant ses proies en meute et utilisant son environnement pour les rabattre vers des pièges naturels. Dans les avens de La Borde et de Coudoulous (Quercy), des fouilles récentes ont mis au jour les restes de 40 aurochs et de 200 bisons, précipités dans l’abîme par les chasseurs. Mais Neandertal n’était pas que carnivore. En 2010, l’étude de résidus enfermés dans le tartre de dents découvertes à Spy et à Shanidar (Irak) a prouvé qu’il consommait des végétaux : plantes aquatiques et céréales sauvages. Certains fossiles découverts ont subi des modifications chimiques similaires à celles opérées lors d’une cuisson, ce qui laisse supposer qu’il cuisinait ses aliments au feu. Mieux : tout indique qu’il semblait connaître les propriétés thérapeutiques de certaines plantes, une étude récente ayant prouvé que les habitants de la grotte d’El Sidrón recouraient à l’achillée millefeuille et à la camomille, réputées pour leurs propriétés anti-inflammatoires, cicatrisantes et calmantes. Chasseur-cueilleur opportuniste, bon connaisseur de la nature, Neandertal fut aussi un artisan habile qui fabriquait de nombreux objets. Il inventa une industrie baptisée Moustérien (du nom de l’abri du Moustier, où furent découvertes, en 1872, les premières pierres taillées selon cet art), qui lui permettait de confectionner des outils – racloirs, pointes, grattoirs, coups-de-poing – grâce à une méthode de débitage avancée des éclats de silex. Et il emmanchait ses créations sur des
LE «SINGE» DE LA DISCORDE Cette sculpture datant de 1916 fait de l’homme de Neandertal un être rustre d’aspect simiesque, au moment où la communauté scientifique rechigne à accepter l’existence d’une autre espèce d’humain.
Bien coiffé et rasé, l’homme de Neandertal passerait sans doute aujourd’hui inaperçu dans le métro !
bâtons en fabriquant de la colle à base de résine d’arbre ou de goudron. Enfin, bien que plus rares que ses créations lithiques, il a élaboré des objets en os, comme ces lissoirs façonnés dans des côtes de cerf, découverts en 2013 sur le site du Pechde-l’Azé. Destinés à assouplir les peaux de bêtes et datant de 50 000 ans, ces ustensiles ultra-spécialisés sont similaires à ceux utilisés aujourd’hui par les artisans du cuir ! Outre ces aspects pratiques et industrieux, la culture moustérienne s’accompagnait de préoccupations d’ordre esthétique et de rituels qui supposent l’existence d’une pensée symbolique chez Homo neanderthalensis. Il a ainsi eu recours à des parures en coquillages, en os ou en plumes, comme celles trouvées dans la grotte de Fumane, en Italie. Des spécialistes avancent qu’il a employé des ocres à des fins artistiques, voire ritualisées, comme l’indiquent des gisements mis au jour près de Maastricht et datant de 300 000 ans. Une pensée symbolique animait Homo neanderthalensis
Enfin, il semblait avoir une conscience aiguë de la mort : dans certains cas, il a enterré ses défunts. Une trentaine de sépultures ont été retrouvées sur quinze sites (Europe occidentale, Proche-Orient, Géorgie, Crimée, Ouzbékistan). Sur celui de La Ferrassie, en Dordogne, on a découvert des corps enterrés en position fœtale et recouverts de graviers et de cendres. «Les néandertaliens ont déposé sur ces fosses des dalles de pierre, dont une, creusée de cupules, qui ont pu avoir une signification symbolique liée à un rituel particulier qui nous échappe», commente Marylène Patou-Mathis. Ces découvertes invitent à reconsidérer l’image que nous nous sommes forgée de Neandertal. Il a su s’adapter avec ingéniosité à son environnement. Il fabriquait des outils complexes, maîtrisait le feu, chassait en groupe, se protégeait du froid et semblait animé par des préoccupations esthétiques et symboliques. Pour la préhistorienne Marylène PatouMathis, ces qualités forcent notre respect : «Neandertal était différent de nous, mais il était notre égal, le représentant d’une autre humanité. Pourquoi a-t-il disparu ? Je répondrai : Neandertal a vécu près de 300 000 ans… et nous, combien L de temps vivrons-nous ?» CLÉMENT IMBERT
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Jacques Boyer/Roger-Viollet
LA RECHERCHE
Le jésuite Pierre Teilhard de Chardin (dans le cercle), au musée d’Histoire naturelle de Paris, en 1936, avec le paléontologue Marcelin Boule (à droite), et ses élèves. Le religieux fut l’un des théoriciens de l’évolution les plus remarquables de son temps.
haute autorité de l’époque, se rend sur le site et valide la découverte. Il en conclut que l’homme est «suffisamment ancien pour avoir vécu, au moins, en même temps que le mammouth». C’est un coup de tonnerre dans le ciel catholique. Les mammouths, en effet, se sont éteints, à l’ouest de l’Europe, il y a 12 000 ou 15 000 ans. Or, l’homme, selon la Genèse, n’a été créé, avec Adam et Eve, que 4 000 ans avant l’ère chrétienne, c’est-à-dire qu’il n’a, tout au plus, au XIX siècle, que 6 000 ans d’existence… S’il a été le contemporain des mammouths, comme le prouvent les fossiles contenus dans les strates géologiques, alors c’est tout le calendrier biblique qui est à revoir. Et à reculer dans la nuit des temps. L’extinction des animaux «antédiluviens», comme les appelle Jacques Boucher de Perthes, pose d’autres énigmes à la compréhension chrétienne du monde. Par exemple : comment Dieu, qui a créé toutes les espèces vivantes possibles pour assurer la plénitude de l’univers, pourrait-il admettre que certaines d’entre elles disparaissent ? Plus problématique encore : l’existence de l’homme préhistorique n’a été longtemps attestée que par la présence de ses outils – pointes de flèches, pierres taillées –dans les sédiments accumulés du sous-sol, mais voilà que l’on commence maintenant à exhumer ses ossements. Et quels ossements ! En 1857, dans une grotte du ravin de Neandertal, non loin de Düsseldorf, un jeune enseignant allemand découvre un squelette fossile. Le crâne présente des arcades sourcilières très proéminentes, les fémurs une courbure inhabituellement prononcée. Ces restes fossilisés n’en sont pas moins ceux d’un être humain – même s’ils répondent peu à notre représentation d’une créature parfaite façonnée par Dieu à son image. En 1868, l’abri-sous-roche de Cro-Magnon, aux Eyzies, en Dordogne, livre cinq autres squelettes. Ceux-là, semblables aux nôtres et vieux d’environ 28 000 ans, sont ceux d’Homo sapiens, nos ancêtres directs. En 1886, deux néandertaliens sont trouvés dans la grotte belge de Spy, près de Namur. Puis en 1891, sur l’île de Java, c’est la découverte des vestiges osseux d’une troisième sorte d’homme, le pithécanthrope… Question embarrassante pour l’Eglise : puisque l’humanité est diverse, issue de plusieurs berceaux, qu’en est-il du dogme fondateur de la Création, d’Adam et Eve, et du péché originel ? Une fois encore, voilà la révélation biblique attaquée au cœur. Ajoutons qu’en 1859, l’année même où l’on prend conscience, grâce à Charles Lyell, que notre généalogie doit se mesurer non pas à l’échelle de l’histoire mais à celle de la géologie, c’est-à-dire sur des durées immenses, un autre Britannique, le bio-
logiste Charles Darwin, publie son œuvre fondamentale : De l’origine des espèces. Sa thèse est que, loin d’avoir été créés ex nihilo sous leur forme définitive, les végétaux et les animaux n’ont cessé de se transformer pour s’accommoder aux changements de l’environnement et du climat. Dans ce processus forcé d’évolution, les formes de vie qui ne parviennent pas à s’adapter sont condamnées à l’extinction. Telle est la dure loi de la sélection naturelle. Darwin se garde d’aborder l’épineuse question de l’apparition de l’homme, mais, dès 1865, le naturaliste suisse Carl Vogt, se basant sur les travaux de son confrère, affirme que le genre humain, au lieu d’être né d’une intervention divine, se rattache tout bonnement aux différentes familles de grands singes. Nouveau coup de tonnerre pour les croyants : cette fois, c’est la question – quasi sacrilège – de la probable origine animale de l’homme qui se trouve posée. Le pithécanthrope et Neandertal interpellent aussi bien les scientifiques que les religieux
La préhistoire balbutiante s’empare des concepts darwiniens qui viennent recouper à point nommé ses interrogations liées aux fossiles. Neandertal est-il notre ancêtre, avec son crâne bizarre et ses jambes torses ? A-t-il marqué un stade intermédiaire sur la longue route vers l’hominisation ? Et le pithécanthrope serait-il, comme certains l’avancent, le «chaînon manquant» entre le singe et l’homme ? Durant plus d’un demi-siècle, un débat riche en controverses va opposer les «fixistes», qui croient à l’immuabilité des espèces, aux «évolutionnistes», partisans des idées nouvelles. Ces derniers, à l’instar de Gabriel de Mortillet, archéologue, anthropologue, fondateur en 1864 de la première revue de préhistoire en France, sont souvent, en philosophie, des adeptes du matérialisme, des républicains en politique, des socialistes parfois, des anticléricaux volontiers : ils ne se privent pas de critiquer la religion catholique, qui fait figure de citadelle assiégée. On comprend pourquoi l’abbé Henri Brémond (1865-1933), historien, académicien français, donne alors à la science préhistorique l’apparence d’une jeune fille coiffée du bonnet rouge de la subversion et dansant «la danse du scalp autour de l’Eglise» ! Le plus étonnant de l’affaire, pour ne pas dire le plus paradoxal, c’est qu’en dépit de ce contexte peu propice à leur foi, des prêtres vont se tourner avec passion vers la préhistoire et devenir, pour certains, des savants éminents de cette science nouvelle. On connaît les «têtes d’affiche» de la mouvance, le père jésuite Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), chercheur, théologien, philosophe et paléontologue, considéré comme l’un des théoriciens
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LA RECHERCHE
de l’évolution les plus remarquables de son époque, et l’abbé Henri Breuil (1877-1961), titulaire de la chaire de préhistoire au Collège de France et premier préhistorien à visiter la grotte de Lascaux. Les travaux de l’abbé Breuil sur l’art pariétal, à Marsoulas en Haute-Garonne, à Altamira en Espagne, au Tuc d’Audoubert en Ariège, et jusqu’en Afrique du Sud, lui ont valu d’être surnommé – on croirait un blasphème – «le pape de la préhistoire». Les «concordistes» tentent de faire correspondre leurs découvertes avec les récits de la Bible
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Surnommé «le pape de la préhistoire», l’abbé Henri Breuil (au centre) examine, en 1956, le premier crâne d’Homo neanderthalensis trouvé un siècle plus tôt, près de Düsseldorf, en Allemagne.
Keystone France
A ces deux noms illustres, d’autres, moins connus, méritent d’être associés, tel celui de l’enthousiaste abbé Louis Bourgeois qui, au tournant des années 1870, croit trouver à Thenay, dans le Cher, des silex taillés datant de l’ère tertiaire – autrement dit vieux de plusieurs millions d’années ! Ce serait, d’un bond, repousser très loin dans le temps les origines de l’homme, mais les vestiges du père Bourgeois sont jugés «peu probants». Citons encore l’abbé Jean Guibert, directeur en charge des sciences naturelles au grand séminaire de Saint-Sulpice, qui fait paraître, en 1896, le premier manuel de préhistoire à l’usage des séminaristes. Les frères abbés Jean et Amédée Bouyssonie, codécouvreurs en août 1908, avec le père Louis Bardon, du squelette néanderthalien de La Chapelle-aux-Saints, à la Bouffia, en Corrèze. L’abbé Amédée Lemozi qui révèle au public, en 1922, les parois ornées de la grotte des Merveilles, à Rocamadour. Sans oublier l’abbé André Glory qui plus tard, en 1953, effectue avec Henri Breuil des relevés de dessins pariétaux, bisons, chevaux et bouquetins, dans la grotte dite du Sorcier, à Saint-Cirq, en Dordogne… Tous ces hommes d’église devenus préhistoriens ont contracté «la maladie de la pierre», comme ils qualifient leur engouement pour la préhistoire. Mais tous n’ont pas la même approche de leur discipline. Certains, qu’on appelle les «concordistes», s’efforcent de faire correspondre leurs découvertes avec l’enseignement de la Bible, ce qui requiert parfois de l’ingéniosité et de l’agilité d’esprit. Le calendrier de la Genèse est trop étriqué ? Il est évident désormais que le monde n’a pu être créé en six malheureux jours ? Certes, mais en hébreu, le mot «Yôm», employé dans les Ecritures, signifie soit un jour, soit une période de temps indéfinie, éventuellement très longue… Pour les concordistes, c’est dans ce second sens qu’il faut le comprendre. Du reste, ajoutent-ils, il est frappant de voir comme le récit de la Création coïncide avec les ères géologiques établies par les scientifiques : le premier jour est celui de la naissance de notre planète, puis les océans et les terres apparaissent
progressivement aux deuxième et troisième jours, puis les plantes et les animaux aux quatrième et cinquième, et enfin l’homme au sixième, avant le repos du septième jour, période dans laquelle nous serions toujours – ce qui prouverait au passage que les fameux «jours» bibliques ont assurément une durée considérable. Concernant l’origine animale de l’humanité – induite par les travaux de Darwin –, les chercheurs concordistes, notamment les abbés Jean et Amédée Bouyssonie, ont une approche d’une subtilité plus étonnante : pour sauver le caractère divin de l’homme, ils avancent que son âme a pu être «infusée» par Dieu dans un corps animal, lequel se serait ensuite trouvé soumis aux triviales contraintes de l’évolution. Tous les préhistoriens catholiques ne se torturent pas ainsi les méninges pour trouver des passerelles entre leur foi et leurs recherches. Convaincu que le but de la Genèse – un texte d’une seule page – n’est pas de décrire précisément comment Dieu a créé la vie, l’abbé Henri Breuil, par exemple, se tient dans une prudente neutralité, à l’écart des débats. Il obtient, après plusieurs tentatives infructueuses, de n’être attaché à aucune paroisse pour pouvoir se consacrer entièrement à son œuvre de préhistorien, ce qui ne signifie pas qu’il se désintéresse pour autant des questions religieuses. Son ambition est de faire avancer, peu à peu, l’ensemble de la communauté catholique vers l’acceptation de la science, et c’est d’ailleurs ce qui va finir par se produire. Non sans résistance. Il faut se représenter que les préhistoriens en soutane ne constituent, au début du XX siècle, qu’une avant-garde souvent décriée, jugée avec méfiance. En majorité, les prêtres – comme les fidèles – restent «créationnistes», attachés à une
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lecture littérale de la Bible. La position officielle de l’Eglise, cependant, est moins monolithique et évolue même avec le temps. La jeune science préhistorique est d’abord accueillie avec intérêt, jusqu’à ce que l’irruption du darwinisme vienne remplacer, dans les années 1860, notre filiation à Adam et Eve par une parenté avec des singes. Rome, pourtant, rechigne à condamner formellement l’évolutionnisme. Lors de son pontificat, entre 1878 et 1903, le pape Léon XIII autorise, durant une dizaine d’années, les chercheurs catholiques à discuter librement la question dans les Congrès scientifiques internationaux. C’est un dégel. Suivi, à partir de 1907, d’un nouveau durcissement, temporaire, avec ce qu’on appelle la «crise moderniste». Par l’encyclique Pascendi Dominici Gregis (Nourrir le troupeau du Seigneur), le pape Pie X accuse, sans les nommer, certains intellectuels catholiques de transiger avec la modernité scientifique au mépris des dogmes et de porter en eux le «venin d’erreur puisé chez les adversaires de la foi». Cette relation en dents de scie entre l’institution ecclésiale et les prêtres préhistoriens ne va pas sans crises retentissantes. Ainsi, le dominicain Dalmace Leroy, qui écrit en 1887 un livre prudemment favorable à Darwin, se retrouve au cœur d’une tempête théologique pour avoir estimé que le corps de l’homme «pourrait dériver, à la rigueur, de l’animalité». Même si, s’empresse-t-il d’ajouter face à l’ampleur des critiques, «rien ne prouve qu’il en a été ainsi»… Trop tard. Convoqué à Rome en 1895, sommé de se rétracter, il s’exécute et tire un trait définitif sur ses travaux.
Même si Darwin, n’a jamais prétendu que l’homme descendait du singe, le Vatican a condamné son essai, L’Origine des espèces (1859). Les caricaturistes du XIXe siècle ont d’ailleurs souvent représenté le naturaliste avec un corps de chimpanzé.
Un quart de siècle plus tard, pour à peu près les mêmes raisons, le chanoine Henry de Dorlodot, professeur de géologie et de paléontologie à l’université catholique de Louvain, est incriminé à son tour. Dans un ouvrage publié en 1921, Le Darwinisme au point de vue de l’orthodoxie catholique, Dorlodot avance que «l’Ecriture sainte ne fournit aucun argument contre la théorie de l’évolution». C’est assez pour qu’on lui reproche sa complaisance envers les thèses «hérétiques» de Darwin. Il s’en défend, précise n’avoir jamais dit que l’homme trouvait son origine dans l’évolution, mais seulement le corps de l’homme, créé par Dieu… Au final, il échappe aux sanctions pontificales mais renonce à faire paraître le second tome de son ouvrage. Pour avoir remis en cause le péché originel, Teilhard de Chardin est censuré par le Vatican
Le grand procès des préhistoriens catholiques reste toutefois celui qu’on instruit, au même moment, contre le père Teilhard de Chardin. Docteur ès sciences, esprit brillant et novateur, Teilhard croit en «un plan divin» grandiose, cosmique, qui ferait de «l’Homme non pas le centre statique du monde, mais l’axe et la flèche de l’Evolution»… En 1924, il rentre de Chine, après une fructueuse campagne de fouilles dans les gisements de fossiles de la province du Gansu et de la ville mongole d’Ordos, quand le scandale s’abat sur lui : un court texte de sa main, consacré au péché originel mais non destiné à être publié (il s’agissait d’une note à l’intention d’un confrère), a été porté à la connaissance du Vatican. Il est jugé incompatible avec le dogme biblique. Le père Teilhard de Chardin est condamné – à vie – à ne plus publier que des ouvrages purement scientifiques. Il est en outre démis de ses fonctions de professeur de géologie à l’Institut catholique et réexpédié en Chine. Dans la petite communauté des prêtres préhistoriens, ce blâme brutal est un choc. On craint désormais une mise à l’index de tous les chercheurs, voire une interdiction de leurs travaux, mais rien de tel ne se produit. Le Saint-Siège n’a pas l’intention de provoquer, en plein XX siècle, une nouvelle affaire Galilée. Et les idées nouvelles vont, au contraire, continuer de se propager… Dès 1950, sous le pontificat de Pie XII, les autorités ecclésiastiques admettent la possible origine animale de l’homme. C’est évidemment un aboutissement pour les pionniers catholiques de la préhistoire. Ils ont démontré, par leur engagement, qu’on pouvait être à la fois prêtre et scientifique, mais ils ont fait bien plus encore : au risque de leur situation personnelle, au péril de leur foi, ils ont entraîné l’Eglise entière avec eux, pour lui faire partager leur modernité. PIERRE ANTILOGUS
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humeur
Sapiens, l’espèce humaine au banc des accusés Auteur d’un récent best-seller mondial sur la préhistoire, Yuval Noah Harari fait le procès de l’homme. Son verdict : il est coupable. Vraiment ?
Sapiens - Une brève histoire de l’humanité, a été publié par les éditions Albin Michel, en 2015.
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ersonne n’aurait parié que Une brève histoire de l’humanité – sous-titre de cet essai historique – deviendrait un événement éditorial, traduit en trente langues. Pour Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, il s’agit du livre de l’année 2015. Et un aréopage de 200 personnalités de la sphère économique et politique, interrogées par le journal Les Echos en juillet 2016, en fait un des ouvrages le plus à même d’éclairer leur décision dans un monde en pleine mutation. Que raconte ce phénomène d’édition ? En 500 pages, l’auteur balaie les 70 000 dernières années, qui ont vu les premiers chasseurs-cueilleurs se muer en colonisateurs de la Terre et même de l’espace. C’est surtout un terrible réquisitoire contre l’espèce humaine. Un indice, sur la couverture, met la puce à l’oreille : sous le nom de l’auteur figure une empreinte digitale, comme celle que les repris de justice apposent sur leur fiche d’identité lors de leur arrestation. De quoi est accusé Homo sapiens ? Ses crimes, selon Harari, sont nombreux. Il a déforesté la planète, bouleversé les équilibres écologiques, asservi la nature, réchauffé le climat, provoqué la disparition d’espèces animales, cultivé le blé – «la plus grande
escroquerie de l’histoire», prétend même l’auteur – inventé l’eucharistie, la SARL Peugeot, les droits de l’homme… Selon le chercheur de l’université hébraïque de Jérusalem, l’homme est vaniteux, sournois, cruel, un «serial killer écologique» et appartient à «l’espèce la plus meurtrière des annales de la biologie», page 76. Certes, il s’appuie sur les travaux de ses confrères, mais certaines de ses extrapolations, assénées comme des vérités, ne sont fondées que sur son intime conviction. L’homme domestique le feu ? Harari affirme
(comment le sait-il ?) qu’aussitôt une femme s’est emparé d’une torche pour incendier des forêts. Autre allégation sidérante, page 87 : l’infanticide pour se débarrasser des «bébés et petits enfants qui évoluent lentement et requièrent beaucoup d’attention». Défenseur de la cause animale, Harari n’aime pas l’homme. Il le démontre en employant systématiquement un champ lexical péjoratif ou à charge. L’historien ne voit en lui qu’un être vil, une créature médiocre comparée au «lion ou [au] requin». Arrivé par chance en haut de la chaîne alimentaire, il est animé d’un esprit de revanche destructrice. Pour nourrir son argumentaire, Harari n’hésite pas à comparer ce qui n’est pas comparable, page 51 : «Voici 30 000 ans, une fourrageuse pouvait quitter le camp avec les siens autour de 8 heures le matin. […] Mais ils n’avaient pas à s’inquiéter d’accident de la circulation ou de pollution industrielle.» L’envie est forte de lui rétorquer qu’il a raison, mais que personne ne s’est encore fait dévorer par un tigre dans le métro. De même, lorsqu’il affirme que l’invention de l’écriture n’a abouti qu’à la bureaucratie, de lui souffler à l’oreille : mais aussi à la poésie… L cyril guinet
pour en savoir plus
Enquête sur une disparition
fictions
essais
régime carnivore
Deux paléontologues français partent de l’identification, en 2013, du premier os d’un métis de père Sapiens et de mère néandertalienne pour dérouler 300 000 ans d’aventure humaine. Ils dressent le portrait d’un homme de Neandertal pas si éloigné de nous et passent en revue les hypothèses sur son extinction. Neandertal, mon frère, de Silvana Condemi et François Savatier, éd. Flammarion, 21 €.
L’art pariétal décrypté Dans un ouvrage posthume, Alain Testard (disparu en 2013) pose son regard sur les fresques de Lascaux et de Chauvet. On pensait que nos ancêtres ne s’y étaient pas représentés. On avait tort : l’anthropologue explique comment ces peintures rupestres animales dévoilent en filigrane une classification des hommes et l’esquisse des premières sociétés. Vertigineux. Art et religion de Chauvet à Lascaux, d’Alain Testart, éd. Gallimard, 26 €.
24 heures au Paléolithique Amour, art, société, chasse… Un couple de préhistoriens fait renaître la vie quotidienne d’Erectus, Neandertal ou Sapiens, qui apparaissent beaucoup plus subtils que la caricature de «l’homme des cavernes». Accessible et plein d’humour, c’est un ouvrage à conseiller aux jeunes lecteurs. Vie des hommes au temps de la préhistoire, de Brigitte et Gilles Delluc, éd. Ouest-France, 7,90 €.
L‘auteur a étudié l’impact du gibier chez les néandertaliens.
L
’avocate de Neandertal, c’est elle. Les travaux de la paléoanthropologue Marylène Patou-Mathis ont permis de réhabiliter celui qu’on a longtemps pris pour une sombre brute. Ses travaux sur la préhistoire, dont elle est une de nos meilleurs spécialistes, l’ont également amenée à étudier le rôle et l’impact du gibier dans les sociétés
humaines jusqu’à notre époque. Derrière l’histoire de la viande se dévoile celle de l’animal et de sa relation complexe avec l’homme, qui s’est établie au fil des temps. En témoignent l’art préhistorique, les récits mythologiques, les croyances… où la figure animale est omniprésente. Mangeurs de viande, de Marylène PatouMathis, éd. Perrin, 28 €.
une vision du futur
L
a préhistoire vous passionne ? Les grands singes vous fascinent ? Les livres de Pascal Picq sont pour vous. Paléoanthropologue au Collège de France et éthologue, il a écrit de nombreux ouvrages éclairants. De Darwin à Lévi-Strauss, l’homme et la diversité en danger (éd. Odile Jacob, 2013) ou Nouvelle Histoire de l’homme (éd. Perrin, 2005) feront votre bonheur. Dans son dernier essai paru en mai 2017, l’auteur fait
un constat inquiétant : quel avenir se prépare l’être humain en éliminant les grands singes et en créant des robots ? Il répond avec humour qu’il faut d’abord comprendre les intelligences naturelles qui accompagnent notre évolution, à savoir celle des singes et des grands singes, si nous ne voulons pas devenir les esclaves des machines. Qui va prendre le pouvoir ? Les grands singes, les hommes politiques ou les robots, de Pascal Picq, éd. Odile Jacob, 22,90 €.
Nostalgie des âges farouches
Natural History Museum, London/SPL/Cosmos
nouveautés
Les quinquagénaires le relisent avec émotion, les plus jeunes le découvrent avec passion : Rahan résiste aux modes. Sans doute parce que les aventures préhistoriques imaginées par le scénariste Roger Lécureux et magistralement mises en images par André Chéret véhiculent un message universel : «Ceux qui marchent debout» doivent être solidaires. Intégrale Rahan, 25 volumes, éd. Soleil, 16,95 €.
Au bon vieux temps des cavernes En 1977, l’Américaine Jean M. Auel quitte son poste de cadre supérieure pour se consacrer à sa passion : la préhistoire. Après avoir interrogé des spécialistes, elle brode une saga, un tantinet féministe, mettant en scène Ayla, une jeune Homo sapiens élevée par des néandertaliens. Malgré quelques licences avec la réalité, la série permet de découvrir des aspects méconnus de la vie quotidienne d’il y a 30 000 ans. Les Enfants de la Terre, 6 volumes, éd. Pocket, à partir de 7,40 €.
Une fable préhistorique Certes, ce film a contribué à perpétuer des clichés infondés et une image peu avantageuse des groupes humains préhistoriques (les scènes de cannibalisme !). Mais son mérite a été d’amener le grand public à s’intéresser à la préhistoire. A redécouvrir. La Guerre du feu, de Jean-Jacques Annaud, 1 h 40, EuropaCorp, 9 €.
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L’Art
Thomas J. Abercrombie/Getty Images
Au centre de la scène principale, le «géant blanc» lève ses bras vers le ciel. En superposition, un «nuage» semble déverser de la pluie. Un hommage à des divinités de l’abondance et de la fertilité ?
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Ce qu’ils ont voulu dire Peintures rupestres, statuettes, amulettes… L’art paléolithique témoigne d’une maîtrise technique avancée et dévoile les croyances et la vie quotidienne des premiers hommes. PAR fRédéRic gRAnieR (TeXTe)
Les «martiens» de tassiLi
La présence de nombreux animaux à cornes témoigne de l’existence, à l’époque, d’éleveurs nomades. Les grottes de Tassili n’Ajjer ont ainsi pu servir d’abris à des pasteurs.
Difficile d’imaginer que le sud-est de l’Algérie était autrefois une terre verdoyante. Et pourtant, c’est ici, dans le désert, que fut retrouvé un ensemble exceptionnel de peintures rupestres évoquant des animaux disparus, des silhouettes féminines à figures d’oiseaux et, plus étonnant encore, des divinités cornues ou des géants aux têtes allongées, très vite rebaptisés «martiens». De quoi alimenter les fantasmes des ufologues, astroarchéologues et autres passionnés d’ésotérisme… Datation : 12 000 ans. Découvert à Tassili n’Ajjer (Algérie), en 1936.
M. Viard/Horizon Features/Leemage
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L’ART
Les traces rouges laissent penser qu’à l’origine la sculpture était recouverte d’ocre, couleur du sang (menstruel ?) et de la chasse.
Les stries sur le crâne de la mère et de l’enfant évoquent des masques, voire des casques, typiques de la culture de Vinca qui connut son apogée il y a 7 000 ans.
LA VÉNUS DE LAUSSEL
Dans sa main droite, une femme tient une corne de bison tandis que la gauche repose sur son ventre. Malgré un visage à peine esquissé, une impression de sérénité se dégage de cette sculpture qui faisait partie d’un ensemble de blocs calcaires gravés ; elle a, depuis, été sciée avant d’être transportée dans un musée. Certains archélogues voient dans cet objet la préfiguration d’une déesse de la chasse : la corne qu’elle tiendrait dans la main droite serait un objet magique dont les treize stries représenteraient le nombre de proies tuées.
La main sur l’abdomen peut aussi être interprétée comme une allégorie de la fécondité. Une piste accentuée par les entailles de la corne qui pourraient représenter les cycles menstruels d’une femme au cours d’une année.
LA MÈRE ET L’ENFANT
Les années passent, les traits s’affinent… A la fin du Néolithique, l’art prend des formes de plus en plus figuratives, alors que l’on s’approche de l’invention de l’écriture (vers 3 300 ans avant notre ère) et donc de la fin de la Préhistoire. Cette statuette en terre cuite d’une mère berçant son petit est typique de la culture de Vinca, localisée dans les Balkans et considérée comme le berceau de la civilisation européenne. Datation : 7 000 ans. Découverte en Serbie, au début du XXe siècle. Hauteur : 20 centimètres.
Photo12/Archives Snark
Datation : 23 000 ans. Découverte à Laussel (Dordogne), en 1911. Hauteur : 15 centimètres.
L’ART
Les rhinocéros ont été très peu représentés dans d’autres grottes. Ici, la superposition des mammifères (réalisée selon la technique du raclage de paroi) renforce l’impression d’un troupeau dont on peut presque ressentir la panique.
Le Roux/Alpaca/Andia
Ces peintures, les plus anciennes connues au monde, témoignent d’une maîtrise déjà considérable. Chauvet a donc bousculé la théorie d’une évolution linéaire de l’art préhistorique (du plus simple au plus élaboré).
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Le panneau des Lions (Chauvet)
La meute de lions prépare son attaque contre les bisons. Le mouvement de cette scène de chasse est remarquablement retranscrit, lui donnant une dimension quasi cinématographique.
Un mystère demeure : au centre de la fresque, un cheval semble sortir des profondeurs de la roche, comme indifférent au chaos qui l’entoure.
Un millier de peintures et de gravures, 447 espèces d’animaux… Inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, la grotte du Pont d’Arc, découverte en Ardèche par trois spéléologues (Jean-Marie Chauvet, Eliette Brunel-Deschamps et Christian Hillaire) demeure la plus ancienne attestation de la présence humaine sur le territoire français. Comme en témoigne cette grande fresque (dite des «lions des cavernes»), l’état de conservation des œuvres est exceptionnel : durant vingt-deux millénaires, l’entrée de la grotte a en effet été obstruée par un épais talus d’éboulis. Datation : 36 000 ans. Découvert en Ardèche, en 1994. Fresque de 12 mètres de longueur.
L’absence de crinière renseigne sur la morphologie des lions des cavernes, ces grands félins qui peuplaient l’Eurasie jusqu’à la fin du Paléolithique (il y a 12 000 ans).
L’art
A l’entrée de la grotte, une «licorne», seul animal chimérique de la fresque, ferme le ban d’un groupe d’équidés. Elle semble pousser (ou effrayer) les autres animaux.
La saLLe des taureaux (Lascaux)
Elle est relativement petite (l’ensemble des galeries ne dépasse pas les 235 mètres), et pourtant, on la surnomme la «cathédrale rupestre» pour la richesse des trésors qui y sont enfouis. Lascaux, l’une des plus importantes grottes ornées du Paléolithique, a ouvert un nouveau chapitre dans notre connaissance de l’art des premiers hommes. Cette «rotonde» ou salle des Taureaux qui ouvre la grotte, témoigne de la maîtrise de l’art naturaliste figuratif et animalier où l’homme et la végétation sont très rarement représentés. Datation : 18 000 ans. Découverte en Dordogne, en 1940. Longueur : 17 mètres.
Au plafond, la structure circulaire des fresques de Lascaux donne une impression de tourbillon et de mouvement continu. Ce n’est pas un hasard si la fresque est surnommée «la rotonde».
Toutes les figures sont réalisées à plus de 2 mètres du sol, entre la corniche naturelle et le plafond, donnant à la salle l’illusion d’une «constellation» d’animaux.
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Pascal Goetcheluck/SPL/Cosmos
La salle des Taureaux doit son nom aux quatre aurochs de 5 mètres de long qui dominent la trentaine d’animaux plus petits : cerfs, chevaux, autres bovins…
L’ART
L’absence de pieds est typique des statuettes anthropomorphes du Paléolithique supérieur européen. Néanmoins, l’absence de bras dégagés et distincts contraste nettement avec la majorité des sculptures de l’époque.
Jean-Gilles Berizzi/RMN-Grand Palais (musée d’Archéologie nationale)
LA VÉNUS «POLICHINELLE»
Les seins bombés et le ventre proéminent de cette Vénus préhistorique lui ont valu le surnom de «Polichinelle», en référence au personnage de la commedia dell’arte. Sculptée dans la stéatite verte, une roche très tendre, il s’agit d’une représentation de la fécondité, thème récurrent dans l’art des chasseurs-cueilleurs. On a ainsi retrouvé des statues similaires dans toute l’Europe : en France, en Italie, mais aussi en Slovaquie ou dans la vallée du Don (Russie). Etonnant, alors que les échanges étaient plutôt rares. Datation : 25 000 ans. Découverte à Grimaldi (Italie), en 1883. Hauteur : 6 centimètres.
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A la place de la tête, l’artiste a taillé un anneau décentré afin que la statuette puisse être portée comme un pendentif.
La Vénus de HoHLe FeLs
Datation : 35 000 ans. Découverte à Schelklingen (Allemagne), en 2008. Hauteur : 6 centimètres.
Le ventre et le pubis sont striés d’incisions horizontales. Des marques que l’on retrouve au dos et qui suggèrent les plis d’une étoffe.
Javier Trueba/SPL/MSF/Biosphoto
C’est l’une des plus ré centes découvertes, et aussi l’une des plus ins tructives : cette figurine féminine en ivoire de mam mouth, l’une des plus vieilles d’Europe, a permis aux chercheurs de dater plus précisément l’apparition de figurines en trois dimen sions, désormais établies au début de l’Aurignacien (période comprise entre 38 000 ans et 29 000 ans avant aujourd’hui). Fesses et poitrine surdimension nées, taille généreuse, vulve ouverte : l’artiste a délibé rément accentué le carac tère sexuel de son œuvre.
L’art
Le personnage le plus imposant semble flotter. A la fin du Néolithique, le Sahara n’était pas encore un désert aride et offrait un climat tempéré. Par ailleurs, les traces d’un immense lac, non loin de la grotte, vers le Soudan, ont été retrouvées en 2017.
La grotte des nageurs
Aux confins de l’Egypte du Sud, à la frontière libyenne, les pictographes d’individus semblant flotter ou nager n’en finissent pas d’intriguer les chercheurs. Etonnant contraste dans cette région désertique, où l’eau est une denrée rare. Filmée en 1997 dans Le Patient anglais, dans lequel Ralph Fiennes jouait l’aventurier hongrois Laszlo Almasy (à l’origine de la découverte), la grotte attire chaque année des milliers de touristes fortunés. Résultat : la préservation de ces peintures délicates est aujourd’hui gravement menacée.
Aldo Pavan/Getty Images
Datation : 10 000 ans. Découverte à Gilf al-Kabir (Egypte), en 1933.
Ces figurations sont uniques dans la préhistoire. Il faudra attendre le IXe siècle avant J.-C. pour retrouver à nouveau l’image d’un nageur, sculptée sur un bas-relief néo-assyrien.
GEO HISTOIRE 89
L’art art On interprète souvent le quadrillage formé d’incisions comme une perruque, mais il pourrait s’agir d’une chevelure tressée.
L’homme-Lion D’hohLenstein
Contemporaine de la grotte de Chauvet, cette statuette témoigne du degré de finesse atteint sous l’Aurignacien (entre 38 000 ans et 29 000 ans avant aujourd’hui). Sculptée en défense de mammouth, cette créature hybride pose la question du rapport des premiers hommes à la nature. Dans un monde où ils étaient vulnérables, nos ancêtres rêvaient-ils d’endosser la peau d’un grand prédateur ? Ou bien cette chimère faisait-elle partie d’un panthéon de divinités ?
Ci-contre : Jean-Gilles Berizzi/RMN-Grand Palais (musée d’Archéologie nationale). A droite : Heritage Images/Getty Images.
Datation : 35 000 ans. Découvert à Hohlenstein-Stadel (Allemagne), en 1939. Hauteur : 31 centimètres.
En 2010, de nouvelles fouilles ont permis de compléter la statuette, désormais constituée de plus de 300 fragments.
La Dame à La capuche
Quelle émotion de contempler la plus ancienne représentation d’un visage de femme ! L’une des plus belles aussi. Les reliefs du front, des sourcils, du menton ont été délicatement gravés avec un simple burin de pierre. La «dame» serait-elle une déesse ? Une figure féminine idéale ? A jamais muette, cette splendeur du Gravettien (entre 29 000 ans et 22 000 ans avant aujourd’hui) ne dit rien, et, en même temps, elle dit tout sur l’intelligence et la délicatesse de «l’homme préhistorique», loin des caricatures de la brute animale. Datation : 27 000 ans. Découverte à Brassempouy (Landes), en 1894. Hauteur : 3,5 centimètres.
90 GEO HISTOIRE
L’anthropomorphisme, très rare dans l’art du Paléolithique, est mis en évidence par la posture droite des jambes et des bras (gravés de sept traits horizontaux).
L E R É G I O N
G U I D E P A R
R É G I O N
1OO joyaux de la France préhistorique Musées, grottes, parcs… GEO Histoire vous entraîne sur les traces de nos lointains ancêtres. Autant d’idées pour transformer une balade touristique en un fabuleux voyage dans le temps.
Franck Charton/hemis.fr
PAR CHRISTÈLE DEDEBANT (TEXTE) ET SOPHIE PAUCHET (CARTES)
Les parois gravées du cairn de Gavrinis, dans le Morbihan : un mystère intact depuis 6 000 ans.
Nouvelle-Aquitaine
P. 92
Pays de la Loire
P. 100
Centre-Val de Loire
P. 94
Normandie
P. 101
Occitanie Grand Est
P. 95
Bretagne Hauts-de-France
P. 102
PACA, Corse Auvergne-Rhône-Alpes
P. 98
Bourgogne-Franche-Comté Ile-de-France, glossaire
P. 105
P. 97 P. 99
P. 104 P. 106
GEO HISTOIRE 91
Nouvelle-Aquitaine
LES EYZIES (DORDOGNE) 1 Musée National de Préhistoire
P
lus de 400 000 ans de présence humaine sont représentés dans ce beau bâtiment d’architecture contemporaine. Surplombant la vallée de la Vézère, la célèbre «capitale de la préhistoire», ce musée national – le seul de ce niveau dans tout l’Hexagone – présente de façon permanente 18 000 objets issus des sites environnants. Il abrite la collection la plus prestigieuse au monde de blocs calcaires gravés ou sculptés, dont une superbe roche ornée d’aurochs datant de 20 000 ans av. J.-C.
Les Eyzies-de-TayacSireuil (24 620), www. musee-prehistoire-eyzies.fr. 2 Grotte des Combarelles
A
quelques centaines de mètres de la grotte de Font-de-Gaume (lire texte suivant), cette galerie étroite et sinueuse s’impose comme une grotte majeure pour la gravure préhistorique. Elle recèle près de 300 figures tracées sur les parois argilo-sableuses, dont un profil de lionne très expressif. Point d’orgue du parcours : un grand renne en train de s’abreuver à même la paroi. Par temps humide, l’illusion d’optique est parfaite ! Les Eyzies-de-TayacSireuil (24 620), www.sitesles-eyzies.fr.
plus beaux. Dans le Cabinet des bisons, les pigments rouges, bruns et noirs figurent avec une étonnante maîtrise les silhouettes des bovidés et leurs pelages. Quant à la galerie principale, qui renferme plusieurs strates de dessins exécutés à des époques différentes du Paléolithique, elle témoigne avec éclat de la pérennité de la présence humaine dans ces lieux. Les Eyzies-de-TayacSireuil (24 620), ww.sites-les-eyzies.fr.
A visiter aussi 4 Musée et Abri Pataud.
Les Eyzies-de-Tayac-Sireuil (24 620), www.mnhn.fr. 5 Abri du Poisson. Les Eyzies-de-Tayac-Sireuil (24 620), www.sites-leseyzies.fr. 6 Abri de Laugerie-Basse. Les Eyzies-de-TayacSireuil (24 620), www.sitesles-eyzies.fr. 7 Abri Cro-Magnon. Les Eyzies-de-TayacSireuil (24 620), www.abri-cromagnon.com.
DeuxSèvres
Vendée
Indre Vienne
Bougon 22 Charente-Maritime
St-Porchaire
20
Charente 21
Montbron
Creuse HauteVienne Corrèze
Prignac-et-Marcamps Bordeaux 17
Dordogne
16
Gironde
3 Grotte de Font-
de-Gaume
D
ans le cercle très fermé des grottes ornées polychromes, ce site des Eyzies figure parmi les
La galerie de l’Imaginaire, au Centre international de Lascaux, fait le lien entre art pariétal et art numérique.
Landes
23 La Chapelle-
aux-Saints
Lot Lot-etGaronne
18
Brassempouy 19
S -Martin-d’Arberoue t
PyrénéesAtlantiques
DORDOGNE (HORS EYZIES) 8 Lascaux, centre international de l’art pariétal
A
près Lascaux I (la célébrissime grotte de la vallée de Vézère découverte en 1940 et fermée en 1963), Lascaux II (le fac-similé partiel de la précédente, inauguré en 1983) et Lascaux III (l’exposition itinérante créée en 2008), voilà le temps de Lascaux IV, un fac-similé intégral de toutes les parties ornées de la grotte, ouvert en 2016, en même temps que le Centre international de Lascaux. Au sein d’un bâtiment ultradesign, les visiteurs sont invités à contempler la réplique intégrale et inédite du site d’origine. Mieux : les outils numériques dernier cri (réalité augmentée, écran de cinéma en 3D, tablettes numériques interactives, etc.) leur permettent de pénétrer de plain-pied dans l’univers culturel et environnemental de la «chapelle Sixtine de l’art pariétal». Un ébouriffant voyage, 20 000 ans en arrière !
Gers 12
Périgueux
Montignac (24 290), www.lascaux.fr.
A89
Rouffignac 10
8 9
Lascaux
11 Tursac St-Cirq 14 1 2 Le Bugue 15 3 4 5 Les Eyzies 6 7 Beynac 13
92 GEO HISTOIRE
où s’entrelacent 65 animaux différents. Le troisième étage vous réserve une rencontre inoubliable : celle du «Grand Etre», l’un des plus beaux profils humains de la préhistoire. Rouffignac-Saint-Germain (24 580), www.grotte derouffignac.fr.
Loïc Mazalrey/Dalam
A visiter aussi
9 Le Parc du ThotEspace Cro-Magnon
E
n complément du Centre international de Lascaux (possibilité de billet jumelé), ce parc situé en pleine campagne permet de découvrir cinq fac-similés des œuvres absentes de Lascaux II (dont la célèbre Nef) et propose de nombreux ateliers participatifs (initiation à l’art pariétal, au tir, à la taille de silex, etc.) pour les petits et pour les grands. Bonus de la visite : les «descendants» des animaux du Paléolithique – bisons d’Europe, chevaux tarpans et même «similiaurochs» – s’ébattent librement sur 5 hectares.
Thonac (24 290), www. lascaux.fr 10 Grotte de Rouffignac
11 Préhisto-Parc. Tursac (24 620), www. prehistoparc.fr. 12 Musée d’art et d’archéologie du Périgord. Périgueux (24 000), www.perigueux-maap.fr 13 Parc archéologique de Beynac. Beynac-etCazenac (24 220), www. sarlat-tourisme.com. 14 Grotte du Sorcier. SaintCirq (24 260), www.grottedusorcier.com. 15 Grotte de Bara Bahau. Le Bugue (24 260), barabahau.free.fr
GIRONDE 16 Grotte de Pairnon-Pair
U
ne flûte en os, une pendeloque en forme de coquillage et des perles en pierre… Quelques-uns des trésors exhumés dans cette grotte de Gironde ont balayé le stéréotype du chasseur-cueilleur en indé-
L
li ag ll. D Co
Prignac-et-Marcamps (33 710), www.pair-non-pair.fr.
A visiter aussi 17 Musée d’Aquitaine.
Bordeaux (33 000), www.musee-aquitainebordeaux.fr.
LANDES 18 Maison de la Dame de
Brassempouy, Archéoparc
L
’un des premiers visages humains sculptés – il y a 25 000 ans – était celui d’une femme. Baptisée
Dans les grottes d’Isturitz, dans les Pyrénées-Atlantiques, les archéologues ont mis à jour des gravures rupestres, dont ce bas-relief orné d’un renne.
«Dame de Brassempouy», du nom de la commune où elle fut découverte, cette statuette en ivoire de mammouth de 3,65 centimètres est désormais conservée au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. Sa réplique est néanmoins visible dans La maison de la Dame de Brassempouy, un espace muséographique consacré aux vestiges du Paléolithique supérieur exhumés dans la grotte du Pape (fermée au public). A proximité, le tout nouvel Archéoparc vous propose, pêle-mêle, de manipuler des silex, de chasser au propulseur et d’enfiler des perles de stéatite.
Brassempouy (40 330), www. prehistoire-brassempouy.fr.
A visiter aussi P-A 19 Grotte d’Isturitz Oxeocelhaya. Saint-Martind’Arberoue (64 640), www.grottes-isturitz.com. C-M 20 Musée de la Préhistoire. Saint-Prochaire (17 250), www.larochecourbon.fr. C 21 Espace d’initiation à la Préhistoire charentaise. Montbron (16 220), www.lacharente.com. D-S 22 Tumulus et musée des Tumulus de Bougon. Bougon (79 800), tumulus-de-bougon.fr. C 23 Musée de l’homme de Neandertal. La Chapelleaux-Saints (19 120), www. neandertal-musee.org. Tous les termes techniques et historiques figurent dans le glossaire page 106.
s ge ma
ri Au ti/ Or
a grotte ornée la plus vaste du monde déploie 10 kilomètres de couloirs répartis sur trois niveaux. Les galeries, parcourues par les Magdaléniens il y a 13 000 ans, étaient alors éclairées à la lampe à graisse. Aujourd’hui, c’est un petit train qui vous conduit de la galerie Breuil, où s’affrontent des hardes de mammouths, au Grand Plafond,
crottable dur à cuire. Si les quelque 15 000 objets découverts font le bonheur des musées, les parois de la cavité arborent un remarquable bestiaire vieux de 30 000 ans. Parmi les bouquetins, chevaux et autres cervidés figure un animal très rarement représenté sur les parois : le mégacéros, un élan de taille gigantesque disparu il y a 10 000 ans.
GEO HISTOIRE 93
1 Mégalithes de Tripleville
L
a petite Bretagne», comme on surnomme ce gentil village du Loiret-Cher, recèle une impressionnante quantité de mégalithes du Néolithique. Parmi les plus importants, citons le dolmen de la Mouïse-Martin, situé entre la Charogne et la ferme de la Mouïse-Martin. Avec sa chambre de 4,50 mètres de long et 2,50 mètres de large, il est le plus haut de la région. A l’entrée du bourg, s’élève le menhir de la Nivardière, façonné dans le calcaire de Beauce. Il fait face au dolmen de la Nivardière, composé d’une chambre rectangulaire recouverte d’une table de couverture ovale. Enfin, à 500 mètres à l’ouest, sur la route de Chèvremont, se dresse le Polissoir du Val d’Avril. Contrairement à ce qu’indique son nom, ce bloc de roche n’était pas destiné à aiguiser les haches : il constitue les restes d’un dolmen. Jusqu’à une époque récente, la rumeur voyait dans ces monuments de pierres des autels destinés aux sacrifices humains.
Collection Dagli Orti/hâteau du Grand-Pressigny/Aurimages
Centre-Val de Loire
LOIR-ET-CHER
âges pour la production de grandes lames de silex pouvant atteindre 40 centimètres. Fait remarquable : au Néolithique moyen, ces couteaux «haut de gamme» étaient exportés en Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas. Sept mille ans avant le Marché commun ! Un espace pédagogique est aussi consacré aux origines de l’homme. Le Grand-Pressigny, 37 350, www.prehistoiregrandpressigny.fr.
Tripleville (41 120).
INDRE-ET-LOIRE
Au musée du Grand-Pressigny (Indre-et-Loire), des maquettes (ici, la reconstitution d’un abri de la fin du Paléolithique) permettent de découvrir la vie quotidienne des premiers hommes.
Eure
Yvelines
Orne Essonne
2 Musée de la Préhistoire
du Grand-Pressigny
I
nstallé dans le château Renaissance d’un petit village de Touraine, ce musée départemental rassemble une magnifique collection d’ossements et d’outillage depuis le Paléolithique moyen jusqu’à l’âge du Bronze. La région du Grand-Pressigny est connue depuis le fond des
SeineetMarne
1
4
Tripleville
Indreet-Loire
Epieds-en-Beauce 5
Tavers
Loiret
Le Grand-Pressigny 3
Cher 2 Indre
Vienne Allier
94 GEO HISTOIRE
tabli sur le chantier de fouilles du Petit Paulmy, où fut mise au jour une vaste aire de taille du silex, le bâtiment de verre et de métal conçu par l’architecte Jean-Yves Barnier, donne à voir le site d’une habitation-atelier datée du Néolithique final. Ce formidable outil de vulgarisation archéologique s’offre comme un excellent complément de visite du musée de la Préhistoire du Grand-Pressigny, situé à 7 kilomètres au sud-est.
Abilly (37 160), www.abilly37. fr/musee-archeolabarticle-3-3.html.
L 4 Dolmen de Coulmiers. Epieds-en-Beauce (45 130), au lieu-dit Pièces des Pierres-Fenats. 5 Dolmen de la pierre tournante. Tavers (45 190), à 3 kilomètres au nord-ouest de la commune, à proximité du hameau appelé Le Vau.
Loir-et-Cher
Abilly
E
A visiter aussi
Eure-et-Loir Sarthe
3 Archéolab d’Abilly
Occitanie
LOT musée Amédée Lemozi
C
Cabrerets, 46 330, www. pechmerle.com. Patrick Cabrol/Centre de Préhistore du Pech-Merle/AKG-images
Lot Lot-et1 Cabrerets Garonne Aveyron Tarn-etGaronne
1 Grotte du Pech Merle et
hapelle des mammouths, femmes-bisons, chevaux auréolés de points… les trésors figuratifs de cette grotte nichée dans l’âpre Causse de Gramat comptent parmi les plus remarquables de la région. Ce sont, au total, pas moins de 700 motifs peints ou gravés qui décorent les parois de cette exceptionnelle caverne. Grand moment d’émotion : dans la salle des Disques, une douzaine d’empreintes de pas de nos ancêtres de la fin du Paléolithique apparaissent sur le sol. A côté de la grotte, le musée de Préhistoire régionale Amédée Lemozi présente les principales étapes de l’occupation humaine dans le Quercy depuis plus de 350 000 ans.
Cantal 3 Rocamadour
Payrignac 2
Tarn
Gers HauteGaronne
Aventignan
HautesPyrénées
9
Ardèche Lozère Gard
10 Viols-en-Laval Hérault
Le Mas-d’Azil
4 Aude Ariège 7 Tarascon-sur-Ariège Alliat 6 Tautavel 8 5 Pyrénées-Orientales
E S PA G N E
Niaux
2 Grottes de Cougnac
D
eux grottes distantes de 200 mètres composent ce site découvert au seuil des années 1950. La première livre des ossements d’ours et de félins des cavernes, la seconde révèle un ensemble de figurations animales et anthropomorphiques tracées il y a environ 25 000 ans, dont deux hommes «blessés». Fait remarquable : plus de 300 «signes» entourent
Dans la grotte du Pech Merl (Lot), ces deux chevaux restent des énigmes pour les spécialistes. Ils se demandent quelle est la signification des points noirs et ocre qui les couvrent et les entourent.
les représentations animales. Que traduit cet assemblage complexe de points et de traits ? Un début de communication ? Une forme de signature ? Un souci d’ornementation ? Toutes les hypothèses sont ouvertes. Payrignac (46 300), www. grottesdecougnac.com. 3 Grotte des Merveilles
B
aptisée de la sorte en raison des abondantes concrétions ocre et blanches qui le tapissent, la cavité donne à voir un bestiaire varié (chevaux, cervidés, félins) ainsi que six mains négatives. Ici, les artistes de la fin du Paléolithique ont eu recours à la technique du «soufflage» : le pigment mis en bouche était directement «craché» à même la roche ou projeté à l’aide d’une paille ou d’un os creux.
Rocamadour (46 500), www. grottedesmerveilles.com.
1 Maison de l’archéologie des Vosges du Nord
S
ur les hauteurs de Niederbronn-les-Bains, l’Expéridrome propose d’appréhender la vie des hommes du Néolithique à travers diverses activités : visite d’une maison en bois et en torchis construite selon des techniques vieilles de 7 000 ans, fabrication de terres cuites et entretien du potager préhistorique. Pour parachever cette séance d’archéologie pratique, un sentier d’interprétation «paléoenvironnemental» permet de découvrir les impacts laissés par les hommes sur le paysage. Niederbronn-les-Bains (67 110), www.niederbronnles-bains.fr.
2 Musée archéologique de Strasbourg
C
’est en Alsace que les outils les plus anciens de la région ont été découverts. Richement doté, ce musée archéologique abrite les vestiges du Paléolithique supérieur (hachoirs, grattoirs, etc.) issus du site d’Achenheim, qui a attiré l’attention des chercheurs, en juillet 2016, après la mise au jour de crânes fracassés, de membres arrachés, témoignant d’un massacre vieux de 6 000 ans. La section consacrée au Néolithique s’enorgueillit de plusieurs pièces saisissantes, tel que le vase en forme d’oiseau de Dachstein et la figurine assise de Rosheim. Autre point fort : un crâne humain à double trépanation daté du Néolithique moyen. Croyez-le ou non, le patient aurait survécu à l’opération ! Strasbourg (67 000), www. musees.strasbourg.eu.
Philippe Lemoine/Coll. MDT52
Grand Est
BAS-RHIN
Ce dolmen, composé de deux piliers parallèles sur lesquels reposent une imposante dalle horizontale, marque l’entrée de la nécropole du Fort Bevaux, en Haute-Marne.
A visiter aussi 3 Musée historique de Haguenau. Haguenau (67 500), www.ville-haguenau.fr.
HAUTE-MARNE 4 Nécropole du Fort Bevaux
D
epuis l’abbaye de SeptFontaines, fondée au XII siècle, le pittoresque «chemin de la pierre qui tourne» vous conduit à une nécro-
ALLEMAGNE Ardennes
Aisne
Bliesbruck 5 Marne
Aube
Yonne
Meuse
AndelotBlancheville 4 HauteMarne Côte-d’Or
Moselle
Niederbronnles-Bains 1
Haguenau 3 Meurtheet-Moselle Strasbourg 2 Bas-Rhin Vosges 6 Darney Haut-Rhin HauteSaône
pole aux proportions remarquables : 1 500 mètres de long sur 400 mètres de large. L’entrée du site est marquée par un dolmen arborant deux piliers parallèles et une dalle horizontale pesant plus de 2 tonnes. Sous l’ombre séculaire des charmes et des hêtres de la forêt de Heu, une centaine de tumuli s’offrent progressivement au regard. Depuis près de 6 000 ans, ces sépultures de la fin du Néolithique résistent vaillamment au pillage et à l’érosion. Andelot-Blancheville (52 700), www.tourismehautemarne.com.
A visiter aussi M 5 Parc archéologique européen de Bliesbruck Reinheim. Bliesbruck (57 200), www.archeo57.com. V 6 Centre d’animation de la préhistoire. Darney (88 260), www.centre prehistoiredarney.fr.
GEO HISTOIRE 97
Ardèche
Patrimonio 9 Piève
10
HauteCorse
Tavera 8 Corse-du-Sud
Sollacaro Sartène
ALPES-DEHAUTE-PROVENCE 1 Musée de Préhistoire des gorges du Verdon, village préhistorique et grotte de la Baume Bonne
C
e coquillage de béton, de verre et d’acier imaginé en 1997 par l’architecte star Norman Foster, renferme des milliers d’objets archéologiques (bifaces, parures…) glanés depuis plus d’un demisiècle dans la région du Verdon. A 10 minutes du musée, le village préhistorique de Quinson présente plusieurs types d’habitats, de la hutte au dolmen, et propose diverses animations adaptées aux plus petits. Enfin, pour les courageux, à 1 h 15 de marche dans la garrigue, la grotte de la Baume Bonne livre plusieurs témoignages d’occupation humaine dans ce lieu. Quinson, 04 500, www. museeprehistoire.com.
ALPES-MARITIMES 2 Musée de paléontologie humaine Terra Amata
S
itué à l’endroit où a été découvert le campement humain le plus ancien
7
conserve tout son mystère. Comptez huit heures pour une randonnée complète. Visite guidée conseillée.
Isère Ardèche
Drôme
4
Rousson
Vaucluse
Gard
Hautes-Alpes
I TA L I E Alpes de Haute-Provence 1
Bouchesdu-Rhône
Les gravures affleurant la roche dans la Vallée des Merveilles (Alpes-Maritimes) représentent des bovins, des armes, des figures anthropomorphes et géométriques, sans doute à caractère religieux. J.-C. Gérard/Photononstop
PACA - Corse
6
Quinson
3 Alpes- Tende Maritimes
Monaco Nice 5 2
Var
de France, ce musée tout juste rénové vous ramène 400 000 ans en arrière, à l’heure où les hominidés parcouraient les rivages de la future ville de Nice. Outils, foyers, os des animaux chassés, tous les objets exposés permettent de se familiariser avec la vie quotidienne des habitants préhistoriques de la région. Egalement au programme : la reconstitution du site archéologique d’origine, la «recréation» d’habitats préhistoriques et la présentation des différents vestiges, dont une émouvante dent de lait d’un petit Homo erectus âgé de 7 ans ! Nice (06 000), www.nice.fr/fr/culture. 3 Vallée des Merveilles
P
rêts pour une échappée belle? Dans le superbe paysage minéral du Mercantour, sculpté par la fonte des glaciers, la Vallée des Merveilles livre plus de 30 000 pétroglyphes (dessins symboliques gravés sur de la pierre), à 2 500 mètres d’altitude. Que signifient ces milliers d’armes blanches, de bêtes à cornes ou de visages humains ? Un culte de l’eau et de la terre ? Une célébration du cosmos ? Le plus grand site de gravures rupestres d’Europe
Tende (06 430), www. tendemerveilles.com. A voir aussi, dans le village, le musée départemental des Merveilles, www. museedesmerveilles.com.
A visiter aussi
G 4 Prehistorama. Rousson (30 340), www.prehistorama.com. M 5 Musée d’anthropologie préhistorique de Monaco. Monaco (98 000), www.map-mc.org.
CORSE 6 Site de Filitosa
D
e tous les sites préhistoriques de l’île de Beauté, celui de Filitosa, en Corse du Sud, est le plus spectaculaire. Ses imposantes statuesmenhirs aux allures anthropomorphiques, datées du II millénaire avant J.-C. composent un fascinant musée à ciel ouvert. Le site serait un centre de convergence des cultures préhistoriques méditerranéennes. Aussi solennel que mystérieux. Sollacaro (20 140), www.filitosa.fr.
A visiter aussi 7 Musée départemental de
Préhistoire et d’Archéologie. Sartène (20 100), www. cg-corsedusud.fr. 8 Statue-menhir de Tavera. Tavera (20 163), la-corse-autrement.fr. 9 Statue-menhir de U Nativu. Patrimonio (20 253), www.nativu.org. 10 Statues-menhirs de Piève. Piève (20 258), place de l’Eglise.
1 La grotte Chauvet
L
a plus ancienne galerie d’art du monde» compte un millier de peintures et de gravures dues au génie magdalénien. Baptisée du nom du spéléologue qui l’a découverte en 1994, cette extraordinaire cavité vieille de 36 000 ans n’a jamais été ouverte au public. Mais depuis 2015, son «double», la caverne du Pont d’Arc, propose, au milieu des stalagmites et stalactites, une immersion totale dans un univers sonore, olfactif et pictural reconstitué. A proximité de la caverne, la galerie de l’Aurignacien, permet de pénétrer les secrets de l’art pariétal à travers 650 m² d’exposition permanente.
Vallon-Pont-d’Arc (07 150), www.cavernedupontdarc.fr.
A visiter aussi 2 Grotte et cité de
la Préhistoire de l’Aven d’Orgnac. Orgnac-l’Aven (07 150), www.orgnac.com. 3 Grotte et musée de Soyons. Soyons (07 130), www.ardeche-guide.com.
Pierre Witt/hemis.fr
Auvergne - Rhône-Alpes
ARDÈCHE
1970, le musée rend compte de la vie quotidienne des tout premiers agriculteurs, éleveurs et artisans du lac.
Paradis pour les pêcheurs, les rives du lac Paladru (Isère) ont hébergé un village néolithique, dit «des Baigneurs», mis au jour par les archéologues dans les années 1970.
Charavines (38 850), www. museelacdepaladru.fr.
DRÔME 5 Musée de la Préhistoire du Vercors
E
xplorez, observez et manipulez» : les trois maîtres mots de ce musée,
ISÈRE 4 Musée archéologique du lac de Paladru
D
epuis des temps immémoriaux, les pêcheurs de ce beau lac des Préalpes déchiraient leurs filets sur de grands pieux engloutis. La croyance populaire affirmait qu’une cité gisait sous les eaux. Elle n’avait pas tort : il y a près de 5 000 ans, un village entouré d’une palissade prospérait à cet endroit. Etabli sur le site historique, mis en valeur au cours des années
Saône-etLoire
Allier
Ain
8 Gannat Loire
Puyde-Dôme 7 Cantal
Rhône
Charavines H te-Loire
Chilhac Lozère
Aveyron
Labalme
Jura
6
4 Isère
H te-Savoie
Savoie
3 Soyons 5 Vassieux-en-Vercors Ardèche H tes-Alpes Drôme 1
Vallon-Pont-d’Arc
2
Orgnac-l’Aven
fondé sur un atelier de taille de silex vieux de 4 500 ans, sont amplement respectés. Tout au long du parcours intitulé «La conquête du Vercors par l’homme», le visiteur manie des outils préhistoriques pour s’initier à la confection de lames ou à l’allumage du feu.
Vassieux-en-Vercors (26 420), www.prehistoire-vercors.fr.
A visiter aussi A 6 Grottes et parc de loisirs préhistoriques du Cerdon. Labalme (01 450), www.grotte-cerdon.com. H-L 7 Musée de Paléontologie Christian-Guth de Chilhac. Chilhac (43 380), www. museechilhac.com. A 8 Paléopolis, la colline aux dinosaures. Gannat (03 800), www.paleopolis-parc.com.
GEO HISTOIRE 99
1 Grottes de Saulges et musée de Préhistoire
MAINE-ET-LOIRE 2 Dolmen de la Bajoulière
S
oixante-dix tonnes, 7 mètres de long et 90 centimètres d’épaisseur : le dolmen de la Bajoulière, remarquable par son volume et son portique d’entrée, trône sur la rive gauche de la Loire, entre Angers et Saumur, depuis le IV millénaire avant J.-C. Effet du grand «recyclage» de l’histoire : cette chambre funéraire du Néolithique
Mayenne
Ille-etVilaine
P
armi les différentes cavités creusées dans le massif de Saulges, seules la grotte Margot et la grotte Rochefort sont accessibles au public. La première, sorte de couloir long de 319 mètres, abrite des fresques exécutées il y a plus de 20 000 ans par les représentants de Cro-Magnon. On remarquera deux gravures d’oiseaux – une corneille et un cygne –, très rarement représentés par nos ancêtres chasseurs. Le tout nouveau Musée de Préhistoire, établi à proximité, permet, entre autres, d’effectuer une visite virtuelle de la célèbre grotte de Mayenne-Sciences fermée au public. A 3,5 kilomètres à l’ouest, la grotte Rochefort, située à SaintPierre-sur-Erve, abrite un authentique chantier archéologique permettant d’appréhender la vie quotidienne des hommes de la fin du Paléolithique.
Thorigné-en-Charnie (53 270), www.grottesmusee-de-saulges.com.
100 GEO HISTOIRE
Côtesd’Armor
Thorigné-en-Charnie
Morbihan
1
Sarthe
3
Saumur-Bagneux
LoireAtlantique
2
St-Rémy-la-Varenne
Maine-et-Loire
St-Hilaire-la-Forêt
4
Peu connu, le dolmen de Bagneux, colosse de grès datant du Néolithique, impressionne par sa taille et la régularité de son architecture.
Indre-etLoire
DeuxSèvres
Vendée
Collection Dagli Orti/Aurimages
Pays de la Loire
MAYENNE
5
Nieul-sur-l’Autise
Vienne
a également servi d’habitation aux peuples gallo-romains et aux paysans du Moyen Age.
Saint-Rémy-la-Varenne (42 950), lieu-dit Fontaine, accès libre et fléché. 3 Dolmen de Bagneux
F
ormé d’une chambre quadrangulaire dotée de quinze grandes dalles, ce
mastodonte en grès de 85 m² est l’un des mégalithes les plus imposants de France. Dès 1853, Prosper Mérimée, alors chargé du recensement des ensembles architecturaux, l’a classé comme monument historique. Sur le site, différents panneaux explicatifs et vitrines d’outils préhistoriques permettent d’appréhender de plus près ce joyau de l’architecture néolithique. Visite commentée sur demande. Saumur-Bagneux (49 400), www.ledolmen debagneux.com.
A visiter aussi V 4 Cairn, Préhisto’site. SaintHilaire-la-Forêt (85440), www.cairn-prehistoire.com. 5 Camp de ChampDurand. Nieul-surl’Autise (85 240), www. nieul-sur-lautise.fr.
Francis Cormon/Hemis.fr
Normandie
CALVADOS 1 Dolmen de la Pierre Tourneresse
I
mplanté entre le village de Cairon et de Cairon-leVieux, le mégalithe fut mis à jour en 1999. Il comporte un cairn de 25 mètres de diamètre abritant deux chambres sépulcrales. La première, accessible par un couloir de 10 mètres de long, a révélé les ossements d’au moins huit individus. Le second caveau, ouvert dans l’axe du premier, est de taille plus modeste. Il recelait le corps d’un enfant de 4 ans portant un petit pendentif. La date estimée du monument funéraire est d’environ 6 000 ans.
ORNE
Le complexe funéraire de la Pierre Tourneresse aurait été construit vers la fin de la période préhistorique, au moment où les chasseurscueilleurs se sédantarisaient pour devenir agriculteurs.
5 Le musée de la Préhistoire dans l’Orne
A
u cœur du parc naturel régional, l’unique musée de la Préhistoire de Normandie est entièrement animé par une équipe de bénévoles. Sa nouvelle muséographie (il a rouvert ses portes en 2015 après cinq années de travaux) met en lumière la vie des hommes de Neandertal qui évoluaient dans la région entre 300 000 et 40 000 ans avant notre époque. Au programme : moulages de crânes (de l’australopithèque à Homo sapiens), présentation de l’outillage lithique et évocation des
Cairon (14 610), renseignements à la mairie.
A visiter aussi 2 Musée de Normandie.
Caen (14 000), www. museedenormandie.fr. 3 Menhir de la Demoiselle. Bény-sur-Mer (14 440), dans le hameau de Bracqueville. 4 Menhirs des Grosses Devises. Dans un champ, à la limite communale entre Thaon et Colombysur-Thaon (14 610).
Seine-Maritime
Bény-sur-Mer 3 4 Thaon
Cairon 1 Manche
Calvados
Caen 2 Rânes
Illeet-Vilaine
Mayenne
Dampsmenil
6
Eure
5
Orne Eureet-Loir
mégalithes de l’Orne. En bonus pour les apprentis archéologues : une salle pour s’initier aux fouilles. Rânes (61 150), www. ornetourisme.com.
EURE
6 L’Allée couverte de Dampsmenil
A
u sommet d’une petite colline surplombant la vallée de l’Epte, une double rangée de rochers semble toute désignée pour les joies du pique-nique. Mais ne vous y trompez pas, ces blocs moussus ne sont autres que des dolmens érigés par les premières populations d’agriculteurs, entre 2 500 et 2 000 ans avant J.-C. Sur la pierre verticale à l’entrée de la chambre funéraire, qui abrita jadis des ossements humains, remarquez la gravure composée de trois ovales concentriques surmontant ce qui ressemble à deux seins. Déesse maternelle ou divinité funéraire ? Le mystère reste entier.
Dampsmenil (27630), dans le hameau Aveny, parcours fléché jusqu’au lieudit le «Bois de cocagne».
GEO HISTOIRE 101
1 Dolmen de la Roche-aux-fées
Essé (35 150), www. esse-larocheauxfees.fr.
A visiter aussi 2 Site mégalithique de
Saint-Just. Saint-Just (35 550), Landes de Cojoux.
FINISTÈRE 3 Cairn de Barnenez
L
e plus vieux mausolée mégalithique d’Europe continentale est aussi le plus grand : seul le tumulus irlandais de Newgrange le dépasse en taille. Le «Parthénon des Bretons», comme l’appelait André Malraux, déploie ses 75 mètres de pierres sèches sur une falaise surplombant la mer. Il comprend en réalité deux cairns juxtaposés. Le premier, de teinte sombre, est daté de 6 500 ans avant J.-C. Il renferme cinq dolmens à couloir. Le second, édifié 500 ans plus tard, en abrite
102 GEO HISTOIRE
5 Pleumeur-Bodou Finistère
L
es fées, qui auraient, dit-on, érigé ce dolmen, se sont longtemps amusées à en modifier l’agencement. Désormais, ce mégalithe long de 19,5 mètres affiche une remarquable stabilité : 41 pierres – 9 horizontales et 32 verticales – dont certaines atteignent les 40 tonnes. Le tour du propriétaire s’effectue rapidement : après le portique d’entrée, on pénètre dans la pièce principale, elle-même subdivisée en quatre compartiments. C’est au solstice d’hiver, le 21 décembre, lorsque le premier rayon de soleil se lève dans l’axe de l’entrée, que ce sanctuaire, vieux de 5 000 ans, révèle toute sa splendeur.
Manche
6 St-Quay-Perros
Plouezoc’h 3
Côtes d’Armor
Morbihan
4
Larmor-Baden
Penmarch
Carnac 7 Locmariaquer 8
9
10 Arzon
Illeet-Vilaine 2
Essé
1
St-Just LoireAtlantique
six autres. L’impressionnant mobilier funéraire – silex, tessons de poteries et haches polies – qui y fut découvert est désormais exposé au musée de la Préhistoire finistérienne (voir ci-dessous).
Plouezoc’h (29 252), lieu-dit Barnenez, www.barnenez.fr. 4 Musée de la Préhistoire
finistérienne et menhir de Kerscaven
Le menhir de Saint-Uzech pèse 80 tonnes et mesure 6 mètres de hauteur pour une largeur de 2,6 mètres. Sculpté de figures chrétiennes au XVIIe siècle, il fut aussi peint à cette époque. Hartmut Krintitz/Hemis.fr
Bretagne
ILE-ET-VILAINE
A
u cœur de la baie d’Audierne, en pays bigouden, ce vénérable musée en forme de cabinet de curiosités présente 3 000 pièces découvertes dans les principaux sites archéologiques de Bretagne. Mention spéciale pour l’ensemble de l’outillage lithique issu du cairn de
Barnenez (évoqué précédemment). A 2 kilomètres du musée, au croisement de la D 785 et D 53, le menhir de Kerscaven, qui dresse ses 6 mètres de granit dans un champ cultivé, est l’un des plus impressionnants du Finistère Sud. Penmarch (29 760), www.penmarch.fr.
CÔTES-D’ARMOR 5 Menhir christianisé de Saint-Uzec
N
e passez pas à côté de cette curiosité : la splendide dalle de granit du Néolithique érigée à SaintUzec s’est trouvée affublée d’une croix et de symboles de la «vraie foi» (instruments de la Passion du Christ, etc). Après avoir longuement combattu les cultes «païens» associés aux mégalithes, l’Eglise, de guerre lasse, s’est appliqué à les «christianiser» au XVII siècle.
Pleumeur-Bodou (22 560), en direction de l’Ile-Grande, www.pleumeur-bodou.com.
A visiter aussi 6 Allée couverte de Crec’h-Quillé. Saint-QuayPerros (22 700), à 3 kilomètres au nord de Lannion.
MORBIHAN 7 Maison des Mégalithes et musée de la Préhistoire de Carnac
P
rêts pour une partie de cache-cache préhistorique ? A Carnac, 2 800 pierres dressées – menhirs, dolmens et allées couvertes – s’étendent sur plus de 4 kilomètres. Erigés au Néolithique par des communautés sédentarisées, ces alignements sont parmi les plus spectacu-
Stéphane Lemaire/Hemis.fr
laires du monde. Pour suivre le mouvement solaire qui aurait présidé à leur édification, effectuez préférablement la visite du nord-est au sud-est (de Kerlescan au Ménec). Pour mieux comprendre les différentes hypothèses sur l’origine de cette «armée de pierres», rendez-vous au musée de la Préhistoire situé au cœur de la ville. Carnac (56 340), www. menhirs-carnac.fr et www. museedecarnac.com. 8 Site des mégalithes de Locmariaquer
O
n a longtemps cru que ce colosse de 20 mètres de long et de 7 000 ans d’âge avait été abattu pour détrôner une idole. La réalité est bien plus terre à terre : ce sont les secousses sismiques qui ont eu raison
Construit bien avant Stonehenge ou les pyramides d’Egypte, le cairn de Gavrinis est une architecture funéraire de pierre sèche.
près la plage de la Falaise, le dolmen des PierresPlates, datant du Néolithique moyen, est l’un des monuments bretons les plus célèbres : treize de ses piliers arborent de remarquables décorations.
Locmariaquer (56 740), www.site-megalithiquelocmariaquer.fr.
du menhir de Locmariaquer. Il gît désormais en quatre morceaux sur le plancher des vaches. Juste à côté, le dolmen de la Table des marchands constituait le tombeau collectif d’un village d’agriculteurs au IV millénaire avant notre ère. Non loin, le cairn d’Er Grah, immense trapèze de pierres de 140 mètres de long, abritait les sépultures d’honorables défunts il y a plus de 6 000 ans. Enfin,
9 Le cairn de l’île de Gavrinis
D
ix mille tonnes de matériaux ! C’est ce qu’il a fallu aux bâtisseurs du Néolithique pour édifier ce cairn monumental de 6 mètres de haut et 50 mètres de diamètre. En son sein s’ouvre un dolmen à couloir de 14 mètres de long débouchant sur une chambre funéraire carrée de 2,50 mètres de côté. Le tombeau, sans doute réservé à d’éminents
personnages, présente une ornementation fascinante réalisée au percuteur en quartz : écussons, lames, serpents et signes mystérieux. Cet exploit architectural réalisé il y a 6 000 ans donne un sacré «coup de jeune» aux structures de Stonehenge (entre 2 800 et 1 100 ans avant J.-C.) et à la pyramide de Khéops (2 500 ans avant J.-C.). Une première en France : les archéologues ont numérisé toutes les gravures au laser, en 2013, dans l’espoir de découvrir leur signification, encore mystérieuse. Larmor-Baden (56 870), www.morbihan.fr.
A visiter aussi 10 Dolmen du Petit-
Mont. Arzon (56 640), www.morbihan.fr.
GEO HISTOIRE 103
Hauts-de-France
Nord
BELGIQUE
SOMME
Pas-de-Calais
1 Samara
U
ne vaste mise en scène : c’est ce qui caractérise ce parc de loisirs de la Préhistoire établi au pied d’un oppidum (camp fortifié gaulois) datant de la conquête romaine. Dans cette formidable «vitrine vivante» de 30 hectares, 600 000 ans d’histoire de la Somme sont évoqués. Vous y serez initiés à la poterie du Néolithique, à la vanne-
Villeneuve-d’Ascq
7
Mont-St-Eloi
8
5 Douai
Abbeville 2
6 Féchain
La Chaussée- 1 Tirancourt SeineMaritime
Amiens
Somme
3 4
Aisne Oise Eure Val d’Oise Seine-etMarne
Yvelines
Marne
rie du Mésolithique ou au tissage de l’âge du Bronze. Mention spéciale pour les différents habitats reconstitués – de la tente du Paléolithique, faite de branchages et de peaux, à la ferme gauloise en bois et paille – entièrement réalisées par des scientifiques.
Ce silex biface acheuléen (nommé d’après le lieu de découverte de l’outil, la commune de Saint-Acheul), datant d’environ 300 000 ans, est conservé au musée de Picardie, à Amiens.
La Chaussée-Tirancourt (80 310), www.samara.fr.
A visiter aussi 2 Musée Boucher-
de-Perthes. Abbeville (80 100), www.abbeville.fr. 3 Musée de Picardie. Amiens (80 000), www.amiens.fr. 4 Jardin archéologique de Saint-Acheul. Amiens (80 000), www.amiens.fr.
NORD 5 Arkéos, muséeparc archéologique
Guillemot/CDA/AKG Images
S
104 GEO HISTOIRE
i ce tout nouveau musée situé au bord de la Scarpe n’est pas entièrement dédié à la Préhistoire, il s’y intéresse de très près à travers deux séquences chronologiques particulièrement fournies. La section Paléolithique met en lumière les découvertes du site archéologique voisin de
Biache-Saint-Vaast (fermé au public) à travers une collection de silex taillés, de morceaux de crânes de pré-Sapiens et de moulages d’empreintes de pieds vieilles de 180 000 ans. La section du Néolithique, très bien dotée, présente, entre autres, des armatures tranchantes et perçantes, une meule à grains et une sépulture individuelle. Nombreux ateliers pour enfants. Douai (59 500), www.arkeos.fr. 6 Polissoir de Féchain
N
on loin de la petite église de Saint-Vaast, un sanctuaire récent de style nonroman, se dresse un polissoir en grès de 1 mètre de haut et d’environ 7 tonnes. Ce mégalithe découvert à l’occasion de travaux communaux était utilisé par nos ancêtres du Néolithique pour le polissage des haches en silex. Remarquez les multiples cuvettes et rainures qui marquent sa face supérieure : les premières ont été formées par les flancs des haches, les secondes ont été façonnées par leur tranchant.
Féchain (59 224), 23, rue Louis-Chantreau. 7 Parc Aspanio
S
ix hectares au cœur d’une réserve naturelle retracent l’évolution de l’habitat dans le nord de la France, du Néolithique à la fin du Moyen Age. Une reconstitution archéologique à la fois pédagogique et ludique. Villeneuve d’Ascq (59 650), www.villeneuvedascq.fr/asnapio.
A visiter aussi P--C 8 Menhirs Les Pierres jumelles. MontSaint-Eloi (62 144), www.monumentum.fr.
Bourgogne-Franche-Comté
FranckGuiziou/Hemis.fr
SAÔNE-ET-LOIRE 1 Musée départemental de Préhistoire de Solutré
C
reusé à même la roche, sur le lieu d’un site de chasse fréquenté pendant plus de 50 000 ans, ce musée au design élégant héberge, entre autres richesses, les redoutables pointes à cran et les silex en «feuilles de lauriers» (taillés sur les deux faces) utilisés par les chasseurs du Paléolithique. Au pied de l’escarpement rocheux, plusieurs dizaines de milliers de chevaux avaient été abattus pour y être dépecés… Solutré-Pouilly (71 960), www.solutre.fr.
YONNE 2 La grande grotte
Arcy-sur-Cure (89 270), www.grottes-arcy.net.
A visiter aussi 3 Musée de Sens. Sens
(89 100), www.ville-sens.fr.
3
Aube
Sens
a plus ancienne grotte ornée du monde après Chauvet se développe sur plus de 1 000 mètres. Elle fut décorée il y a environ 30 000 ans. Si la figure du mammouth domine large-
HauteSaône
Arcy-sur-Cure 2
Nièvre
6
Doubs Jura 5
Saôneet-Loire Allier
Solutré-Pouilly
4
Ain
SUISSE
Clairvaux-les-Lacs
Lons-le-Saunier
1
4 Musée archéologique du Jura
I
l y a six millénaires, les rives des lacs jurassiens de Chalain et de Clairvaux-les-Lacs étaient hérissées de maisons sur pilotis. Les vestiges, exceptionnellement bien conservés grâce au milieu aquatique anaérobie (dépourvu d’oxygène), sont regroupés au musée archéologique de Lonsle-Saunier. Parmi les pièces remarquables figurent des fragments de textile ainsi qu’une magnifique pirogue creusée dans un tronc d’arbre.
A visiter aussi
Vitteaux Côte-d’Or
JURA
Lons-le-Saunier (39 000), www.musees-franchecomte.com.
Vosges
HauteMarne
Yonne
d’Arcy-sur-Cure
L
ment le bestiaire composé à l’ocre rouge, d’autres animaux sont repérables sur les parois de la salle des Vagues, tels ces quatre poissons d’eau douce appartenant à la famille des saumons et des brochets. La Cure, au bord de laquelle la caverne est située, devait manifestement servir de vivier à nos lointains ancêtres.
Ce squelette de cheval réalisé à partir des ossements retrouvés sur le site, est une des pièces majeures exposées au musée de Solutré. Le cheval a été l’animal le plus chassé dans la région au cours de la préhistoire.
5 Exposition permanente
à Clairvaux-les-Lacs. Clairvaux-les-Lacs (39 130), www.juralacs.com. C ’ 6 Camp de Myard. Vitteaux (24 350), www.bourgognetourisme.com.
GEO HISTOIRE 105
Oise
Eure
St-Martin-du-Tertre
2 Val d’Oise
St-Germain-en-Laye
3
5
Aisne
mégalithe de la région parisienne. Au XVIII siècle, cette chambre mortuaire préhistorique avait abrité les chiens de chasse du prince de Conti. Fort heureusement, la meute n’a pas détérioré le bas-relief du pilier gauche composé d’un U en double trait figurant la déesse des morts.
Paris
Yvelines
Etiolles 4
Seine-et-Marne
Essonne Eure-et-Loir 1
Nemours
Yonne
Saint-Martin-du-Tertre (95 270), à l’ouest du bourg.
SEINE-ET-MARNE 1 Musée de Préhistoire d’Ile-de-France
YVELINES
A
quoi ressemblait la flore de la préhistoire ? Ce musée francilien situé à la lisière de la forêt de Fontainebleau, vous en donnera une idée précise : il déploie quatre jardins illustrant les différentes phases climatiques de l’ère Quaternaire. Deux circuits sont aussi proposés : l’un, chronologique, axé sur la préhistoire régionale, l’autre destiné à approfondir les acquis.
3 Musée d’archéologie nationale de SaintGermain-en Laye
L
’ancienne résidence des rois de France héberge de remarquables collections archéologiques. Des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique, on pourra observer des outils de pierre taillée, des reliefs de repas et des pigments colorants. Des populations sédentaires du Néolithique, on pourra admirer des sépultures, des céramiques et des parures. Le musée présente aussi une vision globale des hominidés de France.
Nemours (77 140), www. musee-prehistoire-idf.fr.
VAL D’OISE 2 La Pierre Turquaise
C
’est dans une clairière de la forêt de Carnelle que se dresse le plus grand
Saint-Germain-en Laye (78 100), museearchéologienationale.fr.
A visiter aussi E 4 Centre d’exposition archéologique. Etiolles (91 450), www.etiolles.fr. P 5 Musée de l’homme. Paris (75 116), www.museedelhomme.fr . Xavier Testelin/Divergence
Ile-de-France
Loiret
Reconstitution d’un homme de Neanderthal, réalisé par la paléoplasticienne Elisabeth Daynès.
GLOSSAIRE A : début de la protohistoire et de l’industrie métallurgique (2500-1800 av. J.-C. en Europe occidentale). A : période médiane de la protohistoire (1800-800 av. J.-C.). A : fin de la protohistoire (800-25 av. J.-C.). A : sépulture mégalithique comportant plusieurs dalles de couverture. A : période succédant au Magdalénien, entre 12 000 et 10 000 ans avant aujourd’hui. C : monticule en pierres couvrant une ou plusieurs tombes. D : chambre funéraire composée de dalles verticales supportant une dalle de couverture. L : relatif à la pierre. M : dernière phase du Paléolithique supérieur, entre 16 000 et 12 000 ans avant aujourd’hui. M : empreinte obtenue en appliquant des pigments autour d’une main sur une paroi. M : empreinte de la main produite par la main préalablement enduite de pigments. M : monument en pierre de grandes dimensions. M : stèle ou pierre dressée. N : «l’âge de la pierre nouvelle», marquée par la sédentarisation de l’homme, entre 8 000 et 4 500 ans avant aujourd’hui, en Europe. M : entre 12 000 et 8 000 ans avant aujourd’hui, période charnière entre le Paléolithique et le Néolithique, qui s’achève avec la naissance de l’économie agro-pastorale. P : «l’âge de la pierre ancienne», première période de la préhistoire, caractérisée par les populations nomades de chasseurs-cueilleurs, entre 1 ,2 million d’années et 12 000 ans avant aujourd’hui, en Europe. P : outil en pierre utilisé pour graver. P : arme de jet permettant de lancer des sagaies. T ( ) : tertre artificiel en terre recouvrant une sépulture.
NOUVEAU
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ÉDITION LIMITÉE
, UNE IRRÉSISTIBLE ENVIE DE CONNAÎTRE LE MONDE
Lascaux
De l’ombre à la réalité augmentée Menacée par la surfréquentation touristique, la caverne a dû être fermée en 1963. Aujourd’hui, une réplique high-tech restitue toute la féerie et l’émotion du lieu. Histoire de la plus emblématique des grottes françaises. 108 GEO HISTOIRE
Un bestiaire fabuleux Dans les années 1940, l’abbé Breuil, béret vissé sur la tête, montre l’étrange animal peint à l’entrée de la grotte. Jusqu’à aujourd’hui, aucune interprétation satisfaisante n’a été proposée pour expliquer cette figure baptisée «la licorne» par le prêtre préhistorien.
Rue des Archives/RDA
LE PATRIMOINE
G
illes Lafleur est seul, coincé dans le dernier méandre du boyau, alors que l’obscurité n’est percée que du halo de sa lampe. Seul avec ses pinceaux, au fond de ce que les préhistoriens ont baptisé le «Diverticule axial». Depuis plusieurs jours, à petites touches, le peintre fait apparaître un cheval rouge sur une paroi rocheuse. En ce mois de septembre 2016, Lascaux IV, le nouveau fac-similé de la célèbre grotte située près de Montignac (Dordogne) est presque terminé. Voilà trois ans qu’une centaine de personnes travaillent à reconstituer minutieusement la géologie de l’antre et les exceptionnelles œuvres d’art qui l’ornent. Trois ans de travail acharné pour reproduire la quasi-totalité de ce monument préhistorique, souvent au millimètre près : les formes de la roche, les aspérités des concrétions, les gravures dans la pierre et, bien entendu, les quelque 2 000 figures tracées, il y a 20 000 ans environ, par des hommes de Cro-Magnon. Comme dans la grotte originale, les bisons, vaches, chevaux, félins et cerfs ont pris vie en épousant à la perfection les reliefs de la paroi. Il était temps qu’elle ouvre, cette nouvelle réplique de Lascaux ! Car, si une première copie partielle de la grotte (Lascaux II) a longtemps satisfait les visiteurs, on ne pouvait plus accéder à l’ensemble des œuvres. La grotte, la vraie, est en effet fermée au public depuis 1963. Question de survie. En octobre 1940, on est bien loin de penser à la préservation de Lascaux. Au contraire : on ne fait que s’extasier et en recommander la visite. Dans une France meurtrie par la guerre et l’Occupation, la toute récente découverte de la caverne ornée est comme une bouffée d’air frais. Et les gens du cru se bousculent déjà pour l’admirer. Tout a commencé trois semaines plus tôt, le 12 septembre 1940. Jacques Marsal, Georges Agniel et Simon Coencas, trois adolescents
110 GEO HISTOIRE
Rue des Archives/RDA
LE PATRIMOINE 1 9 4 O Des adolescents découvrent la grotte.
Les adultes à la rescousse L’instituteur Léon Laval (à gauche) et l’abbé Breuil (à droite) s’apprêtent à descendre dans la grotte avec deux des découvreurs.
(ils ont entre 13 et 15 ans) en vacances à Montignac, croisent Marcel Ravidat, 18 ans, sur la colline de Lascaux. Celui-ci a repéré quelques jours pus tôt un orifice qui semblait se prolonger plusieurs mètres sous terre. Veulent-ils venir l’explorer avec lui ? Marcel descend le premier et atteint un cône d’éboulis. Après quelques minutes de progression entre stalactites et gours (sorte de vasques naturelles), les garçons, médusés, aperçoivent les premières peintures. En sortant, ils se jurent solennellement de garder le secret de leur découverte. «Je n’ai pas pu tenir, s’amuse Simon Coencas, aujourd’hui âgé de 91 ans, dernier survivant de cette équipée. Le lendemain, mon petit frère Maurice nous accompagnait.» L’exploration se poursuit à l’aide de cordes et de pioches. Chaque jour, les jeunes aventu-
riers font de nouvelles découvertes le long des 235 mètres de galeries. Le 16 septembre, n’y tenant plus, ils préviennent l’instituteur du village, Léon Laval. Intrigué par les descriptions, le quinquagénaire se risque à son tour dans le boyau. Ebloui, il prévient aussitôt l’abbé Henri Breuil, 63 ans, grand spécialiste de la préhistoire, réfugié dans la région pour fuir l’occupation allemande. A la vue de quelques dessins reproduits sur papier, il consent à venir jeter un œil le 21 septembre. Et confirme à son tour l’extraordinaire intérêt du site. Dans la grotte tout juste ouverte au public, on fume…
Le secret des adolescents a été vite éventé, et les premiers curieux arrivent pour voir les peintures préhistoriques. Le jour, Henri Breuil improvise parfois des visites guidées. La nuit, Jacques Marsal et Marcel Ravidat, les deux Montignacois de la bande, montent la garde. Lascaux se trouve sur le domaine de la famille de La Rochefoucauld, qui envisage déjà d’exploiter le site. Fin septembre déjà, plus besoin de se contorsionner : le «trou» a été agrandi, des marches ont été maçonnées. On piétine les sols sans
Larivière. En médaillon : S. Coencas.
penser qu’ils peuvent conserver des traces du passé, et les visiteurs – préhistoriens compris – fument volontiers dans l’antre sans que cela ne choque personne. L’art pariétal est reconnu seulement depuis 1902, et l’on ignore encore tout de la fragilité des grottes. Grâce à la notoriété et à l’authentification de l’abbé Breuil, la grotte de Lascaux est classée au titre des Monuments historiques dès le 27 décembre 1940, c’est-àdire deux mois et demi après sa découverte seulement. Dans la foulée, l’entrée est protégée par un mur et une porte de bois. Les visites, désormais conduites par Ravidat et Marsal, ont un succès fou – on enregistrera jusqu’à 1 500 personnes par semaine.
Elles s’espaceront toutefois peu après l’été 1942, avec le départ des deux jeunes découvreurs, l’un pour le maquis, l’autre pour le STO. Léon Laval, l’ancien instituteur, devient officiellement conservateur du lieu. Il commence par mettre les artefacts paléolithiques – sagaies, lampes, outils en silex – à l’abri. Quelques fouilles sont encore menées, des photographies, des croquis et des relevés scientifiques sont effectués, mais la priorité n’est pas là. Le propriétaire songe à l’aménagement de la grotte. «On pensait avant tout à promouvoir l’art pariétal, explique aujourd’hui le préhistorien Noël Coye. Henri Breuil ne voyait pas pourquoi il aurait gardé Lascaux pour lui, il voulait la partager avec
Quatre garçons chanceux Marcel Ravidat, Georges Agniel, Jacques Marsal (de gauche à droite au premier plan) et Simon Coencas (en médaillon), ici photographiés en septembre 1940. Ils s’étaient promis de garder leur découverte secrète. Mais très vite, le village fut au courant.
le grand public. On n’avait pas l’idée, alors, que la fréquentation pouvait altérer le site.» En 1947, la guerre enfin terminée, les grands travaux commencent, supervisés par Yves-Marie Froidevaux, architecte en chef des Monuments historiques. Le projet de la famille de La Rochefoucauld est ambitieux. Autour du porche d’entrée, d’importants terrassements sont effectués pour favoriser l’accès et la construction d’un parking. Une entrée monumentale et un grand escalier sont bâtis. A l’intérieur, pour améliorer la circulation, le sol est creusé de plus d’un mètre et bétonné. Personne ne le sait encore, mais après des milliers d’années de stabilité, l’équilibre naturel à l’intérieur de la grotte de Lascaux vient de basculer. Seul Léon Laval souffre de voir «sa» grotte aussi malmenée alors que l’étude de celle-ci est tout juste ébauchée. Mais les récriminations de l’ancien instituteur ne sont pas entendues. Dès 1949, des moisissures sont signalées sur des parois
Le 13 juillet 1948, la grotte de Lascaux est officiellement ouverte au public. Le succès est fulgurant. Revenus à Montignac, Jacques Marsal et Marcel Ravidat sont engagés comme guides. Dès 1949, des moisissures sont signalées sur des parois. On fait alors installer deux sas à l’entrée pour isoler la grotte. Ponctuellement, la recherche scientifique se poursuit. Dans les années 1950, l’abbé Glory, autre prêtre préhistorien, se consacre à reproduire les milliers de gravures des parois sur calque. Jeune archéologue, Annette Laming corrige la datation de l’antre et l’attribue à l’époque magdalénienne (de 18 000 à 10 000 ans av. J.-C.) et non gravettienne (de 28 000 à 22 000 ans av. J.-C.) comme on le pensait jusqu’alors. En 1955, la notoriété de la grotte ne cesse de croître. Elle accueille 30 000 visiteurs par an. La chaleur des lampes et le dioxyde de carbone dégagé par la foule commencent à altérer la roche.
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le patrimoine A certaines périodes, l’air irrespirable dans la cavité provoque des évanouissements. En août 1956, alors qu’exceptionnellement il donne une conférence dans la caverne, l’abbé Breuil s’interrompt, incommodé par «l’atroce atmosphère» qui y règne. Quelques mois plus tard, Marsal et Ravidat sonnent l’alarme : des taches vertes sont apparues à l’entrée de la Rotonde, près de «la licorne», l’une des figures mythiques de la grotte. Cette fois, on prend des mesures drastiques. Jusqu’alors caché par l’escalier d’accès, l’éboulis de l’entrée, celui par lequel les adolescents avaient pénétré dans la cavité en 1940, est dégagé sans ménagement par une pelleteuse. A sa place, on installe une machine destinée à
René Burri/Magnum Photos
apporter de l’air extérieur. Ces travaux ne sont des tinés qu’à améliorer le confort des visiteurs. Et personne n’a conscience alors que le dispositif va aussi faire entrer tout un ensemble de microorganismes susceptibles de déstabiliser la grotte. Une visite captivante Après des travaux d’aménagement (creusement d’un chemin, installation d’éclairages), la caverne originale est réouverte au public en 1948. L’engouement est tel qu’un million de personnes visitent le site, jusqu’à sa fermeture en 1963.
En 1962, la «maladie verte» progresse dans la cavité
Les années passent sans que la soif d’art pariétal du public se démente. En 1962, Lascaux bat des records de fréquentation : 100 000 personnes y descendent. L’été, on y voit défiler jusqu’à 1 800 visiteurs par jour. Un triomphe… aux conséquences terribles ! Car la «maladie verte», due au développement de colonies d’algues, ne cesse de s’étendre. Après les
peintures du Diverticule axial (un conduit d’une trentaine de mètres, aux parois couvertes de représentations d’animaux et de gravures géométriques), elle touche celles de la salle des Taureaux, une cavité en forme de rotonde, ornée de quatre immenses aurochs. En outre, des taches blanches, liées au développement de calcite sur les parois, sont apparues. En mars 1963, André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, crée dans l’urgence une commission d’études scientifiques chargée d’analyser et de combattre ces maladies. Trop tard. Le mois suivant, il doit se résoudre à fermer «provisoirement» le site pour le sauver. En réalité, la grotte de Lascaux n’ouvrira plus jamais ses portes au grand public.
1 9 5 9 La grotte originale est menacée par le dioxyde de carbone.
Marc Dozier/Getty
1 9 8 3 Lascaux II, réplique stupéfiante, fait renaître la magie. Seuls les spécialistes appelés au chevet de la «chapelle Sixtine de la préhistoire» descendent encore dans la grotte pour l’étudier à la loupe (température et humidité, notamment). Les analyses des ta ches vertes révèlent la présence de champignons, d’algues, de fou gères et de bactéries : autant d’or ganismes favorisés par la lumière des lampes et l’augmentation de la température à l’intérieur. Pani quée par cette prolifération – que l’arrêt des visites n’a pas enrayée –, la commission fait pulvériser des antibiotiques et du formol. Il fau dra deux ans de soins pour stop per, au moins en apparence, le fléau. Mais il n’est plus question de la rouvrir aux visites, et en 1972, le site passe aux mains de l’Etat. Comment «rendre» Lascaux au public ? La réponse arrive en 1983, avec l’ouverture de Lascaux II, à une centaine de mètres seulement de la grotte originale. Ce tout pre mier facsimilé d’art pariétal per met de visiter la salle des Taureaux et le Diverticule axial. Soit 40 % de la superficie de la caverne, mais
où se concentrent 90 % des pein tures. Tout a été conçu pour par faire l’illusion : une double coque de béton sur armature métallique, réalisée à partir des relevés pho tographiques hyperprécis, repro duit fidèlement le site original. La reproduction des chefs d’œuvre est confiée à Monique Peytral. Pendant onze ans, cette artistepeintre s’est échinée à retrouver les pigments naturels des Magdaléniens, à copier avec exactitude leur travail. Le résul tat est stupéfiant. Lascaux II ne reproduit pas seulement l’aspect de son modèle, elle en restitue aussi la magie. Dès son ouverture au public, en décembre 1983, le succès est phénoménal. Une réplique itinérante fait voyager Lascaux dans le monde
Vingt ans plus tard, le départe ment de la Dordogne imagine un nouveau concept : un facsimilé de la caverne léger et démontable pour pouvoir être itinérant. Cinq années seront nécessaires pour réaliser une copie des fresques
de la Nef (une partie non repré sentée dans Lascaux II) sur huit panneaux amovibles. Après avoir été montrée au public français, l’exposition Lascaux III devien dra donc l’ambassadrice de la grotte à l’étranger. Aux EtatsUnis, au Canada, en Corée du Sud et au Japon (où elle est toujours en place), Lascaux III acquiert une gloire internationale. Revenons dans la grotte origi nale. Sanctuarisée, elle n’est pour tant pas tirée d’affaire. Pire : trente ans après la crise bioclimatique de la caverne, Lascaux va rechuter. Encore plus durement. Une pre mière catastrophe se produit à la fin 1999, lors du remplacement de la machinerie d’assistance clima tique qui maintenait les lieux à la température idéale et constante. Ces travaux occasionnent en effet des infiltrations d’eau dans les sas d’entrée. Et, de nouveau, la grotte est perturbée par les intrusions humaines. A partir de juillet 2001, des moisissures blanches fila menteuses se mettent à proliférer dans la cavité. Dans l’urgence,
Dans l’antre… artificiel Un visiteur admire les aurochs (les plus grands du monde) qui ornent la salle des Taureaux, fidèlement reconstituée dans Lascaux II. Inaugurée le 12 juillet 1983, cette «grotte en toc» attirera 10 millions de visiteurs jusqu’à sa fermeture en 2016.
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LE PATRIMOINE le Laboratoire de recher che des Monuments historiques (LRMH) décide d’appliquer fongicides et antibiotiques sur les parois impactées, d’épandre de la chaux vive sur les sols et de pulvériser des produits biocides pour éviter toute propagation. Rien n’y fait. En décembre de la même année, des petites taches noires apparaissent sur la voûte des sas d’entrée. En août 2002, le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, crée un comité scientifique chargé de résoudre la crise. Un an plus tard, les pulvérisations de fongicides sont stoppées. Conservatrice de la grotte à l’époque, Alina Moskalik-Detalle fait partie des rares personnes encore habilitées à pénétrer dans Lascaux pour en assurer la surveil-
Au plus près des fresques Dans le Centre international, qui jouxte Lascaux IV, des reconstitutions des parois, suspendues, permettent au public d’observer les détails des peintures vues dans la grotte, où elles se situent toutes entre 3 et 5 mètres de haut.
lance et les soins. «Les champignons disparaissaient, mais récidivaient à chaque fois, se souvient-elle. On ne pouvait pas traiter indéfiniment. Il nous fallait un programme global de conservation. Nous sommes donc passés à un nettoyage manuel “homéopathique”.» Plusieurs gros programmes de recherche sont lancés. On veut connaître finement les populations bactériennes de l’antre et les conditions climatiques nécessaires à sa conservation. Retrouver l’équilibre établi dans la grotte au cours des millénaires passés est un véritable casse-tête. La caverne est un milieu isolé mais pas fermé : de l’eau, des micro-organismes, des insectes même y vivent. Les conditions atmosphériques extérieures
2 O 1 6 Avec Lascaux IV, pour la première fois, la grotte se révèle dans sa totalité.
(température, pression, humidité) jouent sur le climat intérieur. Même les arbres qui recouvrent la colline de Lascaux y participent, en aérant le sol avec leurs racines. En 2006, l’Unesco tire déjà la sonnette d’alarme
Cet écosystème est éminemment fragile et complexe. Trop d’humidité, et l’eau se met à ruisseler sur les parois, risquant de diluer les pigments des peintures. Un air trop chaud, et la grotte s’assécherait en faisant craqueler les œuvres. «Toutes ces années de visites et de travaux avaient occasionné beaucoup de modifications qui s’étaient accumulées, constate aujourd’hui Muriel Mauriac, actuelle conservatrice de la grotte. Le changement de la ma-
scientifique se réunit, débat sur une reprise éventuelle des traitements chimiques. En 2008, on teste plusieurs produits sur de petites zones non ornées en tentant d’en mesurer l’impact. Que faire ? Personne ne le sait vraiment, ou plutôt, tout le monde a son idée. Le List (Lascaux International Scientific Thinktank) est créé fin 2009 par des spécialistes de l’art rupestre et des scientifiques de plusieurs disciplines qui ont bien connu Lascaux et s’inquiètent aussi de la tournure des événements. Ils considèrent que des erreurs sont encore commises. Leur objectif : identifier les causes réelles des problèmes et proposer des solutions. «Ce qui se passait était très opaque. Une chape de plomb était tombée sur la grotte
DP Lascaux IV
chine d’assistance climatique, en 1999, a peut-être été le catalyseur d’une situation latente, mais ce n’est qu’une des hypothèses.» Combien de temps l’homme peut-il rester dans la grotte sans la déséquilibrer ? A quelles périodes de l’année peut-il intervenir sans risque ? Une nouvelle cloison améliorerait-elle ou, au contraire, nuirait-elle à l’équilibre de l’antre ? Autant de questions auquel les savants tentent de répondre, depuis 2005, à l’aide d’un simulateur. La fébrilité des gestionnaires de la grotte n’échappe pas au monde extérieur. En 2006, l’Unesco commence à s’alarmer. D’autant qu’en juillet 2007 de nouvelles taches noires sont repérées à proximité et sur des zones ornées. On réalise des prélèvements, le comité
à la fin des années 1990, et nous avions beaucoup de mal à obtenir des informations sur ce qui se passait», témoigne aujourd’hui Michel Goldbergh, biochimiste, professeur honoraire à l’Institut Pasteur et membre du List. Mais les études commencent à porter leurs fruits, et, toujours en 2009, un symposium sur la conservation du milieu souterrain est organisé à Paris pour faire le point. Au final, l’Unesco annonce que Lascaux n’est pas considérée comme «en péril». On suit en temps réel l’hygrométrie et le taux de CO2
La grotte est-elle sauvée ? Loin s’en faut, mais la connaissance de son fonctionnement interne a progressé. Elle est observée, auscultée comme aucune autre avant elle. «On la traite comme une vieille dame convalescente : avec respect, déférence, soins et vigilance», explique Muriel Mauriac. Sur son écran d’ordinateur, la conservatrice peut voir, en temps réel, les variations de température en une cinquantaine de points de la cavité, mais aussi l’hygrométrie et le taux de CO2. En 2015, la climatisation a été coupée. Désormais, la présence humaine est encore plus limitée, planifiée, voire annulée si les conditions climatiques menacent d’impacter le lieu. En décembre 2016, enfin, Lascaux IV et le Centre international de l’art pariétal ouvrent leur portes. Le projet – une copie complète de la vraie grotte, jusque dans ses moindres détails – était pharaonique ; le résultat est stupéfiant : les derniers outils numériques (réalité augmentée, écran 3D, etc.) sont utilisés pour restituer toute la beauté de la Sixtine de la Préhistoire. Il est à la fois amusant et émouvant de penser que les hommes du troisième millénaire ont employé le nec plus ultra de leur technologie pour restituer des œuvres que leurs lointains ancêtres ont peintes sur la roche en soufflant des pigments L avec leur bouche… Céline lison
Lascaux IV : des chIffres (pré)hIstorIques ! 540 m2 de parois ornées : la surface du nouveau facsimilé montre l’ensemble des chefs-d’œuvre présents dans la grotte, soit 680 fresques et 1 500 gravures. 57 millions C’est, en euros, le coût total des travaux. Le financement a été principalement pris en charge par le département de la Dordogne et la région Aquitaine. L’Union européenne a participé à hauteur de 12 millions d’euros. La part du mécénat est de 5,8 millions d’euros. 400 000 visiteurs sont attendus chaque année.
Découvrez en vidéo les secrets de la reconstitution de la grotte, sur bit. ly/geo-videolascaux-atelier, et les nouvelles parois présentées à Lascaux IV, sur bit.ly/geo-videoinedit-lascauxIV.
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Le propre de l’humanité, son incroyable force, c’est son imaginaire Le langage ? L’outil ? La culture ? Il y a 1,9 million d’années, Homo erectus se demandait déjà ce qu’était un humain. Aujourd’hui, un paléoanthropologue et un neuropsychiatre tentent, à leur tour, de répondre à cette question. p r o ppo ec l iesi lplai sr pf a rr é dcéyrri c i etr. peHt octyorsi l: X ga uV i ni e r t . lpaHmobto ous r: sX/a rso pro s ureeicl u i l ggruai n e sV i gi e nra tluarmebso. u r s .
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Boris Cyrulnik
Arpenteur de l’âme humaine, médecin, il se passionne aujourd’hui pour l’éthologie, persuadé que l’observation du comportement animal peut nous renseigner sur ce que nous sommes.
&
Pascal Picq
Ce paléoanthropologue murmure à l’oreille des grands singes. Dans ses travaux, il entend distinguer l’homme en tant qu’espèce animale de l’humain en tant que concept philosophique.
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Géo Histoire : Quelle est la définition de l’homme pour le paléoanthropologue ? Pascal Picq : D’un point de vue anatomique, c’est une grande sta ture, un corps élancé, une bipédie faite pour la marche, la course et l’endurance, la perte des carac tères liés aux déplacements dans les arbres, une main libérée de toute fonction locomotrice, un cer veau développé et une face plus gracile. D’un point de vue tech nique et culturel, c’est l’invention d’outils de pierre plus diversifiés, l’usage du feu et le langage arti culé. Homo erectus, dans le foi sonnement de l’évolution en mo saïque, est le premier à présenter un ensemble cohérent et stabilisé de ces caractères. C’est également lui qui, il y a 1,9 million d’années, commence à se poser la question que vous m’avez posée. Dans vos livres, l’un comme l’autre, vous affirmez que l’imaginaire, la faculté d’inventer et de raconter des histoires, est le propre de l’homme… Boris Cyrulnik : C’est même ce qui nous distingue du reste du monde animal. Le vétérinaire Claude Béata, avec qui je travaille, affirme qu’un chien, au contact des humains, peut apprendre entre 150 et 200 mots. En revan che, comme le reste du règne ani mal, il n’a pas accès à la fiction. Les humains, eux, ont recours au langage et à la fiction. Avant même la parole, nos bébés sont capables de développer un monde imaginaire. Ils inventent des êtres invisibles qui les rassurent. Je me souviens que mon fils «a em mené» avec lui, durant des années, deux amis imaginaires baptisés «Ouf» et «Perki». Par la suite, tout au long de notre développement, notre système nerveux sélec tionne des histoires, différentes selon chacun de nous, et alimen tées par des faits étonnamment variables : notre vécu, notre envi ronnement familial, le fait de vivre dans un pays en guerre ou pas, etc. Le résultat est étonnant : dans une communauté, nous partageons les
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mêmes mots – sinon nous ne pourrions pas communiquer les uns avec les autres– mais pas les mêmes histoires. Ce qui vous touche, vous, peut me laisser in différent. Et vice versa. D’où l’im portance des créateurs de récits qui nous permettent de vivre en semble, de nous réunir autour de symboles fondés par des fictions, comme le signe de croix par exem ple. Ou de nous faire la guerre en nous fournissant des arguments pour nous combattre. P. P. : En effet, Homo est un «Homo narrens» depuis l’inven tion du langage et des expressions symboliques, comme les parures et les usages de colorants, et aussi l’art et les sépultures. Sans cette propension à l’imaginaire et à la transformation, les hommes ne seraient jamais allés à la conquête du monde. Il en va encore de même aujourd’hui avec la mode, l’art contemporain et la science fiction. Quel imaginaire a poussé des femmes et des hommes à tra verser des mers pardelà l’hori zon et vers l’inconnu absolu, comme l’Australie et les Amé riques il y a plus de 30 000 ans ? Reste-t-il une part animale en nous ? B. C. : Absolument tout ! Nous sommes des animaux ! Il ne faut pas oublier que nous avons tous vécu neuf mois dans un océan qu’on appelait liquide amnioti que, comme les mammifères ma rins. D’aillleurs, nous avons de la graisse autour de nos muscles, comme les animaux marins. En venant au monde, nous nous sommes transformés en animaux terrestres. Et puis, un jour, vingt mois après, nous avons tenté l’aventure de la parole et, enfin, nous sommes devenus des humains. Donc à la question sommesnous des humains ou des animaux ? La bonne réponse est : nous sommes les deux. P. P. : Cette question devient plus intéressante si on regarde les caractères communs que nous partageons avec les chimpan zés. On s’aperçoit que ce qui fait
l’homme se retrouve chez diverses espèces de singes et de grands singes, avec, évidemment, des combinaisons et des expressions diverses. La dichotomie homme animal n’a plus aucun sens en anthropologie évolutionniste. Alors, je vous retourne la ques tion : estce que l’homme s’ani malise ou estce que les chimpan zés, comme les autres singes, s’en trouvent plus humains ? Qu’avons-nous encore en commun avec nos lointains ancêtres ? Quand on pose cette question, on imagine que l’héritage de la préhistoire se compose surtout d’instincts grégaires, voire violents… P. P. : Il y a une tendance per verse à faire remonter au temps de la préhistoire tous nos mau vais travers, comme la violence ou la discrimination envers les femmes. Or, on n’en sait stricte ment rien. Cette construction idéologique du XIXe siècle a la peau dure. Auschwitz, le terro risme, les famines, les destruc tions des écosystèmes, l’élimina tion des autres espèces, l’escla vage, sont des dérives de notre histoire et n’ont rien à voir avec la préhistoire. Pour autant, cette longue période n’a rien d’un pa radis ni d’un enfer. Les femmes et les hommes de la préhistoire manifestaient de la solidarité, no tamment envers les handicapés, amélioraient leurs habitats, et il n’y avait pas de SDF devant les ca vernes. Enfin, ils s’interrogeaient sur le sens de la vie comme en té moigne la splendeur de l’art, les parures et les tombes. Il est er roné de prétendre que tous nos travers les plus détestables pro viennent de nos ancêtres. Qu’est-ce qui a pu pousser les premiers hommes à enterrer rituellement leurs morts ? B. C. : Les animaux perçoivent «le» mort mais ne se représentent pas «la» mort. C’estàdire qu’ils peuvent reconnaître la mort dans son contexte, mais ne peuvent pas l’envisager… Par exemple, j’ai vu un jour un goéland agoniser, à
Boris Cyrulnik en tête à tête avec notre journaliste, au café-restaurant Les Éditeurs, à Paris. Le chercheur explique qu’une des particularités de l’homme est d’inventer des histoires pour donner du sens au monde qui l’entoure.
«Les hommes de la préhistoire étaient solidaires. Il n’y avait pas de SDF devant les cavernes.» Pascal Picq
Port-Cros. Il poussait des petits cris aigus qui affolaient ses congénères. Tous les autres oiseaux semblaient paniqués, comme s’ils ne pouvaient pas comprendre ce qui se passait sous leurs yeux. La vision de la mort les perturbait, c’était évident. En revanche, il n’avait aucune idée de quoi il s’agissait. Pascal Picq a raconté dans ses livres comment le décès d’un singe pouvait désorganiser le groupe. Nous, êtres humains, nous nous représentons la mort, le vide. D’où, pour nous, la nécessité des sépultures
mais aussi de l’art. Comme si nous avions absolument besoin de donner une forme à ce qui reste le mystère de la vie. Cette angoisse de la mort est à l’origine de la création artistique. P. P. : On observe des comportements spécifiques autour d’un mort chez plusieurs espèces, comme les chimpanzés, les éléphants, les dauphins… Ce sont des espèces très sociales chez lesquelles la gestation est longue, comme le sevrage, l’enfance, l’adolescence, l’arrivée à l’âge
adulte, et avec une espérance de vie de 40 à 100 ans. Alors, quand on vit avec les autres pendant plusieurs décennies, on ne disparaît pas comme cela des mémoires. Hélas, nous avons peu d’observations de telles situations. Difficile de donner une interprétation sur les origines des pratiques funéraires. Pour les tombes et donc les enterrements, les plus anciennes preuves archéologiques remontent à à peine plus de 100 000 ans. Dans tous les cas, les membres du groupe éprouvent de la peine et ne se résolvent pas à l’abandon immédiat du corps. Quant aux rituels, aux offrandes et aux objets, ce sont des viatiques pour que le défunt puisse recommencer une autre vie dans un autre monde. Cette dissociation entre le corps qui se fige et dépérit et le souvenir qui persiste est à l’origine de tous les rituels imaginables. Le deuil représente sans aucun doute un comportement très complexe destiné à vivre avec la mémoire d’un être disparu. B. C. : On ne sait rien des rituels des hommes préhistoriques, mais je crois qu’ils manifestaient leur émotion par des chants… Des chants aigus dans le cas de Neandertal. En raison de la forme et de la taille de son larynx, il avait la voix d’un enfant de 3 ans. Peutêtre jetait-il des pétales de fleurs dans la tombe. Peut-être que – j’extrapole – les femmes et les hommes se disposaient-ils de façon symbolique autour de la tombe. Les femmes peut-être tournées vers l’est, où le soleil se lève, parce que ce sont elles qui donnent la vie. Et les hommes vers le couchant. L’homme a survécu à la grande glaciation et à la Shoah. D’où vient cette extraordinaire capacité de résilience ? B. C. : Les bactéries, ayant très peu de besoins métaboliques, ont été capables de s’adapter à de nouvelles contraintes environnementales. C’est ce qu’on appelle la résistance. L’espèce humaine, elle, aurait pu disparaître.
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Physiquement, on n’est pas terrible. On ne court pas vite, on ne vole pas, on ne reste pas longtemps sous l’eau. Mais il s’est passé quelque chose, probablement lié à l’angoisse d’être au monde, qui nous a poussé très tôt à inventer l’artifice de l’outil et du verbe. Les deux étant liés. Cela nous a permis de posséder le monde. Parfois d’en faire des merveilles, mais parfois aussi de le détruire. P. P. : La résilience est une caractéristique du vivant, pour les individus, les espèces et les écosystèmes. C’est évidemment la capacité à survivre et à s’adapter. Mais elle prend une autre dimension chez l’homme avec ses capacités à se représenter le monde, entre le désespoir et l’espoir, mais aussi en affrontant les drames et les horreurs que font subir les hommes aux autres hommes. Désolé de vous le dire aussi brutalement, mais l’homme est la seule espèce esclavagiste envers ses proches et envers les animaux. Il faut une formidable résilience pour survivre à nous-même.
maine. La robustesse corporelle et le cerveau plus développé des néandertaliens et des Sapiens indiquent un accès régulier à la nourriture. Leur niveau d’activité physique était considérable, bien plus que chez nos sportifs les plus assidus. L’intensité de leurs activités artisanales et artistiques correspondait à de longues heures de loisirs. En fait, ils travaillaient beaucoup moins que nous. Mais, pour autant, ce n’était pas le paradis puisque les maladies et les accidents de la vie leur donnaient une espérance de vie d’une trentaine d’années. Aujourd’hui, nous sommes face à de nouveaux défis avec le réchauffement climatique, l’urbanisation et les pollutions. De graves problèmes de santé sont liés à la malbouffe, l’obésité et la sédentarité. Or, la réduction drastique des activités physiques et culturelles devient la cause inquiétante d’une régression des acquis du dernier siècle en termes d’espérance de vie, de santé, de libido et même de QI.
Quelles épreuves l’homme préhistorique a-t-il dû surmonter ? P. P. : Il faut sortir de cette vision héritée du XIXe siècle qui conçoit les femmes et les hommes préhistoriques soumis aux agressions des âges glaciaires, souffrant de la faim et harcelés par les prédateurs. L’Europe glaciaire ne représente qu’une région et une période climatique. Les espèces humaines étaient, avant tout, d’origine africaine, et donc tropicale. Une fois de plus, l’idéologie du progrès avait besoin de tels clichés sinistres pour faire accepter aux paysans, aux ouvriers et aux mineurs que, somme toute, leur sort était plus enviable que ces crève-la-faim de la préhistoire. Et on a tenu le même discours à propos des peuples actuels dits «primitifs». Si les australopithèques et les premiers hommes avaient encore un statut de proie, cela devient de moins en moins vrai au cours de l’évolution de la lignée hu-
Il y a 1,9 million d’années, Homo erectus quitte son berceau africain. Nos ancêtres avaient-ils déjà une âme de touriste ? P. P. : Jusqu’à l’émergence d’Homo erectus, les australopithèques, et même les premiers hommes, dépendent de leurs communautés écologiques. Homo erectus est doué de nouvelles aptitudes biologiques, locomotrices, physiologiques, cognitives, techniques, culturelles et sociales qui lui permettent de s’adapter à d’autres écosystèmes. Sa corpulence et sa puissance physique en font un prédateur redoutable qui, en groupe, ne craint aucune bête. Grâce au feu et à la construction d’abris, il s’affranchit des ultimes dépendances au monde des arbres et conquiert des milieux ouverts. Si les variations climatiques, de plus en plus liées aux rythmes des glaciations, les poussent à se déplacer, d’autres motivations non dictées par des contraintes matérielles l’amènent à explorer de
nouveaux habitats. C’est aussi un avantage propre aux prédateurs puisque la viande est une ressource qui se trouve sous toutes les latitudes. Mais ces hommes occupent des aires géographiques bien plus étendues que celles des grands prédateurs comme les loups, les lions ou les tigres. Quelles sont ses motivations ? Même si on l’ignore, elles sont associées à leurs modes d’expressions symboliques, comme le langage. B. C. : Mon expérience de quarante années de psychiatrie me pousse à dire que, parmi nous, il y a 50 % des gens qui ont peur de la nouveauté et 50 % qui l’érotisent. C’est-à-dire que lorsqu’on propose un changement, une personne sur deux sera enchantée, et une personne sur deux rebutée. Mais il y a un fait têtu : les bébés ne sont explorateurs que s’ils sont sécurisés. Un bébé insécurisé, par un environnement violent, par la maladie, n’explore pas le monde autour de lui. Au contraire, il va chercher refuge dans les bras de sa mère, en s’autocentrant. Comme les animaux d’ailleurs ! Les animaux insécurisés ont peur de l’extérieur. On pourrait en déduire que c’est parce qu’ils se sentaient apaisés dans leur environnement que les premiers hommes sont partis à la conquête de la planète. Pour autant, je pense que l’aventure humaine n’a pas de sens, ni de direction. C’est l’homme qui, étant capable de récits, est contraint de donner sens à ce qui lui arrive. Continuons-nous à évoluer ? P. P. : Nous sommes une espèce, comme les autres espèces humaines de la préhistoire, très plastique d’un point de vue anatomique, physiologique et cognitif. En fait, nous coévoluons avec l’ensemble des organismes, notamment les micro-organismes qui nous entourent. Il faut comprendre qu’à l’instant où vous lisez ces lignes, vous êtes l’expression d’un double passé, celui de votre espèce (et de votre culture) et celui de votre propre vie. Et il vous
«La neuro-imagerie du crâne de Neandertal montre qu’il était sans doute moins anxieux que Sapiens.» Boris Cyrulnik
faut aborder un environnement qui change pour de multiples raisons avec ce double passé. Il faut donc constamment s’adapter. Depuis Homo erectus, les hommes ont inventé une deuxième coévolution associant nos caractères morphologiques, physiologiques et cognitifs à nos environnements techniques et culturels. Avec l’invention du feu, la taille corporelle et celle du cerveau augmentent rapidement du temps d’Homo erectus, et ce dernier conquiert l’Europe et l’Asie. Avec l’invention de l’agriculture et des cités, la taille du cerveau, la taille corporelle et nos masses musculaire et squelettique régressent considérablement. C’est dû au travail, à la sédentarité et aux maladies diffusées dans les cités. Après la Seconde Guerre mondiale, l’éducation à l’école prolongée, le sport, la médecine et le confort permettent de retrouver une plus grande stature et offre plus de décennies supplémentaires d’espérance de vie ; mais personne n’imaginait les maladies neurodégénératives et les nouvelles maladies civilisationnelles. L’évolution est toujours un nouveau compromis. Aujourd’hui, tous ces indices changent, et pas forcément dans le bons sens avec la sédentarité, l’obésité, les pollutions… Donc, l’évolution continue, et nous entrons dans la troisième coévolution avec l’invasion des NBIC (nanotechnologie, bio-
logie, informatique et sciences cognitives). Où allons-nous entre les promesses du transhumanisme et la réalité des indices d’une détérioration de la santé à l’échelle mondiale ? B. C. : Il ne faut pas confondre évolution et progrès. L’évolution n’est pas linéaire, ce n’est pas une marche continue, comme on le pensait dans les années 19501960. A cette question, on répondait il y a peu encore que l’homme n’évoluait plus biologiquement, mais culturellement. Les progrès dans le décryptage génétique, la connaissance de l’ADN, l’imagerie médicale et les recherches en biologie prouvent pourtant le contraire : nous évoluons biologiquement. Et culturellement, c’est l’effervescence ! Nous connaissons la taille des conscrits de 1914, que l’on mesurait et pesait avant de les envoyer au front : ils étaient plus petits, en moyenne, que les garçons d’aujourd’hui. Même chose pour les filles. Je vais encore prendre un exemple personnel : comme son père était conservateur des Invalides, mon épouse a été élevée dans les robes et les bijoux de Joséphine. Eh bien, à partir de l’âge de 12 ans, ma femme ne pouvait plus mettre les vêtements de l’impératrice ! Elle était minuscule et Napoléon n’était pas non plus un géant. L’évolution en taille entre les hommes et les femmes n’est d’ailleurs pas la même : il y avait 12 centimètres
Premier Homme (éd. Flammarion, 2017), de Pascal Picq, est un ouvrage pédagogique pour comprendre l’évolution de l’humanité.
Dans L’Ensorcellement du monde (éd. Odile Jacob, 2001), Boris Cyrulnik pose la question de la place de l’homme dans le monde du vivant.
de différence entre les garçons et les filles au début du XXe siècle. Aujourd’hui il y en a 18. Reste-t-il des choses à découvrir sur la préhistoire et les premiers hommes ? B. C. : On peut l’espérer, grâce, notamment, aux outils de plus en plus perfectionnés à notre disposition et qui permettent des analyses de plus en plus fines. Le scanner, par exemple, ne montre pas comment Sapiens ou Neandertal pensaient, mais il indique comment leur cerveau était sculpté par leur environnement et comment il fonctionnait. La neuro-imagerie montre que Neandertal n’avait presque pas de lobe préfrontal et possédait, au contraire, un chignon occipital énorme. Cela signifie qu’avec son front plat et fuyant, il planifiait moins que Sapiens. Il était probablement moins anxieux que Sapiens. On a remarqué que les personnes lobotomisées à la suite d’un accident, et qui se retrouvent donc avec un cerveau néandertalien pourrait-on dire, vivent uniquement dans le présent. Ils ne connaissent plus l’angoisse car ils n’anticipent plus le temps jusqu’à la représentation de la mort. Pour le chignon occipital, les conclusions varient : soit Neandertal possédait une meilleures vue que nous – ce que je ne crois pas – ou bien il voyait mal. P. P. : Il reste encore beaucoup à découvrir en paléoanthropologie, comme avant la séparation entre notre lignée et celle des chimpanzés, les origines d’Homo sapiens en Afrique, la coexistence de plusieurs espèces humaines en Asie mais aussi sur l’évolution des grandes singes… C’est une aventure de plus en plus inter et multidisciplinaire avec les sciences de la Terre, de l’univers, de la vie, de l’homme, sans oublier la médecine et la philosophie ; et sans oublier les formidables progrès des techniques dans tous les domaines. L’aventure de la connaissance continue K propos recueillis par cyril Guinet
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Alors que la Première Guerre mondiale touche à sa fin, une pandémie mortelle, la grippe espagnole, provoque une hécatombe sur tous les continents. Elle fera plus de morts que la mitraille et les obus. bridgemanimages.com
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de 1918
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APPEL À VOLONTAIRES Aux Etats-Unis, à l’automne 1918, ces volontaires de la Croix-Rouge sont mobilisées contre l’épidémie de «grippe espagnole». Un surnom trompeur pour un terrible virus dont l’origine serait nord-américaine.
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Aux Etats-Unis, une infirmière sur quatre meurt de la grippe espagnole
LA PREMIÈRE CIBLE : L’ARMÉE Au Kansas, en 1918, des centaines de patients sont pris en charge dans cet entrepôt de l’armée américaine. La vie en caserne, les nombreux déplacements d’unités en temps de guerre, ont accéléré la propagation de la maladie.
NYPL/Science Source/Getty
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lus terrible que les grosses Berthas et le gaz moutarde ? Plus terrifiant encore que l’artillerie lourde et les grenades à fragmentation ? A l’automne 1918, alors que le monde s’apprête enfin à tourner la page de la Première Guerre mondiale, un mal étrange touche toutes les catégories de la population. Riches et pauvres, hommes et femmes, enfants et vieillards, tombent comme des mouches, frappés par cette fièvre pernicieuse. Pas de répit après quatre ans d’horreur : en l’espace d’un an, la pandémie va faucher jusqu’à 100 millions d’êtres humains à travers le monde, selon les estimations les plus hautes, contre 19 millions pour les victimes directes du conflit. Les scientifiques sont aujourd’hui formels : tout aurait commencé aux Etats-Unis dans une base de l’AEF (American Expeditionary Force), dont les unités allaient être déployées pour soutenir les alliés français et anglais. On recense les premiers cas de fièvre intense dans ce centre militaire situé au Kansas en mars 1918. Très vite, le virus se propage dans tout le Midwest, puis vers les villes bordant l’Atlantique où les troupes prennent les bateaux pour l’Europe. Les ports et les capitales du Vieux Continent ne tardent pas à subir les premiers effets de la maladie. Pas de quoi inquiéter toutefois les autorités sanitaires… «Comme la grippe saisonnière, [cette première vague] a causé des perturbations mais pas de panique majeure», détaille la journaliste scientifique Laura Spinney dans son ouvrage Pale Rider - The Spanish Flu of 1918 and How it Changed the World (Penguin Editions, sortie française prévue prochainement). Ce ne sera pas le cas de la deuxième vague qui débute en août dans trois ports – Boston aux Etats-Unis, Brest en France et Freetown au Sierra Leone. Celle-ci s’avère beaucoup plus contagieuse et surtout plus meurtrière. Mais là encore, les gouvernements des pays touchés ne semblent pas céder à la panique. Au mois de septembre, on parle encore peu de l’infection aux Etats-Unis : les officiels sont sceptiques et ne croient pas à une épidémie. Le 18 septembre, le bureau de la Santé publie timidement un avertissement destiné aux personnes qui toussent ou éternuent. On ne se méfie guère et on maintient les parades festives, comme celle du «Liberty loan»
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à Philadelphie. Organisée le 28 septembre pour encourager les Américains à financer l’effort de guerre, elle réunit plus de 200 000 participants. On s’embrasse, on se serre les mains… Les jours suivants, les cas de grippe explosent et la dure réalité, celle d’une épidémie rapide et foudroyante, va vite s’imposer. Début octobre, de funestes encarts publicitaires font toutefois leur apparition dans le New York Times – «Pouvez-vous vous permettre une mort subite ? Protégez votre famille et votre entreprise avec une assurance-vie». Difficile d’occulter dorénavant ce mal qui ronge les Etats-Unis. Les autorités réagissent enfin. A Philadelphie, la ville la plus touchée du pays, on ferme les écoles, les églises, les théâtres et tous les lieux publics. Un numéro d’urgence, «Filbert 100», est créé pour donner les premières informations et éviter la saturation des hôpitaux. La municipalité est vite démunie : les structures pour faire face à un tel fléau n’existent pas ou viennent tout juste d’être créées. Les infirmières sont en majorité parties sur le front en Europe, tandis que les médecins sont souvent incapables de contrer le virus. On appelle des volontaires à prêter main-forte aux professionnels, mais les malades sont de plus en plus nombreux… Face à l’hécatombe, les pompes funèbres manquent de cercueils
La troisième semaine d’octobre, au plus fort de la contagion, on recense déjà 4 500 morts à Philadelphie. Les services funéraires peinent à répondre à la demande : on manque de cercueils. Les cadavres s’entassent, restent dans les maisons, parfois plusieurs jours. A la morgue comme au cimetière, certains en profitent pour augmenter les prix. Pour résoudre cette crise sanitaire, la mairie de Philadelphie lance un appel aux volontaires pour creuser les tombes et se charge de commander des cercueils en fixant un tarif de vente. Elle s’engage aussi à payer les pompes funèbres avec des fonds publics si nécessaire. Il faudra attendre cependant la fin octobre pour voir enfin diminuer le nombre de cas mortels. Alors que l’épidémie semble en perte de vitesse, le docteur C.Y. White annonce qu’il a mis au point un «vaccin». «Faute d’être efficace, le placebo permet de calmer et de rassurer la population», explique Alfred W. Crosby, historien américain dans son
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DES TRAITEMENTS RUDIMENTAIRES Cette jeune femme respire une décoction pour se prémunir de la maladie. Il s’agit d’un remède de fortune. Les antibiotiques ne seront utilisés qu’à partir des années 1940.
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La censure de guerre occulte les 400 000 morts français
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APRÈS LE «BOCHE», UN NOUVEL ENNEMI Début 1919, dans les rues de Paris, la maladie fait au moins le bonheur des vendeurs de masques hygiéniques… Après l’armistice, la pandémie n’est plus un tabou pour les Français.
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ouvrage America’s Forgotten Pandemic : The Influenza of 1918 (éd. Cambridge, 2003). Le 27 octobre, on finit par rouvrir les lieux publics. Il est l’heure de compter les morts : en l’espace d’un peu plus d’un mois, Philadelphie aura perdu plus de 12 000 de ses habitants. De l’autre côté de l’Atlantique, l’Europe affronte la pandémie. Le conflit bat alors son plein et la grippe se répand avec les mouvements des troupes alliées. Ensemble, l’épidémie et la guerre forment un cocktail explosif. Les espaces confinés des bateaux qui traversent l’océan forment le terrain idéal pour la propagation. Alfred Crosby estime que 40 % du corps des Marines est touché en 1918, et que, durant les deux derniers mois de guerre (octobre et novembre), environ 4 000 soldats décèdent pendant la traversée vers l’Europe. Le 17 octobre, un navire en provenance des Etats-Unis débarque au Havre avec à son bord 78 passagers, dont 74 atteints de fièvre. Quant aux tranchées, elles favorisent aussi la maladie. Même si, en cette fin 1918, les conditions de vie s’y sont relativement améliorées, l’eau souillée, la saleté, les parasites, les cadavres, offrent un terrain favorable à la prolifération du virus. Du côté français comme du côté allemand, les soldats sont faibles et mal nourris. La grippe fait des ravages dans leurs rangs… Etats-Unis, Europe et bientôt Afrique et Asie : la maladie étend peu à peu sa toile sur le globe. D’autant que les échanges se multiplient entre les continents : des tirailleurs sénégalais ou algériens prêtent main-forte dans les tranchées, des ouvriers indochinois font tourner les usines d’armement en France, des soldats indiens sont mobilisés par les Britanniques… Des navires partent continuellement d’Europe vers l’Afrique, l’Amérique du Sud, les Indes, la Chine, ainsi que l’Océanie, avec à leur bord des marins grippés. Résultat : durant l’hiver, on compte 500 millions de malades dans le monde. L’Inde, le pays le plus touché, perd 18,5 millions de personnes. Seule l’Australie applique une quarantaine rigoureuse, quand certains hameaux du Grand Nord sont rayés de la carte et que, dans le Pacifique, les Samoa occidentales perdent un cinquième de leur population. De cette hécatombe, on ne sait alors presque rien. En France, où la Première Guerre mondiale vit ses derniers mois décisifs, ce n’est pas le moment de démoraliser les troupes, même si, dès le
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4 octobre, le sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Albert Fabre, envoie des instructions aux préfets : désinfection et fermeture éventuelle des lieux publics, limitation des activités et des déplacements. Ainsi, le 10 octobre, Caen ferme toutes ses salles de spectacle et interdit les réunions. Le 25, c’est au tour des lycées parisiens de rester portes closes. Il devient alors impossible de taire les dégâts causés par la grippe. Mi-octobre déjà, le ton est devenu plus alarmiste dans les journaux. Le Matin écrit : «Une seule personne malade est capable, en parlant et en toussant, d’en contaminer des dizaines.» Pourtant, dans un pays en guerre, les transports fonctionnent toujours, même si des trains spéciaux sont aménagés pour séparer militaires et civils, et que les wagons sont désinfectés. En l’absence de vaccin ou d’antibiotique, les traitements fantaisistes se multiplient
Rien n’y fait : les cas de grippe se multiplient. La maladie dégénère souvent en pneumonie, en pleurésie, en congestion pulmonaire. Les rapports des médecins décrivent des malades prostrés, frappés de sidération, le visage cyanosé et le regard angoissé. Face à cela, les antibiotiques ou les vaccins efficaces n’existent pas encore. On utilise de la quinine et de l’huile de ricin, rapidement en rupture de stock. Dans la capitale française, 500 hectolitres de rhum – délivré sur ordonnance car on lui attribue des propriétés médicinales – sont débloqués par le ministère du Ravitaillement. Dans les journaux, on conseille de se laver les mains, de porter un masque ou des tampons de gaze imprégnés de désinfectant, de se rincer la bouche, de se nettoyer les dents, de faire des gargarismes, des aspirations nasales d’eau chaude additionnée d’eau de Javel ! En ces temps incertains, les remèdes miracles fourmillent. Le 26 octobre, le journal Le Petit Parisien publie la recette d’un traitement hasardeux : aspirine, citrate de caféine, benzoate de soude, tisanes d’orge, de chiendent, de queues de cerise, teinture de cannelle, de quinquina… Et des files d’attente de désespérés se créent devant les boutiques. On s’arrache «pilules miracles» (Dupuis, Fluatine, Rhéastar) et autres remèdes censés aussi bien enrayer la grippe que les problèmes respiratoires, le choléra, la typhoïde ou la variole. Dans tout le pays, où l’on va presque atteindre les
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UN SINISTRE PORTRAIT
Mondadori Portfolio/Rue des Archives
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Avant de mourir terrassé par le virus, le peintre autrichien Egon Schiele (1898-1918, photo cidessus) signa ce funeste tableau (La Famille), représentant sa femme, emportée comme lui par la maladie alors qu’elle était enceinte, avec, à ses pieds, le fils qui ne vit jamais le jour.
L’ÉPIDÉMIE, PLUS FORTE QUE LES CANONS Précurseur du surréalisme, Guillaume Apollinaire (18801918) fut envoyé au front et blessé par un éclat d’obus. Mais c’est la grippe espagnole qui emporta le poète.
Apollinaire, Schiele, Rostand... Les artistes ne seront pas épargnés
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410 000 décès en juin 1919, les services funéraires sont débordés. «Lyon, qui manque de corbillards et de cercueils, est obligé de transporter les cadavres dans des linceuls improvisés, à même les charrettes, et de les enterrer la nuit. Des scènes identiques se déroulent à Paris où, dans la dernière semaine d’octobre, meurent 300 personnes par jour», peut-on lire dans Vie et mort des Français, 1914-1918 (ouvrage collectif, éd. Hachette, 1962). Dans ce contexte macabre, les rumeurs vont bon train. On surnomme d’abord l’infection «grippe espagnole»… à tort. En réalité, l’Espagne, restée neutre, n’est pas soumise à la censure de guerre. Elle publie donc librement des informations sur l’ampleur de la maladie qui touche également son roi, Alphonse XIII. A l’opposé, les Alliés restent discrets. Ils ne souhaitent ni démoraliser les troupes en publiant des chiffres trop précis, ni motiver l’ennemi en révélant leurs faiblesses. Il n’en fallait pas plus pour que le fléau devienne «espagnol» et que l’histoire retienne ce nom, même si, en Espagne, on l’appelle «le soldat de Naples», en référence à un air d’opérette à la mode, qui trotte dans toutes les têtes. En Pologne, c’est le «mal bolchevique». En Allemagne, la «grippe des Flandres», tant le virus se plaît à passer d’une armée à l’autre ! Du côté français, évidemment, c’est l’ennemi allemand qui est montré du doigt. En plein conflit, on accuse les «boches» d’avoir empoisonné les conserves et les oranges. Pourtant, derrière la ligne de front, eux aussi tombent en masse. Dans ses Souvenirs de guerre (1920), le général Erich Ludendorff raconte : «C’était pour moi une occupation sérieuse d’entendre chaque matin, de la bouche des chefs, les chiffres élevés des cas de grippe et
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leurs plaintes sur la faiblesse des troupes si les Anglais se décidaient à attaquer.» Car, bien sûr, l’épidémie affecte l’effort de guerre. Fin juin, lors de la première vague de l’épidémie, l’armée britannique, qui avait prévu d’attaquer La Becque, dans les Flandres, doit par exemple abandonner l’opération. Et toujours selon le général allemand Ludendorff, la grippe contribue à l’échec retentissant de l’offensive allemande de juillet 1918… même si ce point de vue semble très subjectif. Après l’armistice, la troisième vague de la pandémie ravage un peu plus l’Europe
Pourtant l’armée n’est pas la seule touchée et la maladie se répand chez les civils. Ainsi, parmi les morts célèbres, on compte le peintre autrichien Egon Schiele. Il succombe le 31 octobre 1918, trois jours après son épouse enceinte de six mois. Son dernier tableau, La Famille, peint dans la fièvre, les représente tous les trois – elle, lui et le fils qu’ils n’auront jamais – hagards et le regard perdu. On compte de nombreuses victimes célèbres : le dramaturge Edmond Rostand, le président du Brésil Rodrigues Alves, le pionnier de l’aéronautique Léon Morane… Guillaume Apollinaire, lui aussi, va succomber à l’épidémie. Blessé à la tempe dans les tranchées, le poète survit à la trépanation mais meurt de la grippe, deux jours avant l’armistice. Le jour de son enterrement, Blaise Cendrars, qui l’accompagne au Père-Lachaise, raconte l’excitation de la foule parisienne qui, au même moment, chante la victoire en s’adressant à l’empereur allemand : «Tu n’aurais pas dû y aller Guillaume ! Tu n’aurais pas dû !» « C’était excessivement pénible», soupire Cendrars face à l’ironie de la situation.
La grippe s’invite à versaiLLes
Collection Dagli Orti/Culver Pictures/Aurimages
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En 1919, Vittorio Orlando (Italie), David LloydGeorge (Royaume-Uni), Georges Clemenceau (France) et Woodrow Wilson (Etats-Unis) sont réunis à Versailles pour signer le traité de paix. Diminué par la maladie, le président américain sera contraint de quitter la table des négociations.
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l’ère des vaccins arrive enfin
La fin de la guerre ne sonne pourtant pas le glas de l’épidémie, loin de là. Début 1919, la grippe espagnole connaît sa troisième vague et va continuer à emporter ses victimes jusqu’au printemps 1919. D’autant plus que l’armistice, la foule et ses embrassades forment un terreau propice au virus. A Paris, les discussions de paix se déroulent dans un climat étrange. «Il semble y avoir des millions de germes qui circulent, et un certain nombre de diplomates ont perdu leur voix», note un assistant du président américain Woodrow Wilson à Versailles. Fin mars, début avril, les négociations butent toujours sur le montant des réparations et le tracé des frontières. Le président français Georges Clemenceau exige l’occupation de la Rhénanie et du bassin de la Sarre, alors que Wilson s’y oppose. C’est alors que la grippe espagnole va entrer subitement à la table des négociations. Le 3 avril, la voix du président américain sonne soudainement plus rauque. Il a des difficultés pour respirer, tousse de façon convulsive. Sa température monte au-delà des 39 °C. Les symptômes sont si violents que Gary Grayson, son médecin, soupçonne d’abord un empoisonnement avant de lui diagnostiquer une grippe ! Cloué au lit, Wilson doit céder sa place plusieurs jours à la table des négociations. A son retour, il laisse passer l’occupation de la Rhénanie dans le traité de paix et, surtout, le paiement de réparations par les Allemands sans fixer de montant maximal. Selon l’historien Alfred W. Crosby, la faute reviendrait à la grippe espagnole qui l’aurait affaibli. Responsable de sa garde rapprochée, Edmund W. Starling témoigne dans ce sens : «Elle l’a laissé très faible. Il n’a jamais retrouvé sa force physique,
Près de quarante ans après l’épidémie de grippe espagnole, le Dr Ballinger administre le premier vaccin contre le virus à Marjorie Hill, une infirmière new-yorkaise. Les progrès de la science permettent alors de contenir l’épidémie de grippe de 1957, qui fera malgré tout 68 000 morts aux Etats-Unis.
et cette faiblesse a naturellement impacté son état esprit.» Une thèse nuancée par Laura Spinney : «Le véritable problème a été l’accident vasculaire cérébral dont Wilson a souffert à l’automne 1919 et qui l’a empêché de persuader le Sénat américain de ratifier le traité ou de se joindre à la Société des Nations.» Les Etats-Unis se sont alors retiSeptembre 1918 rés de leur rôle d’arbitrage et C’est aux Etats-Unis, ont laissé de lourdes réparadans une base militions punitives s’abattre sur taire près de Boston, l’Allema-gne, qui fulminera que l’on recense les pendant vingt ans contre le premières victimes d’un mystérieux mal. «Diktat» de Versailles… Mais ce ne sera pas la seule Novembre 1918 Alors que la guerre conséquence de l’épidémie. prend fin, le virus de Après la guerre, les pays s’orla «grippe espagnole» ganisent pour lutter contre de touche l’Europe aussi futures pandémies. Ainsi, le brutalement que les Traité de Versailles met en Etats-Unis. Les infrastructures sanitaires place le Comité d’hygiène de sont débordées. la Société des Nations, qui Eté 1919 donnera naissance à l’OrDénommée H1N1 par ganisation mondiale de la les scientifiques, la masanté (OMS) en 1948, chargée ladie décline fortement, de combattre les maladies à après avoir contaminé travers le monde. Il aura fallu la moitié de la population mondiale. Elle réapune catastrophe pour que les paraîtra de façon moins Etats prennent enfin intense jusqu’en 1925. conscience de leurs ennemis 1923 communs… L
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L’Organisation d’hygiène de la Société des Nations (SDN), ancêtre de l’OMS, est créée suite à cette pandémie.
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IL ÉTAIT UNE FOIS UN VILAIN PETIT CANARD
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Passionnant, limpide, solidement documenté, cet ouvrage dévoile les secrets de Détective, le «grand hebdomadaire des faits-divers» des années 1930. taire part en reportage régulièrement, et le personnel administratif contribue volontiers à la partie rédactionnelle. Pour les besoins de leurs enquêtes, les reporters de Détective fréquentent aussi bien les commissariats que les bas-fonds. On s’entraîne même au tir dans la cave. Si le succès ne se dément pas, c’est que le journal tient ses promesses. Des sœurs Papin, meurtrières de leur patronne au Mans en 1932, au scandale politico-financier de Stavisky (1934), aucune des grandes affaires ne lui échappe. Le sang et le mystère ne sont pas les seuls à figurer au sommaire. Détective propose des grands reportages (avec les Bat d’Af’, sur les trottoirs de Buenos Aires…), mène des combats journalistiques (contre des erreurs judiciaires, pour la fermeture du bagne) et publie des enquêtes sociales, comme celle signée par Joseph Kessel sur les ravages de l’alcoolisme. De nombreux concurrents tenteront d’appliquer cette recette du succès. En vain. Alors que Le Nouveau Détective, héritier en ligne directe du journal de Gallimard, fêtera ses 80 ans en 2018, tous ses imitateurs ont disparu les uns après les autres. C’est qu’il leur manquait à tous l’ingrédient essentiel : la passion. CYRIL GUINET
Détective, fabrique de crimes ? d’Amélie Chabrier et Marie-Eve Thérenty, éd. Joseph K., 24 €.
Bilipo/Joseph K.
Le 1 novembre 1928, un magazine apparaît dans les kiosques. Son titre, énigmatique et plein de promesses de frissons, s’étale en grandes lettres blanches sur fond sépia : Détective. Dans une interview accordée à L’Express, bien plus tard, l’éditeur Gaston Gallimard reconnaîtra que ce coup d’essai fut un coup de maître : «Le seul moment où j’ai été financièrement à l’aise, à cette époque [avant la Seconde Guerre mondiale, ndlr], c’était quand je publiais Détective […] Le succès a été foudroyant.» Dans leur livre, richement illustré, les universitaires Amélie Chabier et Marie-Eve Thérenty retracent les douze premières années de l’exaltante histoire du «grand hebdomadaire des faits-divers». Pour lancer son magazine, Gaston Gallimard a mobilisé des plumes prestigieuses : Francis Carco, Pierre Mac Orlan, Joseph Kessel, Maurice Garçon. Pourtant, le journal est la cible de nombreux détracteurs. Que lui reprochet-on ? De dévoyer la jeunesse en lui montrant le mauvais exemple. «Le crime est une réalité, rétorque Joseph Kessel, il faut le dénoncer pour le combattre.» C’est peu dire que Détective est un journal étonnant. Dans ses colonnes, comme dans sa rédaction, souffle un vent de liberté et d’anarchie. Le premier rédacteur en chef, Edouard Séné, est un antimilitariste condamné, et le comptable, un ancien bagnard. La secré-
Lancé en 1928, Détective ambitionnait d’être le premier magazine d’enquêtes et de faitsdivers. Ses journalistes menaient une vie nomade et périlleuse. Le récit de Marius Larique (ci-contre), futur directeur du journal, augmenta les ventes de manière significative.
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BIOGRAPHIE
L’ÉNIGME DU PRINCE MARTYR
Des décors parfaitement restitués et un dessin épuré sont au service d’un scénario solide et fluide.
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UN HUMANISTE CHEZ LES FOUS
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Il y a deux siècles, un pasteur suisse créait des asiles dans le Périgord. Un album lui rend hommage. Certains hommes se sont tellement dévoués à aider leurs prochains qu’il paraît incroyable que l’histoire n’a pas retenu leur nom. Qui se souvient de John Bost ? Ce pasteur protestant suisse s’installe à La Force, un bourg près de Bergerac, en 1848. En l’espace d’une trentaine d’années, il fonde une dizaine de refuges pour accueillir les personnes âgées sans ressources, les aveugles ou encore les handicapés mentaux. Des centaines de parias et de laissés-pour-compte, que cet infatigable bienfaiteur du genre humain recueille dans l’un des Asiles de La Force (aujourd’hui gérés par une fondation qui porte son nom). A une époque où la psychiatrie en est à ses balbutiements, il met au point une technique de traitement original pour les malades mentaux : chacun, selon ses capacités, se voit confier des tâches lui permettant de jouer un rôle social, donc d’être utile. Commandée par la Fondation John Bost pour célébrer le bicentenaire de la naissance du pasteur, l’album aurait pu tomber dans le piège de l’hagiographie. Le scénariste Vincent Henry et le dessinateur Bruno Loth ont réussi à éviter cet écueil. S’attachant à l’homme, à son entourage mais aussi à la description du quotidien, ils ne font pas le portrait d’un saint, mais celui d’un homme, avec ses contradictions et ses faiblesses, sincèrement touché par la violence sociale de son temps. Un cahier pédagogique, très instructif, fait le point sur l’état de la psychiatrie à cette époque et termine cet album. C. G. John Bost, un précurseur, de Vincent Henry et Bruno Loth, éd. La Boîte à bulles, 22 €.
Cruel contraste. Louis-Charles, prince de Normandie, passa ses premières années dans le faste policé et rassurant du château de Versailles. Et c’est à 10 ans que le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, redevenu «l’enfant Capet», s’éteignit dans la sinistre prison du Temple, le 8 juin 1795, emporté par la tuberculose. De quoi laisser circonspects les partisans de la royauté. Et si la mort de l’héritier du trône n’était qu’une vaste mascarade ? Et si le jeune garçon avait été remplacé par un orphelin avant d’être mis à l’abri à l’étranger ? Vont alors s’ouvrir des décennies de controverses sur son hypothétique survie, scandées par les apparitions de «faux dauphins» (on comptera des dizaines d’imposteurs) qui viendront réclamer leur dû. Il faudra attendre 2004 pour qu’un test ADN atteste de la mort de Louis XVII au Temple et vienne clore définitivement le chapitre. Mais le mythe reste tenace malgré les preuves scientifiques. Démêlant la vérité des légendes, Hélène Becquet, déjà auteur d’une biographie sur MarieThérèse, la sœur cadette de Louis-Charles, dresse le portrait d’un personnage tragique, auquel la couronne aura coûté la vie. Un roi sans royaume, tiraillé par les luttes de pouvoir (il fut instrumentalisé par les républicains modérés), et qui, par-delà la mort, allait nourrir l’imaginaire romantique et les fantasmes des ultraroyalistes qui ne pourront jamais se résoudre à accepter les bouleversements de la Révolution et la fin de l’Ancien Régime. FRÉDÉRIC GRANIER
Louis XVII, d’Hélène Becquet, éd. Perrin, 20,90 €.
GEO HISTOIRE 133
B I O G R A P H I E
T É M O I G N A G E
DOCUMENTAIRE
TÉMOIGNAGE
QUAND LES NAZIS SE PIQUAIENT DE SEPTIÈME ART
LA GRANDE MUETTE PARLE
Faut-il, aujourd’hui, restaurer et rendre accessibles les films tournés sous le IIIe Reich et mis à l’index depuis 1945 ?
I
Il émane de ces bobines une odeur de soufre… Conservés dans le bunker des Archives fédérales du cinéma à Berlin, une quarantaine de longs-métrages restent invisibles des cinéphiles. Et pour cause : ils sont proprement toxiques, par leur message xénophobe, nationaliste, raciste… Ces films, ce sont les œuvres tournées entre 1933 et 1945 par le III Reich sous le patronage du Führer, grand amateur du septième art, et de son ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, qui voyait dans le cinéma «l’un des moyens de manipulation des masses les plus modernes». Fresques historiques, comédies, drames en costumes… On trouve presque tous les genres dans ce «cinéma brun». A moins d’être chercheur ou historien, impossible de voir en salles ou d’acheter en DVD Le Juif Süss, brûlot antisémite qui attira 20 millions de spectateurs dans les salles en 1940, ni Suis-je un assassin ? (1941), plaidoyer nauséabond pour l’euthanasie des personnes handicapées. Idem pour Heimkehr (1941) qui adopte le point de vue d’Allemands persécutés en Pologne, et qui justifie l’invasion du pays par la légitime défense. Le réalisateur allemand Felix Moeller a eu accès à ces bobines maudites, interdites par les Alliés en 1945, afin de les projeter à un public contemporain. Il en recueille des impressions dans un excellent documentaire qui n’élude pas les questions qui fâchent. Quel est le pouvoir de nuisance de ces images quatre-vingts ans après ? Faut-il conserver ou restaurer les bobines, les interdire ou les laisser en libre accès ? La censure ne confère-t-elle pas à ces films trop d’influence ? Un dilemme qui évoque la polémique sur la réédition de Mein Kampf, le manifeste signé Hitler. F. G. Les Films interdits - L’héritage caché du cinéma nazi, de Felix Moeller, 1 h33, DVD ESC Distribution, 17 €. Dans Le Jeune Hitlérien Quex (1933), un film de propagande du Reich, un jeune nazi finit assassiné par des militants communistes. Ronald Grant Archive/Albany Stockphoto
L’ACTU DE L’HISTOIRE
D O C U M E N T A I R E
134 GEO HISTOIRE
Longtemps, l’armée française a été cantonnée au silence. Cependant, officiers et soldats s’expriment dans ce livre. Tour à tour, neuf d’entre eux ont bien voulu raconter à Pauline Maucourt, journaliste à RFI, ce que fut leur quotidien en Afghanistan, en Centrafrique ou au Mali. Tout est consigné ou presque, sous couvert d’anonymat : les dates, les lieux, les dispositifs, les opérations musclées. Et bien souvent leurs états d’âmes après quelques épisodes de TIC, troops in contact. En clair : les patrouilles qui montent au plus près de l’ennemi, les positions à tenir, et les accrochages qui s’en suivent, implacables. On comptera après les blessés et les morts. Et les retours précipités dans les VAB, ces véhicules à l’avant blindé, qui brimbalent tels des corbillards sur les pistes cabossées et craignent les bombes rudimentaires… Cette fois, on écoute un tireur d’élite hanté par ses fantômes, un infirmier, un psychologue, un légionnaire, et cet officier chargé d’annoncer les décès aux familles. Un autre confesse sa terreur d’être fait prisonnier, puis décapité dans le sable. Un leitmotiv : la solidarité de la section, le respect des ordres, et les automatismes qui sauvent. Cela donne un récit polyphonique à la fois technique et vibrant, saturé de densité, qui montre la guerre en vrai, au plus tranchant. Et ses pertes de réalité. «De la vie à l’état pur. Une énergie électrique», admet ce capitaine qui a fait «l’Afgha». JEAN-LUC COATALEM
La Guerre et après…, de Pauline Maucourt, éd. Les Belles Lettres, 298 p., 21 €.
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AVEC TINTIN LE DÉCOUVREUR
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es ruines brûlantes de l’Empire inca aux momies enrubannées de l’Egypte, des temples bouddhistes de l’Himalaya à la frénésie des cités chinoises, Tintin apparaît ici en formidable «éclaireur» de mondes. L’ouvrage part à la rencontre des cultures de toute la planète : inca, maorie, tibétaine, arabe… Et explore la vision qu’en avait le dessinateur lors de l’écriture de ses 24 albums – et tels qu’on les connaît aujourd’hui. Quel était le regard d’Hergé sur les grands sujets de civilisation ? Qu’estce qui a changé depuis ? Dans cet ouvrage, les journalistes de GEO décryptent les sources d’inspiration du créateur belge. On y découvre en parallèle un portrait de l’artiste, amateur d’art et grand collectionneur. Dans ses studios bruxellois, comme dans sa maison de Cérous-Mousty dans le Brabant Wallon, Hergé aimait s’entourer d’objets exotiques mais aussi d’œuvres d’artistes avant-gardistes – comme celles de l’Italo-Argentin Lucio Fon-
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L’aventure humaine
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travers une analyse originale, instructive et enrichie de 3 000 illustrations – photographies, documents historiques, cartes, graphiques ou affiches d’époque –, cette encyclopédie visuelle offre un éclairage inédit sur l’histoire des civilisations. Des puissants royaumes égyptiens aux premiers VOIR L’HISTOIRE astronautes, le livre met en relief les évolutions politiques, économiques et culturelles des grandes sociétés et permet d’en comprendre les mutations majeures. COMPRENDRE LE MONDE
Voir l’Histoire, comprendre le monde, éd. GEO, 620 pages, 49,95 €, disponible en librairie.
138 GEO HISTOIRE
RÉDACTION DE GEO HISTOIRE
tana ou du Français d’origine russe Serge Poliakoff. En bonus, les tintinophiles découvriront avec bonheur le chapitre consacré à la Syldavie, avec une carte inédite et plusieurs hypothèses sur la localisation géographique de ce pays imaginaire. Ils testeront aussi leurs connaissances grâce à des quiz sur la musique, le design et le cinéma. Un livre collector pour tous les fans de 7 à 77 ans. Tintin. Les arts et les civilisations vus par le héros d’Hergé, éd. GEO/Moulinsart, 155 pages, 29,95€. En vente en librairie et dans les grandes surfaces.
ENQUÊTE
Surprenant rocher !
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vec une fréquentation de plus d’un million de touristes par an, le Mont-Saint-Michel figure parmi les monuments les plus visités en France. Que cache ce site unique, perdu entre terre et mer, et pourquoi fascine-t-il autant ? Le journaliste Lomig Guillo (rédacteur en chef chez Prisma Media) retrace l’histoire de ce lieu de pèlerinage dans une enquête minutieuse et passionnante. Il nous explique comment ce rocher pas comme les autres est devenu, au fil des siècles, un mythe, avec ses trésors et ses légendes. Les secrets du Mont-Saint-Michel, éd. Prisma, 256 pages, 17,95 €. Disponible en librairie. Accessible en e-book : 13,99 €.
13, rue Henri-Barbusse, 92624 Gennevilliers Cedex. Standard : 01 73 05 45 45 (pour joindre directement votre correspondant, composez le 01 73 05 + les 4 chiffres suivant son nom). Rédacteur en chef : Eric Meyer Secrétariat : Corinne Barougier (6061) Rédacteur en chef adjoint : Jean-Luc Coatalem (6073) Directeur artistique : Pascal Comte (6068) Chefs de service : Cyril Guinet (6055) et Frédéric Granier (4576) Premiers secrétaires de rédaction : François Chauvin (6162) et Laurence Maunoury (5776) geo.fr et réseaux sociaux : Mathilde Saljougui, chef de service (6089), Léia Santacroce, rédactrice (4738), Elodie Montréer, cadreusemonteuse (6536) et Claire Brossillon, community manager (6079) Chef de studio : Daniel Musch (6173) Première rédactrice graphiste : Béatrice Gaulier (5943) Service photo : Agnès Dessuant, chef de service (6021), Fay Torres-Yap (E-U) Cartographe-géographe : Emmanuel Vire (6110) Ont contribué à la réalisation de ce numéro : Pierre Antilogus, Anne Daubrée, Christèle Dedebant, Marine Dumeurger, Laure Dubesset-Chatelain, Balthazar Gibiat, Clément Imbert, Céline Lison, Valérie Kubiak, Jean-Baptiste Michel, Isabelle Spaak. Secrétaire de rédaction : Véronique Cheneau. Rédactrices graphistes : Patricia Lavaquerie, Cathy Collet et Sophie Tesson. Rédactrice photo : Virginie Terrasse. Fabrication : Stéphane Roussiès (6340), Gauthier Cousergue (4784), Anne-Kathrin Fischer (6286).
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